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11/05/2017

De la poésie, Philippe Jaccottet, éditions Arléa, 2005

La poésie déborde-t-elle le langage ? C'est la question posée à Philippe Jaccottet, dans un entretien accordé à Reynald André Chaland, publié in extenso in De la poésie, éditions Arléa, 2005. Voici quelle a été sa réponse :

"C'est le mystère du rapport entre les mots et les choses, enfin ce que Paulhan a probablement beaucoup cherché à sonder ; et moi, je n'ai peut-être pas les capacités intellectuelles suffisantes pour le suivre dans ses recherches, le goût, le temps... Si l'on est créateur, on doit pouvoir se contenter de ce qu'on est capable au moins de faire bien ; c'est presque le problème de l'âme et du corps... Parce que, effectivement, un poème, ce n'est que des mots. En apparence, il n'y a aucune différence entre un poème où il y a quelque chose à l'intérieur et un autre... là, c'est vraiment mystérieux. En ce moment, je mets de l'ordre... Je ne sais plus où mettre les mauvaises plaquettes que j'ai reçues depuis trente ans. Qu'est ce qui fait que dans les unes il y a quelque chose et dans les autres rien ? Qu'est-ce qui fait que pour une certaine littérature, on a envie de dire, ce ne sont que des mots, et une autre pas ? C'est difficile...

Tout ce que j'ai réussi à dire là-dessus, et qui est vraiment peu de choses, tient à cette espèce de sentiment, d'intuition, d'expérience, qu'il y a des moments plus vrais que d'autres. Cela paraît bizarre à dire, et en même temps c'est presque aussi fort et indubitable comme impression que lorsqu'on se fait mal : on ne peut pas nier que quand on a mal on a mal, ou alors on rend impossible toute conversation si l'on commence à se nier ; de même que si l'on est blessé on est blessé, ou que cette table est ronde et non pas carrée. Il me semble presque avec la même évidence qu'il y a des mots qui manquent, ou des mots derrière lesquels on ne sent pas le poids de l'expérience, et des assemblages de mots, plus complexement liés, où c'est la même chose.

Je crois que toute la lecture de la littérature du commencement à la fin donnerait cette expérience. Quant à en donner une explication... peut-être qu'elle existe pour certains... On sait, mais c'est difficile..."

                                                                Philippe Jaccottet

18:18 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

10/05/2017

"L'Arbre des voyageurs", de Tristan Tzara

Vous parler aujourd'hui du premier livre illustré par Joan Miro, dont l'auteur est Tristan Tzara (1896-1963), le peintre ayant réalisé pour ce recueil de poèmes 4 lithographies originales. Il s'agit de "L'Arbre des voyageurs", tiré à 523 exemplaires, imprimé à Paris, aux éditions de la Montagne, en 1930.
Les 20 premiers exemplaires ont été imprimés sur vélin d'Arches, celui dont vous pouvez lire plus bas la dédicace, inédite, porte le numéro XVII, il a été offert à André Breton (on pardonnera à Tristan T. la mauvaise orthographe d'"arêtes", sachant que toujours l'émotion prime, la raison vient après).

Une sécheresse dans l'expression, un déferlement d'images à prendre comme elles viennent pour en extraire le sens, caractérisent les vers de ce livre qui précède d'une seule année celui qui fera la renommée du poète Dada : "L'Homme approximatif", que Jean Cassou qualifie d'"extraordinaire poème primitif". En 1930, les relations de Tzara avec les Surréalistes sont encore bonnes, mais il ne tardera pas à entrer en conflit avec eux, en particulier avec Breton. Œuvre charnière donc, dans la production et la vie du poète, et qui se divise en trois parties : "L'Arbre des voyageurs" (signe du roc), "A perte de nuages" (signe de l'éclair), "le Feu défendu" (signe du vent). DM

 

 

TZARA 2 BLOG.jpg

 à André Breton

L'Arbre des voyageurs

               la soif des scaphandres
               les diadèmes de vies
               les rencontres derrière le dos des mots
               les arêtes du désert
               les allumettes
               les verres les gants
               des incendies des repos des myosotis
               les globules de sable incandescent

                                   avec l'affection
                                            de
                                          Tristan Tzara
                                             oct. 34

09:59 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

08/05/2017

André Gide - Francis Jammes

Francis Jammes (1868-1938) entendit parler de Gide la première fois par Eugène Rouart : il s'enthousiasma bientôt pour Le Voyage d'Urien de Gide tandis que ce dernier vibrait à la lecture de ses Vers et s'activait à Paris pour le faire connaître. Ils se rencontrèrent en Algérie en 1896, se revirent chez Gide en Normandie en 1898, mais leur amitié n'alla pas sans ombre : Jammes manifesta des hésitations pour des oeuvres comme Ménalque (1896) ou Les Nourritures terrestres (1897), et, quand Gide émit des critiques d'ordre littéraire sur son texte Existences (1902), Jammes se cabra et fit de virulentes remarques d'ordre moral sur L'Immoraliste. Ils continuèrent pourtant à se marquer une admiration réciproque : Gide fit une lecture publique de l’œuvre religieuse de Jammes L'Eglise habillée de feuilles (1905), assista à son mariage en 1907, lui proposa une collaboration à la Nrf, tandis que Jammes vantait les mérites de La Porte étroite. Néanmoins, le retour de Jammes au catholicisme sous l'influence de Claudel (1904) éloigna progressivement les deux amis et quand Gide refusa un article de Jammes pour la Nrf critiquant l'écrivain Charles-Louis Philippe avec des arguments religieux, Jammes en conçut une forte amertume, et leurs relations cessèrent presque tout à fait. La présente lettre, inédite, s'inscrit dans un moment charnière et prélude à la rupture entre les deux écrivains. DM

*

Cuverville, le 11 février 1904

Bien cher Francis,

... Inconsciemment attendais-je pour t'écrire, tes "Fragments" que je lis à l'instant ... Je voudrais avoir 18 ans, te découvrir ; je t'écrirais (ce que je n'aurais fait pour personne) ; "Ah ! Monsieur... etc." A notre âge, on dit plus simplement, mais avec autant d'émotion, et un peu plus de compétence : cher vieux, tu as peut-être fait aussi bien, mais tu n'a jamais rien écrit de meilleur.

Je retrouve à te lire aujourd'hui tout mon ravissement des premiers jours quand j'entrais dans tes vers comme dans une humide allée couverte, un jour de très grande chaleur.

Qu'il me tarde de lire l'histoire de "Pomme d'anis" ! Qu'un mot de toi me rendrait heureux, s'il m'apprenait que rien de fâcheux ne cause ton silence ; le mien ne venait que de la difficulté insurmontable que j'éprouvais à écrire quelque lettre que ce soit, et à qui que ce soit.

Au revoir. Que ces pluies de la fin de l'hiver sont belles !...

Je suis toujours ton André Gide.

                                                                                                  André Gide

14:02 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)