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03/10/2017

Céline Zins

Pour aujourd'hui, une auteure rare et de qualité, Céline Zins, née à Paris en 1937. Poète et traductrice, elle a publié quatre livres, le dernier en date est Eclipses, avec des encres de Jean de Gaspary, aux éditions Voix d'encre (2008).
A la sortie de "L'Arbre et la Glycine", éd. Gallimard (1991), ce qu'a écrit Hector Bianciotti :

*

Voici - après Par l'alhabet du noir (Christian Bourgois) et Adamah (Gallimard, 1988) - le troisième livre de Céline Zins, lequel, comme les précédents, est davantage qu'un recueil, un poème en soi, composé d'une suite de captures effectuées par les mots dans le courant de cette chasse mystérieuse et légère - et plus qu'une autre, rétive au commentaire - qu'est la poésie.

Ici elle s'offre dépouillée de tout ornement, de tout agrément rhétorique, comme pour atteindre à ce point obscur, bien antérieur à la législation du vers, où l'être cherche à exprimer,  non pas sa personnalité, mais - c'est l'avis de T. S. Eliot - une substance particulière de l'âme, dans laquelle impressions, expériences, se combinent de façon particulière et inattendue. Cela ne veut pas dire que Céline Zins dédaigne la musique ni qu'elle ignore que la poésie n'accepte jamais un mot dont le son ne satisfait pas l'oreille ; mais que sa musique à elle semble indifférente à la continuité, à la ligne et au plan, de sorte qu'il en résulte plus qu'un chant, une émotion concertée, parfois une diaprure.

On songe à ce poète dont rêva Roger Caillois : il affirmait qu'il ne s'était pas servi de la cadence, de la rime, des mots inaccoutumés et du rythme qui engendrent les syllabes pour donner le change à l'esprit sur la valeur de sa parole. Car Céline Zins tient dans cette marge où il revient au poète d'accorder du pouvoir aux choses qui échappent à la raison, à celles qui en nous se dérobent, l'homme n'étant pas seulement ce qu'il est mais, par surcroît, et peut-être au principal, ce qu'il s'imagine être : est-il tout entier là où il se trouve ? Il pense, et la pensée l'emporte vers d'autres lieux du temps ; il effleure la vie, il se projette dans l'avenir avec l'espoir d'effacer l'incertitude qui est son lot, en proie à l'anxieuse impossibilité d'établir sa présence en ce monde.

Le poète de L'Arbre et la Glycine fait ressentir cette perplexité primordiale, sans analyse, sans rien expliquer, la plaçant au-delà des formules réconfortantes, au cœur de l'émotion de chacun :

        "Ôter pelure après pelure des mémoires
          collées au corps comme une peau malade
          s'arracher les mots plantés
          comme des pieux dans la poitrine
          détruire tout ce vacarme
         se dépouiller
         se retrouver nu
         sans traces
         soleil
         au centre de sa propre lumière
         nue
         silencieuse".       

On trouve toujours dans le vocabulaire d'un poète, et peut-être de tout écrivain, des mots récurrents chargés d'un poids intime, d'un pouvoir d'évocation qu'ils n'ont pas dans le dictionnaire. Ils sont la propriété incessante d'une révélation qui ne se produit pas.

Regard est le mot-clé de Céline Zins - regard qui va de la brindille à l'abîme, qui aspire à voir le monde comme seuls les oiseaux ou les dieux peuvent le voir, et qui à son tour est regardé par l'espace sans limites que l'oeil tâche de sonder :
         "Ce regard dont l'ouverture tranche à jamais
          l'appartenance
          Et ce regard dont l'ouverture est la chair même
          de sa présence
          Qui voit ?"

Il arrive qu'un poème, quoique sa confidence impersonnelle semble sans origine ni destinataire, ne séduise qu'à la longue. C'est le cas de toute œuvre - architecture, danse, tableau... - qui obéit à une très haute exigence, et c'est le cas ici. Mais l'on peut parier, en l'occurrence, qu'au souvenir d'un fragment, d'une ligne, le lecteur sera étonné par les échos d'un discours infini, qu'il en comprendra tout le sens et en saisira la musique.

                                                         Hector Bianciotti

* *

De son premier livre, malheureusement épuisé, je retiendrai ces pages étonnantes, vers lesquelles va ma préférence. L'ombre se conjugue à la lumière, dans un tournoiement sans fin : DM

                                                                     à Bram Van Velde

          Au large de la lande
          à plat d'océan couvert de lune
          s'ouvre la lumière de l’œil
          cerclé de vagues crépusculaires

*

          Leur regard a la flamme jaune des certitudes
          mais l'hiver vient semer le vent noir
          et midi - l'oublient-ils - est une épée
          pointée au cœur du cercle

*

          Votre regard, cédant à la blancheur
          s'est pris au piège,
          plongeant le labyrinthe dans l'illisible retour

          Le Noir, ce garde-fou, l'eussiez-vous reconnu

*

          Je ne dirai que la poussée du
                          regard
          au point de convergence
                  et l'ouverture
          retournée sur son axe : Nuit

*

          La nuit fait à l’œil un manteau d'herbe à lune

                                                            Céline Zins

09:29 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

02/10/2017

"Indalo", Christian Saint-Paul, éditions Encres Vives, 6,10 €

Christian Saint-Paul que les auditeurs de "les poètes" (le jeudi de 20h00 à 21h00 sur Radio Occitania) connaissent bien, a publié en avril 2015 Indalo aux éditions Encres Vives qu'anime Michel Cosem. Wikipédia nous renseigne sur ce nom pas très commun : "l'indalo est le symbole de la ville d'Almería, de sa province et de ses habitants". Cette charmante ville d'Andalousie, son petit aéroport où les cigales se laissent entendre en soirée, est un point d'ancrage idéal pour déguster d'excellents fruits de mer en bord de côte à Roquetas de Mar (simple suggestion de votre serviteur, au demeurant).

Mais trêve de digressions, ce recueil mérite à plus d'un titre votre attention. J'ai particulièrement aimé les poèmes 10 et 11, et ne puis résister au plaisir de citer le premier ici :

10
Le poète par sa naissance
possédait le nom de cette ville pétrifiée de soleil :
Lorca
imitant Henri-Marie-Raymond de Toulouse-Lautrec
qui portait haut le nom de la cité occitane...
Pour se hisser à la Forteresse du Soleil
- nom du château qui protège la ville -
nous grimpons dans le quartier gitan
où la vie enfin apparaît
refoulant l'empreinte d'une vieille tragédie....
Le poète Pechuge
a vécu là au pied de ce quartier en hauteur.
Lorca
le fête
reconnaissante de ses beaux vers sur la ville...
Dans la Forteresse du Soleil
priaient les Juifs.
Les paroles psalmodiées s'en sont allées
avec le vent des oiseaux.
Dans les grands jardins
les religions se sont enfuies
vers un héritage invisible...
Les chrétiens de Lorca
qui n'avaient pas de portes du non-retour à passer
laissèrent les lieux en l'état.
Désabrité en sa demeure
Dieu a veillé sur sa pauvreté
et seule en Espagne cette synagogue
n'a pas été reconvertie
en temple chrétien.

                   Christian Saint-Paul

Cette "tolérance" religieuse se retrouve dans les vers du poème 11, avec cette fois l'évocation du château Nogalte, et des habitations troglodytes qui l'entourent, comme en Afrique (nous ne sommes pas loin de Tanger). La rivière El Cano ressemble à s'y méprendre aux oueds asséchés dont nous a longuement parlé Isabelle Eberhardt... Ce recueil de Christian a été chroniqué in Diérèse 66.

08:42 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

22/09/2017

Alain Lance s'entretient avec Michel Deguy

L'art poétique aujourd'hui

 

Aujourd'hui, Alain Lance interviewe Michel Deguy. Alain Lance est né en 1939. Poète et traducteur d'écrivains allemands tels Volker Braun et Christa Wolf. Il a dirigé la Maison des écrivains de 1995 à 2004. Michel Deguy est né en 1930. Poète et philosophe, il a publié de nombreux livres de poèmes, depuis Fragments du cadastre en 1960. Il a appartenu pendant 25 ans au comité de lecture des éditions Gallimard, a été président du Collège international de philosophie et de la Maison des écrivains.

Alain Lance : Depuis longtemps, l'écriture de vos poèmes s'accompagne d'une réflexion sur la poésie. Peut-on caractériser la situation actuelle de la poésie en France par, à la fois, une audience restreinte et un volontarisme affiché des pouvoirs publics pour encourager sa promotion ?

Michel Deguy : Certes, l'audience de la poésie se restreint à ce que l'on appelle les petits médias, petits éditeurs, petites revues, petits tirages, et l'on peut penser que cette tendance va s'accentuer. Et les initiatives prises par le ministère de la Culture ou le ministère de l’Éducation nationale ("Le Printemps des poètes", par exemple) pourraient laisser craindre qu'on ne songe à la poésie que pendant une semaine au mois de mars. Le reste du temps, ce serait l'atonie. C'est un risque. Mais je suis un peu las des lamentations. Faisons donc ce que nous avons à faire. On peut certes regretter que l'immense apprentissage par cœur du poème se perde, aux dépens de cette mémoire de la langue et de la poésie. Par quelle métamorphose ou mutation la retrouverons-nous ? Feignons d'être optimistes.

Les manifestations de poésie sont habituellement des lectures. C'est légitime, je ne le remets pas en question, j'y participe souvent, comme d'autres. Mais au cours de ces lectures, a fortiori s'il s'agit de poètes de langues différentes, il y a une énorme déperdition. Le souci de "poétique" est écarté puisque, pendant qu'on lit, récite, vocifère, on ne discute pas des affaires de la poésie : qu'est-ce que la poésie ? Que peut-elle encore aujourd'hui? A quoi bon des poètes ? Etc. D'ailleurs, je rappelle que dans l’œuvre de nombreux poètes essentiels (Du Bellay, Baudelaire et bien d'autres), outre le poème proprement dit, la réflexion sur la poésie occupe une place importante. Nous avons besoin d'une critique de la poésie. 

Mon projet est simple : plutôt que de solliciter critiques littéraires et théoriciens pour leur demander ce qu'ils pensent de la poésie aujourd'hui, j'invite des poètes (ndlr : rencontres sur ce thème qui se sont déroulées de mai 2002 à 2003, sur le site de la BnF) qui souhaitent faire part de leur réflexion sur la poésie, ce qui n'est pas le cas de tous, quelle que soit par ailleurs leur valeur intrinsèque. Cette rencontre ne peut être qu'internationale, car la mondialisation vient affecter tous les arts, également celui de la poésie. Y a-t-il donc une poétique mondiale de la poésie ? Peut-être que non, peut-être constaterons-nous des affrontements dispersés.

A.L. : Pouvez-vous esquisser la thématique des deux premières rencontres de la BnF ?

M.D. : J'introduirai donc ces rencontres en nous interrogeant : y a-t-il quelque sens commun (dans les deux significations de cette expression) aux questions qui touchent à la poésie ? N'intéresse-t-elle plus que les poètes entre eux ou continue-t-elle à donner la parole à une expérience universelle ? Nous pourrions nous demander ensuite ce qu'est cette mondialisation en termes de marché. Y a-t-il une valeur marchande de la poésie ? On sait bien qu'en termes de transaction, de circulation de biens, la poésie est affectée d'une grande faiblesse si on la compare aux oeuvres picturales, par exemple. Et cette non-appréciabilité diminue-t-elle l'existence sociale de la poésie ? Ces rencontres, je les nomme avec humour "États généraux de la poésie", car n'y dialogueront que quelques dizaines de représentants de cet art poétique. Mais qui le représenteront bien, du moins je l'espère.

A. L. : La traduction de la poésie, depuis quelques décennies, occupe une place importante dans l'écriture de nombreux poètes. La revue Po&sie que vous animez en est un bon exemple.

M. D. : Oui, la problématique de la traduction intéresse de plus en plus de monde, y compris les poètes eux-mêmes. Comment la littérature et particulièrement la poésie vont-elles, moins facilement que l'euro sans doute, passer les frontières? L'avenir, s'il y en a un, est dans cette immense conservation des langues.

22:55 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)