06/02/2018
"Sept figures palustres pour Jean-Luc Brisson", de Laurent Debut
De ce livre, qu'a écrit et édité Laurent Debut, poète et fondateur des défuntes éditions Brandes, enté d'un estampage électrolytique de Jean-Luc Brisson :
"Sept figures palustres pour Jean-Luc Brisson", (tiré à 120 exemplaires le 2 mars 1985)
on retiendra ses vers brefs, taillés à la serpe, aux accents chariens, dans la lignée de ceux d'un Jacques Dupin in "Une apparence de soupirail" (éd. Gallimard, 1982) :
"Mécanique des faces, entame au cœur foudroyé / la grenouille adopte le mouvement / et le mouvement est une couleur de la peinture.",
ou :
"Lente ligne en écart qui t'alimentes d'acidités, / ta palme ira noyant son ombre. L'éclat des matériaux / qu'on rive au futur se venge du dissecteur."
Variation autour de la grenouille donc, la grenouille de laboratoire, livrée à la cruauté humaine (c'est le sujet de la gravure même), pour en arriver à cette phrase conclusive :
"En profusion d'herbe, dit la grenouille, je goûte le souffle d'une terre qui caresse la lèvre parce que nous ne savions pas que le jour commence aux premières eaux, ces passions, comme le sang ne connaît que le voyage du sang."
Chaque aujourd'hui de la vie du monde, chaque instant de l'expérience personnelle est comme tissé dans ce livre à la mystérieuse totalité d'une création dont le plus grand des "dépréciateurs" serait l'homme, qui pour se dédouaner en appelle à la culture, en dépit de ce que nous offre la nature donc. Ici s'inscrit le verbe du poète, lui qui souvent invoque une présence qui se fait attendre, qui avive le désir - ou le contredit. Puisque le statut du signe est aussi bien tourné vers l'avenir que vers le passé, il en résulte que la parole poétique en elle-même renvoie à cette double tension entre le sentiment, voire l'affectif qui touche à notre condition humaine et son expression : une condensation de la temporalité, nourrie de l'observation du monde, distraite des racines de la création.
Alors : "Tout est fortune pour l'image / du lieu où se partagent les effets du courant."
Et : "Le fil de l'eau conduit la source pour être raconté..."
Balance où la vie va, la vie vient, ou quitte la partie, mangée de nuit. Quand le poète, lui, rêverait que le fleuve du cœur toujours et sans fin fraye sa route à grandes foulées, à grandes eaux farouches... "La bête en moi qui bouge / en elle un ange rêve...["Contrechant", Jacques Dupin, in Cahiers GLM, mai 1949 ; repris dans "Cendrier du voyage", éd. GLM, juin 1950].
Rappelons s'il en est besoin que les éditions Brandes était une maison associative née en 1976, qui cessa ses activités à la mort de son fondateur Laurent Debut, en 2014. Que Jean-Luc Brisson est un artiste plasticien, créateur de jardins, professeur à l’École Nationale Supérieure du paysage, dont je vous invite à écouter l'intéressant entretien qu'il a eu avec Xavier Thomas sur Radio Grenouille :
http://www.radiogrenouille.com/audiothèque/
au-paradis-entretien-avec-jean-luc-brisson
(résidence autour de la cité du Plan d'Aou, pour l'édition de son livre "Le Paradis", tout un programme !). Un moment de plaisir, vraiment.
Daniel Martinez
17:01 Publié dans Auteurs, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
14/01/2018
"Le désert, Rimbaud", éd. Atelier de l'agneau
C'est Jean Esponde qui m'a envoyé cette semaine son dernier livre intitulé "Le désert, Rimbaud", qui renouvelle notre vision de l'éternel adolescent qu'il fut. Sa dédicace : "... L'aventure africaine d'un poète qui ne fut pas trafiquant d'esclaves, il ne l'a jamais été et pas davantage trafiquant d'armes, il ne l'a jamais été..." mérite que l'on se penche de plus près sur le sujet. Mais enfin, on veut bien comprendre Esponde dans sa tentative de réhabiliter quelque peu Rimbaud : livre qui sera commenté in Diérèse opus 73. Amitiés partagées, D. M.
11:25 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
10/01/2018
"Eloge du jaune" de Jocelyne François
Au rayon des douces merveilles à découvrir, un extrait choisi d’un ouvrage rare et de qualité, dont je vous donne lecture sans plus tarder. Ce recueil : Éloge du jaune, a pour auteure Jocelyne François ; il a été édité par Michel Chandeigne en mai 1990 à 300 exemplaires, dont 60 sur Arches, entés d'une sérigraphie de Bertrand Canard. Je m'y suis replongé juste après avoir vu fleurir les premières fleurs du forsythia de la rue Sully où j'aime à présent le rencontrer au petit matin une fois les premières ombres dissipées, pour souffler un peu de lumière pure sur le ciel si gris de ces derniers jours :
Aujourd’hui 24 mai 1981 je me demande si la durée amoureuse ne serait pas d’essence jaune, ne serait pas de cette couleur qui semble s’engendrer à mesure comme si un feu intérieur ayant dépassé de beaucoup le stade du rouge et s’approchant du blanc l’alimentait secrètement. Dans l’avion qui me ramenait de Montréal quelques jours plus tôt, après la traversée de l’Atlantique, après le cordon des vagues sur le littoral, n’est-ce pas dans la géométrie capricieuse des terres cultivées les quadrilatères jaunes du colza que j’ai cherchés d’abord ? Parmi les miroitements, les serpentements, les groupes des toits, les forêts ou les boqueteaux, ils concentraient la lumière terrestre, eux seulement. Après la nuit si courte, à peine plus obscure qu’un crépuscule, et le paysage sans limites des nuages très progressivement éclairés d’un seul côté par l’aube puis d’une façon plus pénétrante par l’aurore, après cette splendeur inhumaine, ce sont les champs de colza qui m’ont rappelée aux genêts de la colline, aux terrasses de pierres sèches, aux pourpiers qui unissent si subtilement le rose et le jaune dans les pierres creusées du jardin, à cette redescente dans le monde des choses où tu allais, venais, étendant tes peintures au soleil, les confiant au rayonnement suprême du jaune.
Jocelyne François
20:18 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)