15/10/2018
Leslie Scalapino (1944-2010) traduite par Dominique Fourcade
Écrivain américaine que l'on rattache communément aux poètes de la langue (language poets) elle se considérait proche de la Beat Generation [rappelons au passage que le prochain Diérèse donnera des traductions inédites de Gregory Corso, in Gasoline, avec une préface inédite aussi en français d'Allen Ginsberg]. Le meilleur titre de Leslie Scalapino à mon sens : "Way (Poems)" chez Green Integer 1988, rééd. 1992. La voici donc traduite par Dominique Fourcade :
Considère certaines émotions par exemple s'endormir, dis-je
(particulièrement quand on est debout sur ses deux pieds)
comme semblables
à la crainte, ou la colère, ou l'évanouissement. Je le ressens
ainsi. Le sommeil
en moi est induit par du sang entré de force dans les veines de
mon cerveau. Je ne peux me fixer. Ma langue est engourdie
et si grande elle en est longue comme la langue d'un veau ou
une langue de chèvre ou de mouton. De plus, je bêle.
Oui. En privé, au lit, la nuit, la tête
tournée de côté sur l'oreiller. Pas étonnant que je dise que
j'aime dormir.
Leslie Scalapino
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25/09/2018
Herberto Hélder de Oliveira, traduit par Filipe Jarro
Après l'émouvant hommage à Claude Courtot signé par Jean-Pierre Silbermann, revoici un poète dont les médias parlent peu certes, mais non sans qualités... De sa fameuse interview conduite par Filipe Jarro en 1999, un deuxième extrait de ce qu'il (lui) disait alors :
"Quand elle finit de lire le manuscrit d'Une Saison en Enfer, l'ébahie Veuve Rimbaud - comme elle-même signait sa correspondance - questionna son fils sur le sens de ce qu'elle venait de lire. Arthur répondit que cela signifiait littéralement et dans tous les sens ce qui s'y trouvait. Bon. Aidons un peu cette sorte de veuves : pour chaque auteur le sens de chaque poème est littéral. Si les veuves y parviennent - que diable ! elles doivent bien parvenir à quelque chose -, qu'elles trouvent cette littéralité. Je crains qu'elles ne la trouvent jamais, car ou bien l'on comprend tout comme chose évidente, je veux dire : la littéralité de l'auteur coïncide avec la littéralité du lecteur, ou bien il n'y a pas de remède au veuvage. Assez de conversations au bord de mer quand la mer est là, invitation au voyage, la mer attend le bateau ivre."
Ne coupez pas le cordon qui relie le corps à l'enfant du rêve,
le cordon astral à l'enfant aldébaran, ne coupez pas le sang,
l'or. La racine de la floraison
caillée avec son nœud
au centre des bois
noirs. L'enfant du portrait
dévoilé lent à la lumière de quand on
dort. Comme il pense déjà,comme il a des ongles de marbre.
N'entaillez pas le placenta par où le souffle
du monde se répand dans sa tête.
La veine qui le relie à la mort.
Ne lui arrachez pas le bloc d'eau étreinte où il arrive
bras à bras. Il suffoque.
Mais ne dénouez pas l'étreinte insensée.
Il déplace la terre en se déplaçant.
N'essuyez pas le sel aux lèvres. Cet objet astéroïde,
ne le retirez pas.
L'arbre d'albâtre que les ruisseaux
frisent, laissez-le se fendre :
- Des entrailles, entre deux enfants, celui qui était vivant
et l'enfant du souffle, monte
tant d'opulence. Le travail confus :
que soit brillant le pourpre.
Rangées de soufre, rameaux de quartz, fluor âpre dans les bourses
pulmonaires. Laissez se répandre les réseaux
de la respiration depuis le chaos maternel jusqu'au rêve de l'enfant
exacerbé,
unique.
Herberto Hélder
in Última ciência
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27/08/2018
"Vers la steppe", de Joël Vernet, éditions Lettres Vives, 2011
Hommes qui ont cherché les sources, les puits et les sources. Qui ont cherché en vain, mais se sont mis en marche. Seuls importent cet élan, cette tension soudaine, cette gloire du désir. Au bout, nous le savons, c'est la nuit. Mais avant, il y a le chemin, il y a les obstacles, toute une vie en relief, les éclats de rire, les ténèbres, la joie, l'ennui, la solitude, la maladie, l'incurie, la ferveur et des milliards de visages, des milliards de voix auxquelles notre petite vie tente de prêter l'oreille avec ses tambours, ses archets de trois sous. Oui, la mort nous donne toutes les forces. Je pense à tout cela sous la treille d'une maison, dans un village abandonné, quand un chat maigrelet me regarde de ses yeux immenses puis dépose sa vie à mes pieds, cherchant fortune entre mes jambes...
Joël Vernet
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