21/04/2019
Christian Dotremont (1922-1979)
L'un de ses récits de Laponie, l'un des logogrammes qu'Yves Bonnefoy jugeait "parfaitement admirable(s)" :
Quand j'arrive à Ivalo, en Laponie finlandaise, je laisse mes bagages à l'auberge, et je vais immédiatement me promener sur la route, et j'ai l'impression d'être tout renouvelé, en même temps que je retrouve des amis, et tellement de choses, qui n'ont pas changé ou presque pas. Et quand je reviens à Tervuren, point de départ de mes points de départs, je laisse mes bagages dans ma chambre, et je vais immédiatement me promener dans les rues, et j'ai l'impression d'être tout renouvelé, en même temps que je retrouve des amis et tellement de choses, qui n'ont pas changé ou presque pas. C'est ainsi que j'ai l'impression d'être vivant dans une éternité, d'être éternel dans la vie, dans deux villages qui pour moi sont un seul univers infini par leurs différences et par leurs ressemblances, et par moi qui les unis dans mon cœur, et - par diverses écritures - dans ma poésie.
Christian Dotremont
A lire aussi : La Pierre et l'Oreiller, éd. Gallimard 25 mai 1955 : roman, récit, autobiographie tout à la fois.
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09/04/2019
Yang Lian
Voici un poète dont vous n'entendrez pas beaucoup parler, certainement pas dans les anthologies de poésie étrangère et les critiques l'"oublieront" au passage ; pourtant c'est un immense poète ! Il est, sachez-le bien, chinois. Yang Lian est né en 1955 en Suisse, il a grandi en Chine... Premiers écrits quand, en 1970, il est envoyé dans la province du Guangxi lors de la Révolution culturelle. En 1983 ses livres sont interdits en Chine ; Yang Lian s'exile quelques années plus tard, en Allemagne. Mais plutôt, écoutez-le :
Adagio de la mer
La douleur doit avoir son propre recoin : minuit
ou la fenêtre. La muqueuse de la mer colle à la vitre.
Avec lenteur la matière des ténèbres sourd de tes yeux.
Le vin rouge est fanal de bateau la nuit.
Tu entends l'estuaire des veines de ton corps crier un nom.
L'adieu qui se refroidit feuillette un manuel.
Au loin, un tableau noir est accroché en-deçà de la nudité de minuit.
Les vagues n'en finissent pas de réciter les leçons d'un visage.
Le poème renvoyant la lumière reflète la pensée des poissons avant leur naissance.
Mille lignes horizontales ajournent le mot mer.
La chair soumise des flots se brise contre ce jour qui ne peut être ajourné,
tout comme chaque jour. Fixer le lointain est distanciation.
Le verre qui crisse alentour est aspiré par tes poumons.
L'angle mort, d'une lenteur plus qu'immobile, s'assied dans
l'ivresse. L'ouragan filtré devient l'autre face du réel incolore.
La souffrance, elle, est parfaite, est aveugle.
Yang Lian
Merci de votre attention. Amitiés partagées, Daniel Martinez
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07/04/2019
"Dans la main du poème", de Pierre Dhainaut
Dans le numéro 76 de Diérèse, il y aura réunis deux poètes qui s'apprécient mutuellement, j'ai nommé Pierre Dhainaut et Werner Lambersy. Le second me faisait part tout récemment de ses craintes de passer de l'autre côté du miroir et voulait réunir/sauver au plus vite un ensemble de poèmes qui lui sont chers : "Periculoso sporgersi", Diérèse les accueillera, de bon et franc cœur. Le premier se confie sur cette "expérience" aux franges de l'au-delà, qu'il a pu vivre lors d'une lourde opération qui l'a immobilisé il n'y a pas si longtemps que cela, et ses pages ont pour titre : "Double pontage, etc..." Étonnante rencontre par le texte, du vécu de chacun. Bien dans l'esprit de la revue.
"Dans la main du poème" a paru en septembre 2007, aux éditions Henry. Je le ré-ouvre pour vous, pages 79-81 :
Du cri au chant, Werner Lambersy
Dès que nous essayons de définir l'écriture ou la vie, nous sommes la proie d'une contradiction. Nous avons le sentiment d'errer en vain, nous avons également celui de suivre un chemin. La perte ou le gain. Mais, bien sûr, cette contradiction, nous voulons la résoudre aussitôt : maudite, l'errance, nous lui préférons le chemin. Quelle que soit notre activité, nous ne pouvons nous empêcher d'établir une hiérarchie de ce genre : le plus, le moins, il faut toujours que sur le moins le plus l'emporte. Ainsi nous excluons. Nous étouffons. L'amour même, nous le concevons en termes de conflit : nous prétendons vaincre l'autre. La poésie que nous supposons libre n'échappe évidemment pas à la règle : à quoi visent nos poèmes ? Ils la traquent, ils croient l'atteindre et l'enfermer. Manie opiniâtre, occidentale, du pouvoir, nous n'obtenons que la victoire ou l'échec, qui se ressemblent, en fait, tous deux dérisoires. Comment échapper au pouvoir ? Comment écrire et vivre la contradiction sans la réduire arbitrairement, sans qu'elle nous asservisse ?
Écrire, n'est-ce pas attendre ? En nous acharnant, qu'importe, en patientant, nous n'avons qu'une idée fixe. Ce but que nous situons hors de nous, nous en désirons trop la conquête pour le rejoindre absolument, et quand nous croyons l'avoir fait, la déception vient vite, en général, l'illusion ne dure pas...
Werner Lambersy peu à peu enlève ses masques, il oublie ce qu'il a lu, ce qu'il a écrit : ce n'est pas le fleuve qui le requiert, dit-il, mais la force du fleuve. Ce n'est pas le poème, mais la poésie. Et je l'écoute avec Werner Lambersy à travers les flûtes des musiciens japonais : on y perçoit le souffle à la fois impondérable, profond, celui de l'air, celui du corps, qui délie le texte et le change en cet "espace disponible", en ce "désordre harmonieux", "où seul est sûr d'aimer". Le don, la présence au monde, intime, immense.
Pierre Dhainaut
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