04/12/2018
"La plus belle route du monde", Bernard Faucon & Antonin Potoski, P.O.L, 2000
Deuxième vague
La plus belle route du monde commence après un virage et une grande descente des collines vers l'océan : dix kilomètres de route qui longent la côte à égale distance entre le rivage et le haut des collines. On roule jusqu'au bout, où la route s'éloigne à nouveau de la côte, et on revient, en regardant défiler les petits champs mélangés aux dunes qui précèdent la mer, puis on s'arrête à proximité d'une butte de terre où nous faisons un pique-nique de mandarines, d'avocats au citron, de concombres, de Vache qui rit et de Danone à la vanille.
On regarde surtout vers le bas, vers l'océan, mais la colline à laquelle nous tournons le dos est essentielle, on la ressent comme le contrepoids du paysage auquel nous faisons face. Souvent les routes traversent le paysage en le découpant. Ici, la route tient le paysage, elle est posée sur la ligne merveilleuse où les forces s'équilibrent. Le regard est guidé en pente douce par les lignes de pierres qui bordent les champs tout en longueur, alternant avec les dunes et les bosquets d'arbustes, sur un kilomètre, jusqu'à l'eau bleue.
Antonin Potoski
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21/11/2018
Le poétique, pour Edmond Jabès (1912-1991)
Nous n'écrivons que la blancheur où s'écrit notre destin.
Le poétique, c'est le faire souverain ; c'est l'objet où il se dépasse, où il renaît de ses imprévisibles prolongements.
Penser le poétique, c'est penser l'objet dans sa réalité profonde, au cœur même de l'objet pensé.
C'est donner pour vis-à-vis à la pensée, une pensée qui la contraindrait à renoncer à être une pensée de l'objet pour n'être qu'objet infini de la pensée, brouillant les pistes du réel et de l'irréel afin d'y creuser son chemin propre.
Pensée pure où elle se veut pure approche du livre et de l'univers, non plus où ils se font mais où ils se défont pour s'ouvrir à la lecture.
Edmond Jabès
09:47 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
17/11/2018
Michel Couturier (1932-1985)
Un poète rare, peu cité sauf par quelques connaisseurs, une histoire interrompue prématurément par la vie même (celle qui abrège nos jours). Un auteur trop modeste pour mériter les feux de la rampe, mais un authentique descendant des surréalistes, avec cette dose de folie qu'il faut pour battre l'étendue sans laisser de trace. En restant perméable aux mots d'aujourd'hui comme d'hier rachetés pour la langue, pour le signe, pour prendre feu, pour énerver les lignes, le linon rose pâle, pour conjuguer les corps inertes et les éléments vitaux, pour échapper somme toute aux apparences, toujours trompeuses.
Autre chose : ne laissons pas nos intellectuels s'emparer de cette œuvre qui n'a pas été construite pour eux et leur échappe très largement. Le poète se moque de celles et ceux qui voudraient trouver la clé alors même que sa demeure est ouverte à tous les vents et qu'il a depuis belle lurette perdu son chemin hors des chemins tracés, des connexions admises. Bien plutôt, interceptons la lumière de ces vers qui compose et sépare tout à la fois, aux fins de reconstitution. Laissons-nous porter par sa lyrique, ses stries ; par la circulation des sangs, jusqu'à plus soif. Sachant que la fin égale le début : d'un souverain détachement. Daniel Martinez
Travaux liquides
Travaux d'approche des éclairs
Vers le point d'équilibre des orages
Qui leur permettrait d'agir
D'investir leurs genoux sur les vitres
D'accommoder dans le désaccord des vents
Le village de leurs toitures emportées
D'articuler à leurs éléments disjoints
Leur absence même dans les fibres de la lumière
Ton désir ? Que dans l'opacité du jour que ces jours
Entrent tard comme un coin dans la nuit
Que la nuit reste à l'aube portée par un son Qu'elle
Réside transparente au jour Qu'elle l'immobilise
Le sens de vos conjugaisons réversibles ô Fortunes
O Douleurs - votre espace de branches actives
Liquides ou confuses aux lisières des labours
Ou aux confins des herbes surélevées
Dans les boules rouges que fait le sang sur la lèvre
Brisant la surface de vos images épilées : parcs aveuglés
Mais tout érigés dans lesquels nous errerions désolés
Michel Couturier
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