241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/07/2014

Au sommaire des "Carnets de Gilbert", dernière mouture :

     – Carnets de Gilbert (1929-1944)

     – Carnets d'un Personnage (1944-1960)

     – Qui parle ? (1960-1964)

     – J'écoute (1965)

     Pour accompagner, tout d'abord une page extraite du premier ensemble :

"Derrière l'amour, derrière l'orgueil, derrière l'intérêt, le secret moteur de nos actions, c'est le désir d'être en paix, le goût du néant, qu'un homme apporte en naissant, et qui ne fera que croître jusque-là qu'il soit comblé pour toujours. Je hais cela, que toute ma vie peut-être (je le crois du moins) s'est passée à fuir. Mais comme je le comprends !

Nous portons notre vie comme une monstruosité, et n'avons de cesse que nous ne l'ayons oubliée. Seigneur, dissipez tout ce qui nous empêche de dormir : le bruit du sang, la vue des choses, et les tenaces étoiles – celles-là surtout qui nous guettent par-delà les tombes."

     Et puis, pour compléter, deux pages extraites de "Qui parle ?" :

"Mais il y a les instants de grâce, toujours imprévus. Je me suis trouvé sur la côte, ce matin, à l'heure où la marée d'équinoxe dénudait autour de l'île une immense étendue rocheuse. Dans les trous, entre les sombres lueurs des varechs : de minces miroirs, d'un bleu d'argent, si purs que j'en étais ébloui. Mais plus loin, c'était le bleu apaisé des grandes eaux ; à l'horizon, la vague blondeur du continent ; blond aussi, le ciel sur ses bords, mais passant, à mesure qu'il montait, par d'imperceptibles dégradations, jusqu'à un bleu souverain, de sorte qu'il unissait tout, que toutes choses semblaient formées d'un même élément, et que je ne voyais plus qu'un seul et merveilleux visage. Je m'y suis offert, je l'ai reçu en moi, aucun de ses traits qui ne me fût une atteinte, mais la plus douce, et je ne savais qui remercier de ce don.

J'en ai remercié, faute de mieux, le destin qui a fait de moi cette façon d'homme, ce vivant qui ne sait pas vivre, qui s'est partout déchiré, mais en qui la grâce, quand elle vient, épouse exactement les meurtrissures."

                                                                                        Marcel Arland

14:50 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

24/06/2014

Pierre de Ronsard (1524-1585)

 

ODE DE L'ETE.jpg

Livre 1

 

Ode 10

Strophe 1

 

       Errant par les champs de la Grâce

       Qui peint mes vers de ses couleurs,

       Sur les bords dircéans* j'amasse

       L'élite des plus belles fleurs,

       Afin qu'en pillant je façonne

       D'une laborieuse main

       La rondeur de cette couronne

       Trois fois torse d'un pli thébain,

       Pour orner le haut de la gloire

       Du plus heureux mignon des dieux,

       Qui çà-bas ramena des cieux

       Les filles qu'enfanta Mémoire.

 

Antistrophe

 

       Mémoire, reine d'Eleuthère,

       Par neuf baisers qu'elle reçut

       De Jupiter qui la fit mère,

       D'un seul coup neuf filles conçut,

       Mais quand la lune vagabonde

       Eût courbé douze fois en rond,

       Pour r'enflammer l'obscur du monde,

       La double voûte de son front,

       Mémoire, de douleur outrée,

       Dessous Olympe se coucha

       Et, criant Lucine, accoucha

       De neuf filles d'une ventrée,

 

Epode

 

       En qui répandit le ciel

       Une musique immortelle,

       Comblant leur bouche nouvelle

       Du jus d'un attique miel

       Et à qui vraiment aussi

       Les vers furent en souci,

       Les vers dont flattés nous sommes,

       Afin que leur doux chanter

       Pût doucement enchanter

       Le soin des dieux et des hommes.

                                   Pierre de Ronsard

 

       * de Dircé, la fontaine de Pindare, près de Thèbes

 

Ronsard, né au château de la Possonnière en Vendômois, ne put poursuivre, en raison de sa surdité, la carrière qu'il avait commencé comme page en 1536. Il entreprend alors d'être poète et, en même temps que Du Bellay et Baïf, se laisse guider par Dorat dans la découverte des lettres antiques. 

05:08 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

21/06/2014

Béatrice Gutierrez, Ana Rive, Louis Calaferte

           S'il est un panthéon, le mien se compose de quelques livres choisis parfois au hasard de certaines rencontres, s'ils sont peu connus et dans des éditions parfois confidentielles, peu importe ! La révolte n'est guère à la mode, elle brûle quelquefois les coeurs et se dessine dans d'humbles livres : là, entre mes mains, ce sont trois recueils de poèmes, qui me sont chers et de référence.

A commencer donc par "L'Océane" de Béatrice Gutierrez, paru aux éditions Alexandre : je ne sais ce que j'ai aimé là, peut-être le caractère métaphysique de la chose, le côté pensé de ce beau livre. Une femme dans sa grossesse, ce moment-là avec ses peurs, ses enchantements, ce vers par exemple : "Ainsi cette lumière est la naissance première et l'aube finale", il y a une sorte de tragique et son acceptation, une solennité, quelque chose du lien au cosmos - si la dimension cosmique existe encore -, ce qui se passe là est important et en impose, tellement singulière cette aventure de porter dans son corps un autre corps, deux coeurs qui battent dans la même chair. Dans le corps d'une femme, un être à naître et les questions afférentes : d'où vient-elle au juste cette vie à l'intérieur, et de quel néant, de quel avant-naître, et qui dans son futur retournera là, en ce lieu indéterminé, peut-être. Femme devant le sacré : rêvons avec elle de ces mystères.

Mon second choix va vers "Nuits" de Ana Rive, aux éditions du Contentieux (c/o Robert Roman, 7 rue des gardénias, 31100 Toulouse, cf note du 25/5), belle présentation nocturne avec un cyclope ou nyctalope de Pascal Ulrich en couverture. Bien sûr, une pensée pour Cioran, est-ce le noir ou le blanc de l'insomnie ? C'est simple et clair, et là aussi une ouverture métaphysique, silence et pluie, la religieuse veille. Matin de la nuit blanche et de l'interrogation laissée pour nous tous au final : est-ce que je laisse le sommeil me prendre, ou est-ce que je veille ? Peut-être n'y a-t-il personne d'autre que le narrateur dans ces poèmes et c'est un compliment ; juste un coeur qui bat dans l'oreiller. "Je me prépare un café / Je le déguste fenêtre ouverte / Le vent est léger et danse / Il fait encore nuit."

Je clos ce rapide choix de livres posés là sur ma table avec une perle : "Bazar narcotique", de Louis Calaferte. L'écriture des poèmes est directement soumise à la vision dictée par le verbe et le mystère qui semble tourner autour des narcotiques et les troubles induits. Cela se dit ainsi, saisi au hasard des textes : "Je meurs à l'envers / foulard vert sur les yeux". C'est une étrange méditation sur le mystère de l'esprit et celui de l'esprit sous l'emprise des narcotiques. Bien différent du dramatique Roger Gilbert-Lecomte, car Calaferte semble jouer, il n'est ni sujet ni objet, simplement il regarde ce qui se passe à l'intérieur lorsque tout devient trouble et troublant. Ce n'est pas la recherche quasi scientifique de Michaux, c'est une approche tout en délicatesse, colorée des phénomènes de l'esprit. C'est la vision qui ne nie pas et ne ment pas, "est-ce un vertige qui nous fait frissonner ce soir  ?".

                                                      Jean-Marc Thévenin (cf note du 19/5)