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26/03/2021

Salah Stétié, in Diérèse 30, été-automne 2005, 250 pages (textes d'Alain Suied, Richard Rognet, Salah Stétié, Werner Lambersy...)

Qui verra vivra


La poésie n'est pas un tapis volant. Elle a affaire avec la terre, avec le tuf. C'est là sa vérité, cette boue de l'être et de l'homme, et c'est à partir de cette boue-là qu'il faut à la poésie, cheminant, apprendre à inventer, à réinventer la transparence. Certains, dont je suis, ont besoin de cette transparence comme d'une fenêtre ouverte, pour respirer.

La langue française qui m'est si chère, à moi qui suis d'origine arabe, enraciné en Méditerranée sombre, a des pouvoirs inouïs de transparence. "Donner un sens plus pur aux mots", c'est aussi ajouter à la lumière. Non pas la lumière de l'intelligence seulement, mais celle aussi du puits obscur où l'on jette une torche - pour voir. "Qui verra vivra", dit la langue française, notre langue, dont je sais que, malgré les menaces qui l'assiègent, elle est faite pour vivre, liberté et poésie mêlées.

 

Les doigts


Je salue chacun de mes doigts.
Je salue chacun de mes doigts avec leurs ongles.
La main. Le bras.
Le bras comme un sarment arraché et l'autre bras aussi, le serment de leurs mains devant le serrement du cœur.
Les pieds aussi et leurs orteils. Les jambes.
La sève en elles vers un fouillis de violettes, ce lieu du songe.
Le ventre avec les intestins. L'estomac, le foie, les poumons.
Les autoroutes du cou. Le nez. Les yeux. Les dents.
La bouche avec sa voix. L'oreille comme une coquille.
L'éponge imbibée de tous les fonds marins, il suffit de presser un peu et ce sont pensées et images. Douleurs. Feux. Souvenirs.
Je regarde chacun de mes doigts et tous ceux-là, mes amis de toujours, ils veulent s'en aller, disent-ils, chacun seul, comme à la fin d'un colloque interminable.


Salah Stétié

Ndlr : ces textes n'ont pas été repris en livre.

25/03/2021

"Le voyage d'Alep", de Salah Stétié, éditions Les Cahiers de l'Egaré, coll. Premiers feuillets, 10/7/1991, 56 p., 500 exemplaires, 50 F (avec une photo du poète et un portrait signé par Albert Féraud)

J'ai souvenir d'avoir publié des inédits de Salah Stétié dans le numéro 30 de "Diérèse" (page 70 à 72) pour la livraison d'été-automne 2005, d'avoir confié le travail d'impression à un artisan du XXe parisien, qui s'était "acquitté" de sa tâche en me confectionnant un dos carré-collé comme je n'en n'avais jamais vu, à l'encollage si hasardeux qu'il ferait frémir tout professionnel digne de ce nom ! Mais, bon, face à ces petits braquets en marge de l'escroquerie, qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse !
... Je republierai les fameux poèmes de Salah Stétié dans ma prochaine note blog (le numéro 30 est à présent épuisé)... J'avais alors déjeuné avec ce poète, qui n'est plus de ce monde, dans un restaurant libanais du boulevard Montparnasse et il m'avait à cette occasion conté ses relations difficiles avec telle maison d'édition en vue, pour des raisons peu ou prou mystérieuses (entre autres sujets abordés). A la réflexion, ce fut un moment de première grandeur - l'envergure de l'homme égalait il est vrai celle d'un Yves Bonnefoy - moment d'exception comme j'en ai peu connu depuis.

En attendant de vous faire relire ses poèmes de 2005, cet extrait du "Voyage d'Alep", en page 21 :

*

"Une explosion de feuilles et d'air vif : le printemps. On s'était endormi dans l'hiver. Ce matin, la tiédeur me réveille. Je respire une large lumière. Sur ma fenêtre, deux tourterelles causent.
L'événement fut précédé de grandes eaux. Le ciel trop pur de l'hiver enfin crevait. Les pluies bleues tombaient du ciel gris. Elles tiraient du cœur fondu sa plainte heureuse. Les nuages brûlaient doucement.
On l'attendait. On l'entendait venir.
Tout commença par un peu d'herbe au bord des routes. Herbe d'angoisse. Le lieu de pierre, aurait-on dit, s'attendrissait. Puis d'un coup, les collines vêlèrent.
Les arbres bandent de partout vers l'astre adulte. Printemps sans brise. L'âme n'est rien qu'une présence épaisse.
La nuit sera secrètement tendue de sèves. Les aiguilles d'un autre hiver la perceront. Mais le cœur souffre déjà l'été précoce.
... Venu de bien loin, de ciel bleu, pour se perdre à nouveau dans le vague, le Kouek, insoucieux de ses rives nouvelles, continue de rouler ses eaux brunes."

Salah Stétié

13:38 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

23/03/2021

Qui mal y pense ?

A Paris, le musée du Louvre et le musée Carnavalet ont pris de concert la décision de faire disparaître les chiffres romains de certaines de leurs galeries. La raison évoquée est la difficulté pour les visiteurs de les lire. "Ils peuvent être un obstacle à la compréhension", explique la responsable du service des publics au musée Carnavalet, au Figaro. De fait, sur des panneaux ou des textes documentant une œuvre, s'il faut parler du "XVIe siècle", il sera désormais écrit "16e siècle". Les deux institutions n'ont toutefois pas l'intention d'appliquer cette nouvelle règle typographique aux rois et reines.

Nombreux sont pourtant ceux estimant que la suppression de ces chiffres dans les musées constitue un cercle vicieux qui aura pour seule finalité qu'ils soient encore moins maîtrisés. Ainsi, alors que les musées de Rouen souhaitaient supprimer la numérotation traditionnelle lors de la prochaine exposition au musée des Beaux-Arts, en s'appuyant sur la charte de l'Unapei (fédération d'associations représentant et défendant les intérêts des personnes handicapées mentales, qui demande d'utiliser un vocabulaire simple et sans références sous-entendues dans les textes explicatifs), son directeur a refusé.

La polémique a même traversé les frontières, puisqu'elle s'est retrouvée en première page de journaux italiens, comme le Corriere della Sera. Son vice-directeur y estime que "cette histoire représente une synthèse parfaite de la catastrophe culturelle en cours".