241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/04/2021

"De la poésie - Entretien avec Reynald André Chalard", de Philippe Jaccottet, éditions Arléa, février 2005, 11 €

Il est évident que la pratique de la lecture et de la poésie, et ensuite la fabrication de poèmes par moi-même plus tard, et jusqu'à maintenant, révèlent quelque chose comme un ordre qui semble être derrière les apparences, en dépit de tout. L'émotion que j'appellerais "poétique", et qui a toujours été pour moi à l'origine de la poésie, c'est cette émotion qu'il faudrait interroger, que j'ai interrogée : pourquoi telle chose tout à coup vous touche plutôt qu'une autre ? Ou bien on est un personnage hypersensible qui tremble pour n'importe quoi, et à ce moment-là ce n'est pas intéressant... Mais comme cela se répète, comme c'est central, on se dit qu'il y a là quelque chose de sérieux. Cette émotion, effectivement, c'est comme si... je n'ai jamais pu dire plus loin ; c'est comme s'il y avait tout de même, et en dépit de tout ce qui de plus en plus semble aller contre, hors de nous, ou dans la relation entre nous et le monde quelque chose qui autrefois pouvait être considéré comme un ordre général, une harmonie, et qui maintenant nous semble de plus en plus douteux... et dont la poésie ne serait finalement que la traduction : ce ne serait pas uniquement dans l'agencement des mots. Il me semble que ce n'est pas nous seulement qui fabriquons cela tout seuls par un sens du jeu qu'il faudrait à son tour expliquer : qu'est-ce qui ferait que cela nous touche ? Pour la musique, c'est peut-être encore plus purement sensible, parce que pour les mots, il y a toujours les mots, leur sens... Mais dans l'émotion de la musique, qui est vraiment d'une manière tellement nette quelque chose qui a l'air d'aller jusqu'aux racines de l'être, il y a une vibration profonde. Alors vouloir réduire cela, comme certains voudraient le faire aujourd'hui, à cette espèce de mécanisme... Cela me paraît tellement réducteur qu'au fond j'en reste à cette utopie directrice de ma vie, qui est que tout n'est pas totalement aberrant ou incohérent. C'est comme s'il y avait une poésie cachée dans le monde et dont on serait les traducteurs. Ce n'est pas vraiment original ce que je dis là, parce que cela a été dit cent fois ; mais je ne pourrais pas, pour être original, dire autre chose.


Philippe Jaccottet

25/04/2021

"Interstices", d'Alain Rais, éditions Æncrages & Co, collec. Voix de chants, 12/9/1992, 32 pages, 300 ex.

Peut-être la musique ce matin d'août. Je ne sais de quoi je me sépare, ce que j'accueille, sans suite et hors saison. Contre l'apparence du jaillissement. Tout compte fait de cette perception indolente de la pluie. Un instant l'autre ciel efface mon inhabileté à offrir une bruyère.


Le souvenir d'un rêve irrecevable. Je ne peux rien relater. Ni l'appui de ton bras, ni la chute dans l'ouverture incertaine de la nuit. Ensemble nous deux pourtant. Et attentifs. L’œil rapide informé de toutes les précipitations, toutes les éclaircies.


Quelques mots confondus. Quelques dates imprécises comme le halètement du refus. Glas risible. Les pétales, les enfants, la forêt, annoncent la fête inaugurale. C'est à eux que je m'abandonne, non sans vigilance. Prêt à poursuivre. Même perdu. Même en retard. Même à sec ou menacé de l'être. Rien n'encombre le voyage de ce peu de sève hors saison.


Alain Rais

10:25 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

23/04/2021

"Lieux communs" suivi de "Dahut", poèmes de Paol Keineg, éditions Gallimard, 25 mars 1974, 90 pages

Ruisseau


Ventre à terre les petits chevaux mongols du courant font volte-face et piétinent la céramique du fond.
      le ruisseau nerveux attaque les prairies du printemps de ses longues soies peintes,
      il s'étire, se ramifie, se couvre d'une froide fourrure noire.
      Le bâillon du barrage ne l'empêche pas de parler,
      rien n'étouffe son jeu d'animal agile barbouillé de moustiques,
      ni les mailles des ciguës, ni la glu des berges capitonnées.
      Il s'enferme sous la ferme qui fut un moulin, sans se questionner sur la nature de l'au-delà.
      Dans un dernier plongeon, comme une lame hors du fourreau, il se combine parfaitement avec le fleuve juché sur les coussins d'une marée d'équinoxe.
      Quelles raisons ai-je de parler du ruisseau ? A cause peut-être des écarts de sa fantaisie tolérée.

11-I-1973

 

Si tu sondes l'arbre jusqu'à la flamme
emplis-toi de son silence géométrique.

Solidaire de la mousse et du mouvement des feuilles
cherche le rivage sous la neige de l'écorce.

Mêle ta bouche à sa perfection confuse
entends le monde dans l'arbre qui transpire.


Paol Keineg

Ξ Ξ Ξ Ξ Ξ Ξ

blog chambon.jpg

♦ ♦ Dessin de Daniel Martinez ♦ ♦

23:16 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)