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29/04/2021

"Du sens de l'absence", de Claude Louis-Combet, éditions Lettres Vives, février 1985, 64 pages, 55 F.

Un monde qui aurait été habité, il y a très longtemps de cela, et qui aurait connu, en son temps, activité, prospérité, fécondité...un monde jadis gros de lui-même et de son bonheur édifié dans l'assurance d'une tranquille inconscience... un paradis, en quelque sorte.

De cet extrême passé, on ne saurait strictement rien dire. On ne le connaît - ou plutôt on ne l'imagine - que par défaut, parce que nous vivons entourés de choses qui, toutes, nous renvoient à cet au-delà de tous les possibles sensibles et sensuels, en même temps qu'elles nous confirment dans notre juste place : ce moment désertique où s'absorbe notre vie comme toute vie. C'est de là, en effet, de cette terre sans eau ni relief, que nous pensons notre destin. C'est de là, sur ces zones qui, pour être frontalières, n'en sont pas moins infinies, que nous découvrons, en même temps que notre rigoureuse finitude, notre vocation à l'absence.

Il n'est pas de chose, si banale et si humble soit-elle, qui ne puisse, à un certain moment, figurer concrètement et symboliquement notre radicale désertion de l'être - non seulement parce que notre rapport aux choses est, nécessairement, de l'ordre de l'extériorité (de la contiguïté, de la juxtaposition...) mais parce que, dans leurs formes (esthétiques) comme dans leurs fonctions (pratiques), les choses désignent toujours l'au-delà de ce que nous sommes. Il suffit, pour le découvrir, de pratiquer l'inattention.

C'est dans le moment où la chose, manifestement, ne sert à rien, qu'elle accède à son statut de réalité éminemment significatrice de notre indigence ontologique - nous indiquant, à l'instar d'un doigt, qui serait le doigt de Dieu pointé sur chacune de ses créatures, le creux absolu qu'elle porte en elle, et avouant, par là même, que, dans sa compacité traficable, elle n'est jamais que la surface contingente et muable de ce qu'elle prétend être ou de ce que nous avons décidé, une fois pour toutes, qu'elle doit être.


 Claude Louis-Combet

20:08 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

28/04/2021

"Fables pour ne pas", de Bernard Noël, vignette de couv. C.G. Guez Ricord, éd. Unes, 96 pages, 19/11/1985

                                                   La clef
                                                   Où est la clef ?
                                                   Les insectes se la passent
                                                   Les balais la balaient

                                                   Henri Michaux.

Fable des mots nés


       il s'est vêtu de papier
       l'homme noir

       il a sué sa poussière

       il a dit
       maintenant
       lisez

 

       la terre a produit
       des mots

       les mots ont produit des mots

       le bout du monde
       a poussé au bout de la langue

       tout s'est couvert
       d'une peau de temps

 

       il y a eu l'avant

       il y a eu l'après

       et la vie de derrière le dos
       et la vie de devant les yeux

       on a perdu le milieu

 

       qu'arrive-t-il
       disait-on

       le soleil est une mouche
       qui laisse des pattes partout

       on prend le frais
       à l'ombre des lettres

 

       alors
       la
       vie
       est
       devenue
       le
       mot
       manquant


Bernard Noël

P. POEME 1 ROGNET 1.jpg

Dessin de Pacôme Yerma

20:08 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

27/04/2021

"Vers la steppe", de Joël Vernet, éditions Lettres Vives, octobre 2011, 96 pages, 14 €

On se souvient de la chambre minuscule, des branches qui cognaient aux fenêtres, du lilas dont l'odeur se répandait partout dans la maison, du bout de paysage que la terre déposait dans nos yeux. Des taches au plafond, du couinement des souris autour des sacs de blé, des chats à l'affût, des grains éparpillés sur le plancher, du pot de fleurs vide sur le rebord de la fenêtre de la ferme, des journaux froissés, de l'alcôve froide et de son si beau bois jauni sur lequel avaient été incisées des gravures abstraites ou de folklore local, rosaces que l'on retrouvait parfois sur les moules du beurre ou les magnifiques barattes remisées dans le silence d'un débarras parmi de vieilles fourches, des râteaux défaits, des cagettes à l'agonie dans lesquelles séchaient une poignée de cèpes. Elles attendaient leur jour de sortie, celui où l'on verserait du lait dans leur ventre. Des toiles d'araignées tentaient en vain de les habiller de leur fil mais leur réclusion étant brève, les dames noires allaient étendre ailleurs leur filet qui vous collait aux doigts à l'improviste dans quelque sombre grenier où les seuls trésors étaient de vieilles poutres, des gravats, la page d'une feuille de chou pouvant indiquer que le Pays avait flambé autrefois, en proie à d'anciennes terreurs. L'oubli, en quelque sorte, avait été lui aussi remisé au grenier, parmi des signes qui nous font dire aujourd'hui que mourir n'est pas que du vent. Tout, en effet, retourne au grenier, et à l'oubli. Même le grain des voix qui ne murmurent plus un jour à nos tendres oreilles ou ce baiser des lèvres qui s'est éteint sur nos joues.

Le chevreuil enfui, je demeurais la bête, l'idiot que je n'avais jamais cessé d'être, en proie au beau mirage de la langue qui m'était promise.

En une nuit, une seule nuit, des champignons s'étaient hissés vers la clarté et ressemblaient à de tout petits bonhommes égarés, maugréant derrière les arbres au passage des enfants et des bêtes. Les insectes fuyaient sous les souches et, s'ils ne le pouvaient, étaient écrasés sous les sabots ou détruits par nos propres doigts. Leur sang infime se mêlait au vert de l'herbe et l'enfant aimait reconnaître à distance le chapeau jaune d'un canari ; était ainsi nommé ce champignon souvent solitaire et caché sous la mousse. L'apercevoir, de loin, provoquait de la joie, une sorte, oui, une sorte de ferveur qui venait récompenser l'apprenti-explorateur. Tout comme de voir fleurir des marguerites presque dans la maison, qui poussaient sur le seuil, s'inclinant à chacun des passages. Grandes dames. Très grandes dames. Leurs couleurs soudaines alarmaient le regard et la cour de terre s'avérait déjà un territoire presque de l'étranger. L'ailleurs fut toujours un appel ; le départ, un moteur. Aujourd'hui encore, le chaos de chaque pièce de la maison en porte trace. Entre les murs, sommeillent à peine un bivouac, de rares objets, des signes au sol, la marque d'un passage indicible. Une valise est sur le seuil, toujours, attendant qu'un nuage la prenne par le bras.


Joël Vernet

1ère ENCRE.jpg

encre de Jean-Claude Pirotte

Ce livre de Joël Vernet a toute une histoire. Il m'a été offert le 1er janvier 2012 et dédicacé de la manière : "Pour Daniel Martinez : Vers la steppe, qui m'a conduit de la Merveille du Jardin vers la vie immense, Amitié, JV". (remarquez les deux majuscules). Particularité de cet opus : il est entièrement annoté de la main du poète, des passages soulignés, encadrés, j'en choisis deux, le premier page 28 : "La vérité est peut-être ce qui ne détruit jamais aucun homme, ce qui illumine le regard d'un enfant et non les lois de l'histoire que déversent les Beaux parleurs.". Deuxième exemple, page 86 : "Sans l'écriture, je serais mort voilà bien longtemps car l'écriture, c'est plus que l'écriture, c'est le souffle même de la vie." Je note enfin, en page 42, que Joël Vernet a fait suivre cette phrase d'un point d'interrogation, qui lui n'a pas été imprimé : "Que le réel soit le Livre permanent. ?" DM

18:39 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)