10/05/2021
Trois dessins inédits du poète Christian Gabriel/le Guez Ricord (1948-1988)
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"Un ciel élémentaire", de Bernard Hreglich, éditions Gallimard, 160 pages, 21 mars 1994, 105 F
Itinéraire de la source et du verbe
Tisserand les jours d'hiver et voyou sous la crédule
Illustration dont il faut cerner les vitres
Afin d'épuiser les sens et les rythmes de ce paysage
Surchargé d'arbres fruitiers, de syllabes nécessaires
Où jamais tu ne viendras si j'en crois tes broderies
Sur un châle interminable. La géographie distribue comme à plaisir
Les dividendes de la mer, interdisant aux profanes
La pratique des écluses.
Je négocie l'audience et les cheminements
De cette œuvre aux longs parcours achevant comme le fleuve
Ses voyages dans une ville aux portes monumentales.
il convient de perdre la tête sous tes nuits d'incertitude
Et plus loin, dans le futur, trahir l'antique
Flèche de saule pour une éclisse glissée dans le givre verbal.
Bernard Hreglich
Le poète Bernard Hreglich, né en 1943 à Tunis, est mort à Paris, lundi 12 août 1996, des suites d'une sclérose en plaques. Il était âgé de cinquante-trois ans.
"J'ai un réel besoin de fuite", écrivait-il dans son premier recueil, Droit d'absence (Belfond), qui, paradoxalement, assura aussitôt sa présence parmi les tout premiers poètes de ce temps. C'était en 1977. Bernard Hreglich avait 34 ans. Le prix Max Jacob distinguait là une œuvre grave et lente, parlée plutôt que chantée, indifférente à toute notion d'école ou d'opportunité, assimilable au journal d'une solitude vigilante, sans colère ni dédain. N'exploitant d'aucune façon son succès, Bernard Hreglich attendra dix ans pour publier de nouveau.
Ce fut un mince recueil, Mètre visage (Sud-Poésie, 1986), que le jury du prix Jean Malrieu couronna à l'unanimité. Encore sept années de retrait, ponctuées de déchirements amoureux, de condamnations du "siècle aux épisodes carnassiers" et "d'abandons à l'écriture dans ce roncier parcouru de tragédie", et parut un important volume, Un ciel élémentaire (Gallimard, 1994), tout de suite salué par la critique exigeante et couronné par le prix Mallarmé, où apparaissait, disait le poète, "le mal qui me ronge".
Ce mal, il vient d'en mourir après avoir, malgré de perpétuelles souffrances, mis au point un ultime recueil au titre à la fois poignant et beau : Autant dire jamais (qui sera publié chez Gallimard le 3 octobre 1996). A peine avait-il pu en corriger les épreuves. Il s'est absenté pour toujours avant de le voir paraître. En voici le bouleversant exergue :
"Ce soir, je me contenterai du silence de l'absence et de cet œillet sauvage qui fut son dernier caprice avant de perdre la raison."
Jean Rousselot
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"Alentejo", d'Eugénio de Andrade, traduit par Christian Auscher, éditions Michel Chandeigne, août 1989, 28 pages, 265 ex.
En Alentejo, à la fin de juillet ou au début d'août le regard atteint son zénith. Devant l'horizon ras et net, tout semble collé à la terre : les murs, les arbres, les meules de paille, les montes, dès qu'on les distingue dans le lointain. Un délire de lumière monte à la tête - jusqu'à faire mal. Tout éclate comme des grenades mûres et se couvre de brillances. La lumière entre même par les fentes à l'intérieur des maisons, portes et fenêtres closes, se faufile sous les tuiles pour se réfléchir, légèrement rosée, sur la blancheur du mur. Dans la cour, une eau secrète jaillit d'un étroit conduit - un pur délice. Odeur de terre et de chaux, odeur de coriandre et de fromage sec. Odeur de ce qui vient de la terre et retourne à la terre. Un son de grelots, le trottinement d'une mule, le cri d'un enfant se distinguent à peine tant ils viennent de loin. Dans ce long et ardent été du sud, il n'y a que les cigales qui possèdent d'amples modulations. Alentour tout est silencieux et sec. Même les hommes ne parlent pas ; mais leurs yeux brûlent comme deux pierres exposées au soleil pendant des milliers de jours. Il n'y a qu'eux pour témoigner qu'en Alentejo tout ne naît pas ou ne meurt pas écrasé à la terre. Eux et quelques pigeons sauvages qui rayent subitement le ciel et semblent s'enfuir du cœur âpre, ardent et amer de mon pays. J'ai parlé de la lumière de l'Alentejo mais, en vérité, ce n'est pas elle qui me lie et me relie à cette terre : elle est trop acide et il lui manque cette douceur ultime méditerranéenne que l'on trouve plus au sud. Ce qui me fascine ici, c'est une conquête de l'esprit sans équivalent dans le reste du pays, en un mot : un style. Le meilleur de l'Alentejo c'est une liberté qui a choisi l'ordre et l'équilibre. Ces forme pures aux lignes et aux couleurs sobres, qui vont du paysage à l'architecture, de l'architecture au vêtement, du vêtement au chant, sont l'expression d'un esprit terrien, jaloux de sa limpidité et capable de la suprême élégance d'être simple.
Eugénio de Andrade
01:04 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)