19/05/2021
"Impossibles lointains", d'Alain Le Beuze, éd. Folle avoine, 1988, 46 pages, 40 F
Alphabet de sable
nulle route
dans cette ébriété de lignes
nulle pierre, nulle herbe
pour essarter la peur
le bleu menaçant
et la horde ininterrompue des dunes
dans la lumière
des silhouettes peureuses
font vaciller l'immense
ta main juste ta main
comme repère
ou illusion
marcher là
fouler ces friches de lumière
c'est réponse à l'oubli
* * *
en bas
la mer laborieuse
décadastrée
archive sa litanie de cailloux
envie de déserter
loin des falaises prétentieuses
de trahir
élaguer le silence
serait justice
* * *
dans cette lumière neigeuse
l'arbre n'est plus
qu'une ombre transie
les champs inaccessibles
dans ces coulisses de lumière
suivre ces taches rebelles
c'est approcher les redans
toucher le peut-être
d'une terre insolite
Alain Le Beuze
10:04 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
17/05/2021
"Jean le bleu" de Jean Giono, éditions Grasset 1932, coll. "Pour mon plaisir", 316 pages
Chapitre IV
Dès la nuit tombée, j'allais m'asseoir près de l'établi de mon père. Il allumait sa haute lampe de cuivre. Puis, il dépendait les cages.
Il avait cinq cages pleines d'oiseaux : des canaris, des pinsons, des chardonnerets, et une petite cage d'appelants où il gardait un rossignol, tout seul. La cage du rossignol sentait la pourriture. Il fallait le nourrir avec des vers de terre tronçonnés et hachés. Mon père hachait les vers avec une fourchette en fer dont il avait aiguisé les cinq branches en les limant avec son tiers-point. Il nourrissait aussi son rossignol avec des mouches. Il raflait les mouches avec sa main, puis il allait donner pâture. Le rossignol aiguillait son bec à travers les barreaux pour piquer le ventre de la mouche. Il en coulait une goutte de sang blanc et épais comme du pus. Quand c'était une grosse mouche ou un taon, mon père cassait la bête en deux. Il donnait d'abord le corselet aux ailes bleues.
- Le moins bon d'abord, disait-il.
Après, il tendait doucement la petite vessie du ventre plein de miel.
La lampe allumée et réglée, mon père dépendait les cages. Il les plaçait à côté de l'établi, pour que les oiseaux soient dans la lueur rousse de la lampe, et, au bout d'un moment, ils se mettaient tous à chanter.
J'écoutais les pinsons et les chardonnerets surtout. Pour que le rossignol se décide, il fallait le mettre un peu dans l'ombre, près du baquet où le cuir trempait. Alors, il commençait par de petits sanglots.
- Écoute, écoute, disait mon père.
Tous les oiseaux se taisaient, se perchaient en grappes sur les petits perchoirs de bois et restaient là, ébouriffés et peureux, et on voyait trembler le bord transparent de leurs plumes.
- Écoute.
Le rossignol pleurait tout doucement pour lui-même. Une petite voix grêle qui avait la couleur grise et rouge de la douleur.
- Écoute, il désire.
Jean Giono
05:26 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
16/05/2021
12 février 2008 : La vente de la bibliothèque de Gwenn-Aël Bolloré, avec Henri Michaux en vedette !
Ce fut le rare moment de brouhaha dans une salle pleine et attentive, plus de trois heures et demie durant, chez Sotheby's, mardi 12 février 2008, de la bibliothèque de Gwenn-Aël Bolloré, pour un montant total de 1,43 million d'euros : l'enchère de 120 000 € (plus les frais) atteinte par les quinze pages d'écriture tracées par Henri Michaux sous l'empire de la mescaline pour être insérées dans Misérable miracle - record absolu pour une œuvre, graphique ou littéraire, de l'auteur de Connaissance par les gouffres. La photographie de Michaux prise par le papetier breton sur le perron de la demeure familiale, près de Quimper, qui lui avait valu les reproches du Barbare en Asie ("Vous m'avez volé mon âme"), n'a obtenu que 1 600 € (estimée à 2000-2500 €).
En revanche, les prix de la plupart des œuvres de Michaux, soit plus de 50 numéros sur une vente qui en comptait 243, se sont envolés : 32 000 € pour les dessins destinés à illustrer Entre centre et absence, 26 500 € pour une édition accompagnée d'un pastel des Meidosems, tandis que Nous deux encore, un texte écrit par le poète après la mort tragique de sa femme et qu'il ne voulut jamais rééditer, obtenait 6 500 €, très au-delà de ce qui était annoncé.
Le début de la soirée avait vu les Chants de Maldoror, illustrés par Salvador Dali, adjugés 340 000 €, tandis que l'intrigant carnet noir contenant des poèmes de jeunesse d'André Breton et ayant appartenu à Eluard, partait à 25 000 €, en dessous de l'estimation basse. Souvent, le dire des experts a été contrarié : vers le haut pour un des six cents premiers exemplaires d'Histoire d'O (de Pauline Réage, alias Dominique Aury) sous une reliure rose et or, qui enflamma les amateurs à 17 000 € (plus de 10 fois l'estimation haute) ; vers le bas, pour le dernier manuscrit de Céline encore en circulation, celui de Nord (1959), mis sous cuir avec une inscription en forme d'exorcisme par le collectionneur-résistant qu'était Bolloré, et qui fut adjugé, au téléphone, à 360 000 € (au lieu des 400 000 à 600 000 annoncés). Si des bibliothèques municipales bretonnes (Saint-Brieuc ou Quimper) ont préempté des ouvrages de Louis Guilloux ou de Max Jacob, aucun représentant de l'Etat n'a fait de même.
La dispersion d'une bibliothèque n'est pas une vente comme une autre. On y feuillette une dernière fois les pièces réunies au long d'une vie de courage (l'engagement à 17 ans du jeune Gwenn-Aël qui rejoint l'Angleterre sur un voilier et revient dans le premier groupe de Français qui débarquent le 6 juin 1944) et de passion. Celle qui mène le papetier à prendre la tête, dans les années 1950, des éditions de la Table ronde, qui publieront notamment Boris Vian (L'Arrache-Coeur, 1953, parti à 6 200 €), puis les "hussards", Blondin, Nimier, Laurent et Déon.
Ce sera la partie moderne de la vente, annoncée par des œuvres de Bernard Franck, auteur de la formule "hussards" dans un article des Temps modernes paru en 1952. Son manuscrit intitulé Israël, d'une écriture ronde et serrée, sera emporté pour 19 000 € (estimation haute à 1 200 €), et l'édition reliée des Rats (1953) atteindra 1 100 € (estimée 300-600 €). Un important lot de manuscrits et tapuscrits de Roger Nimier (1925-1962), était très attendu. Si ce bel ensemble n'a pas suscité des records d'enchères (14 000 € au téléphone pour Amour et Néant, estimés entre 18 000 et 24 000), la présence palpable du travail d'un écrivain et de l'amitié qui le liait à son éditeur était renforcée par la silhouette discrète au fond de la salle de son héritière spirituelle, l'écrivain Marie Nimier.
Michèle Champenois
18:03 Publié dans Henri Michaux, Le saviez-vous ? | Lien permanent | Commentaires (0)