09/06/2021
"Le partage par la musique - Plage musicale en Bangor", d'Eric Chassefière, éditions Encre Vives, décembre 2019, 16 pages, 6,10 €
Eric Chassefière est un poète de qualité assurément, qui ne me semble pas reconnu à sa juste valeur (un mystère de plus). Mais lisez-le plutôt...
[Tiens, une remarque au passage, me concernant : j'écris directement mes poèmes sur un ordinateur portable, ces temps-ci dans la catégorie "Séquentielles", vous aurez remarqué que la version "définitive" suit de quelques heures voire de quelques jours, le premier jet. Au demeurant, rien n'est figé.]
Le temps coule à travers les arbres
le soleil illumine l'horloge du clocher
tout glisse dans le soir
tout respire à la source de l'être
le ciel fait lisière du proche
il est le silence de la vague
le feuillage murmurant le toit
la transparence d'une rangée de pins
découpant sa fragile nuit de lumière
dans le rêve d'ici de l'étendue
puis le ciel encore qui fait cercle
autour du lieu de vibration des cordes
réunies en un sextuor de voix sombres
entre schistes battus d'écume
et ligne épurées des falaises en surplomb
musique difficile ramassée puissante
rugueuses sonorités des instruments
qui se mêlent aux cris des mouettes dans le vent
immédiateté de la lumière à saisir les corps
toujours ce ciel à même la peau
cette lumière qui paraît peinte
cette présence solaire des musiciens
sous le balancier de leur instrument
ces harmonies austères à la rocailleuse pulsation d'éternité
Fort Sarah Bernhardt (Deuxième sextuor à cordes de Johannes Brahms)
* * *
La musique ici résonne dans les corps
les relie par le souffle et la pulsation
l'oreille écoute et chante
les doigts retiennent et expriment
les voix fuguées entrent tour à tour
l'unisson de la basse violoncelle et clavier tend sa toile
porte le dialogue de l'alto et de la flûte
irradie le jeu serré des harmonies
du sourire lumineux des bras s'accordant
dans la plénitude du même geste d'enclore
élargir la résonance jusqu'au corps
l'unanime silence du corps
dont la vibration est musique
car c'est du silence que tout naît
se déploie à partir du centre
que la musique s'ouvre comme une fleur éclot
dans l'équilibre du cœur et de la lisière
voilà ce qu'est cette Offrande Musicale
infini développement de lignes et de contre-lignes
magnifique sculpture de la beauté réalisée
naissance en cristaux du complexe
dans l'originel silence du simple
dont ensemble esprit et corps se régalent
partageant la même soif de sagesse et d'équilibre inné
Bangor (Allegro de l'Offrande Musicale de Jean-Sébastien Bach)
Eric Chassefière
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08/06/2021
"Dans une phrase s'écriant...", par Patrick Casson, 4 bois gravés de Luc Ernault, éditions Brandes, 1er mai 1989, 60 exemplaires, 32 pages
à Philippe Denis
1
Plus haut que le cri, voyelle
déchirée aux branches du vent,
est la source du cri, enténébrée
sous le roncier des ans, et tarie
- bleuâtre, la mémoire s'écaille :
à mes lèvres, copeaux poudroyants,
ô noires images rognées du froid,
je veille dans l'insomnie du cri.
2
N'éveille pas la maison orpheline
son retentissement dans l'obscur
du soir, ni l'entaille assombrie
des chemins que les orties rongent,
au secret du cœur. Et des branches
se courbent sur l'oubli de l'oubli
dans plus de nuit sur tant de nuit
chue, où le pas heurte sur l'absence.
3
Et la voix cherche encore au-delà,
voyelle morfondue, du cri ahané,
et dans l'étoffe lacérée du cri,
quelle couleur, en toute parole
qu'une langue profère, élidée -
ce haillon de mémoire que ravaude
l'oubli. Dans l'obscur du cœur
ânonnant, en cette phrase encore.
Patrick Casson
Jean-Claude Pirotte, lavis et gouache sur Arches
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07/06/2021
"Dans le vent pourpre", de Philippe Mathy, éditions L'herbe qui tremble, printemps 2021, 130 pages, 16 €
Les sanglots retenus sont ma seule arme
contre le vent qui secoue sur le mur
les ombres de nos vies. O la lumière
agenouillée tranquille entre nos ombres.
Jean Grosjean
1
Simple douceur
Soucieuse d'ascension
une coccinelle avance sur la main
Léger chatouillis
Tout en haut du doigt
elle regarde le bleu d'un ciel
trop lointain
Elle ouvre les ailes
veut rejoindre
une branche une fleur
peut-être un brin d'herbe
qu'importe
pourvu qu'on lui tende la main
2
Murs gris de métal ou de béton
murs barbelés de sang
je ne vous prêterai pas mes lèvres
L'infini parle la langue du rossignol
Seul le bleu du ciel
peut le comprendre
Je préfère lui confier ma voix
au risque du naufrage
3
Terre amarrée
à la mouvance des rivières
pour secouer - peut-être -
la cendre de nos yeux
ranimer les cris
de mouettes ou de goélands
jaillis d'un océan
où trop vite
a sombré notre enfance.
Terre échappée
au regard des vautours
vivante encore d'oiseaux chanteurs
pour dessiner note à note
sur les rondeurs des collines
les formes claires de l'amour
Philippe Mathy
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