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02/04/2021

Un texte rare de Pierre Dhainaut, non repris en livre, en date du 20/10/1978. Seconde partie.

Idéologie, sublimation, comment de toute façon les éviter ? Si la poésie fait corps avec l'histoire, individuelle et collective, elle la traverse aussi. Tantôt nous voulons coïncider avec cette histoire, tantôt nous en évader, à tout prix. La poésie ne consiste pas dans le seul dévoilement de sa nature : elle se désincarne alors. Elle ne consiste pas davantage en une incarnation qui exigerait qu'on lui sacrifie tout, qui l'ampute et l'alourdit.
Traquée, la poésie fatalement se dérobe. Nous ne procédons que par coups de force : textes qui ont la prétention d'être ainsi des poèmes, écrivains qui osent s'appeler des poètes. Or la poésie n'existe pas, elle n'existe pas du moins comme une entité que, pour nous y soumettre ou pour la soumettre, nous puissions abstraire, emprisonner. Son nom déjà n'est-il pas un obstacle ?
Elle nous surprend, nous la surprenons parfois.
Est-ce le réel ? Est-ce l'image ? Est-ce le langage ? Est-ce le silence ? Questions insolubles. En mettant l'accent ici puis là, nous sommes victimes inévitablement de cette conception, particulière à l'Occident, qui veut trancher, qui n'admet qu'un sens : elle postule toujours l'innocence et l'unité, mais en quelque sorte à rebours.
Hier naïfs, actuellement crispés. Nous avons fui, nous piétinons : la belle affaire ! Prétendre après Breton que la poésie "porte en elle la compensation parfaite des misères que nous endurons" me paraît aussi néfaste, aussi faux, que de proclamer à la suite de Denis Roche : "Poésie, c'est crevé." Accepter, renoncer : dilemme absurde. Nous ignorons la relation, cette oscillation qui donne vie à la houle, au souffle.
Que serait le temps sans l'éternité ? La poésie n'est pas plus l'éternité que le temps. De même, elle n'est pas plus le réel que l'image, le langage que le silence : elle naît de leurs rapports. Parfois donc, pourquoi pas sans cesse ? Les poèmes et les poètes ne sont pas seuls en cause. Tous, nous devrions apprendre à respirer.

Sommes-nous vraiment pauvres ?
Encombrés par les idées d'une civilisation qui entre oui et non ne nous a pas laissé le choix, nous étouffons. Autant que des ombres, les mots sont des flammes. Les ombres ont été trop denses, les flammes trop légères : artificiellement nous avons séparé. Déchiré. La langue est semblable à l'air dont a besoin l'oiseau, dont il se joue : son vol, une connaissance, et pourquoi le poème n'en serait-il pas une aussi ? L'oiseau ne s'évade pas, prétendrons-nous qu'il est captif ?
La poésie ne nous sauve pas, elle éveille : il n'y a point de malédiction, manque et plénitude ne sont pas des réalités indépendantes. Je n'attends rien du parti pris (la nostalgie, l'avant-garde). Autant que de l'aveuglement je me méfie de la lucidité. Pourquoi des poètes ? Que la question reste en suspens, peu m'importe : nous n'avons que trop de réponses. Perdons notre fausse assurance, ou notre honte, et nous inventerons un art d'écrire, un art de vivre aussi bien, qui échappe à l'essence et à l'ordre.
Le rien subversif.


Pierre Dhainaut

29/03/2021

Une lettre d'André Breton à Mlle Ellenberger*, à propos de "Nadja"

Paris, le 19 septembre 1960

A partir du 12 mai dernier j'ai reçu moi-même un grand nombre de lettres d'une dame Quale, écrites de Norvège et se prétendant la "Nadja" que j'ai connue en 1926. Elles se sont d'abord suivies à la cadence d'une ou deux par jour puis sont devenues plus rares pour cesser de me parvenir il y a environ deux mois...
La cause principale de ce ralentissement doit être que j'y ai répondu à deux reprises, à assez long intervalle, pour dire à cette personne qu'en toute conscience et sans pour cela mettre en doute sa bonne foi je ne pensais pas qu'elle pût être celle qu'elle croyait. En dehors de certaines précisions qu'elle avait trouvées dans mon livre et qui avaient déterminé l'imprégnation que nous voyons, rien, en effet, de tout ce qu'elle apportait d'autre ne coïncidait avec mon souvenir. En particulier et cela suffirait presque, elle est norvégienne alors que Nadja était française (native, je crois, de Lille ou des environs).
Je crois que le vrai nom de Nadja devait être Hélène Delcourt.
Comme il y a déjà quelques années s'était déjà présentée à moi une personne se donnant pour Nadja (et qui était passée vers la même époque par l'asile du Vaucluse) je me demande si cette dame Quale n'est pas la même, je ne me rappelle plus si elle parlait couramment le français...
Nadja est entrée à Sainte-Anne en 1927 (sans doute entre mars et juin). La dernière trace que j'ai eue d'elle m'a été fournie par l'entremise du Dr Gilbert Robin alors que, je crois, elle avait été dirigée sur un asile du nord de la France. Le diagnostic, dont j'avais pu obtenir la communication, était celui de "démence paranoïde". Il m'importerait extrêmement de savoir ce qui s'en est suivi et ce qu'il est advenu de Nadja...


André Breton

* assistante du Dr Daumezon à Sainte Anne. Le Dr Daumezon, après avoir reçu lui aussi des missives d'une certaine dame Andersen, norvégienne, prétendant être Nadja, en a informé André Breton, qui en fait retour à Mlle Ellenberger, par lettre manuscrite. 

28/03/2021

"Comme passe le vent", de Philippe Pujas avec 3 dessins de Bernard Leijs, éditions La Feuille de thé, avril 2020, 168 pages, 20 €

Sous un ciel bas de pluie il me manque le feu
Qui entretient la vie
De ceux qui, comme moi, ont eu le soleil pour complice
Compagnon des enfances
Les hivers de lézard à l'abri des maisons
A la lisière des forêts
Me reviennent à l'âme
M'emplissent de la chaleur d'alors
Quand je croyais le bleu inépuisable
Ici, je vis de gris et cherche dans le ciel
L'espoir d'une trouée dans les nuages
Où viendrait se glisser un rayon de soleil
Comme un retour de feu ou l'espoir d'un matin coloré


C'était pourtant autre lisière, pas à ne pas franchir
A quelques lieues de là, par-delà la montagne
Les terres sont déjà d'un sud brûlant
Et si vous vous risquez à ignorer la sieste
Si l'impatience et ses folies
Vous jettent hors des frais abris
Vous en serez puni de foudre sur la tête


Mais nous savons cela
Le feu d'été nous le tenons au loin
Nous fermons nos fenêtres et nous assoupissons
En attendant que s'approche le soir
Et avec lui un soupçon de fraîcheur
Et nous savons n'avoir commerce avec le sud
Avec l'au-delà des montagnes


Que quand l'été finit et que s'installe
La douceur des automnes
Un soleil plus clément
Un feu que l'âge a assagi


Nous attendons dans notre chambre
A lire ou à rêver à nous bercer d'une mouche qui passe
Ponctuation du temps qui s'abolit
Mon aïeule fermait la porte
De rideaux de bouchons légers
Comme le vent de mer
Et nous les traversions comme une promenade
Vers des âges anciens
Et le bourdonnement d'alors
Me revient en écho
Dans celui d'aujourd'hui


Philippe Pujas

09:18 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)