12/03/2021
Entretien de Bruno Sourdin avec Guomei Chen. A propos de "Si profonde est la forêt - Anthologie de la poésie des Tang", éd. Les Deux-Siciles, septembre 2020, 280 pages, 25 €
Et vive la poésie des Tang !
Première partie
De 618 à 907, pendant trois siècles, la Chine a connu une extraordinaire effervescence culturelle. La poésie de la dynastie des Tang est sans aucun doute un sommet de la littérature mondiale. C’est pourtant une période paradoxale, troublée, violente, dominée par un pouvoir impérial d’une extrême rigidité. Ce qui n’empêche pas, singulier contraste, l’empereur et les élites de l’empire d’être de grands amateurs de poésie.
Bien que les voyages soient périlleux, les poètes Tang ont aimé prendre la route, quand ils n’y ont pas été contraints. Épris d’indépendance et de liberté, ils sont les chantres d’un art de vivre particulièrement raffiné, les auteurs d’une poésie d’une élégance inouïe. Leur amour de la nature est exemplaire. Leurs œuvres apportent une formidable bouffée d’air pur et un sentiment de plénitude tonifiant.
Guomei Chen a traduit 35 poètes, 32 hommes et 3 femmes (les trois poétesses les plus marquantes de cette époque) : soit 161 poèmes, parmi les plus beaux de la poésie classique chinoise. Les textes sont présentés en version bilingue, avec une notice détaillée pour chaque auteur, ce qui a nécessité un important travail de recherche dans des archives peu accessibles à des Occidentaux. La traduction est simple et directement compréhensible.
La poésie Tang est vivifiante et sereine. Éblouissante. Unique. C’est une poésie qui nous emporte, qui nous procure un sentiment extraordinaire de paix. A déguster librement entre Ciel et Terre.
Bruno Sourdin : Le titre de ton anthologie, "Si profonde est la forêt", est tiré d’un court poème de Wang Wei, un poète majeur de la dynastie des Tang. Le poème est intitulé "Dans la forêt de bambous" et le vers en question, tu le traduis ainsi : "Si profonde est la forêt, je reste invisible". On peut commencer par là : qu’est-ce que nous dit cette image de la forêt ? Que représente la forêt pour un Chinois du VIIIe siècle?
Guomei Chen : Pour être précis, cette forêt de bambous, qui entoure la Villa Wangchuan, est en fait une partie du domaine dont Wang Wei a fait l’acquisition à la demande de sa mère, une bouddhiste dévouée. Isolé du monde extérieur grâce aux bambous, le poète joue du qin dans une absolue solitude et siffle de temps à autre, sous la clarté de la lune, devant un ruisseau – image d’un ermite en parfaite symbiose avec la nature. Dans la tradition chinoise, la forêt, comme la montagne, c’est l’endroit idéal où un ermite aime à se retirer. La nature a une importance vitale dans la poésie, où l’individu se retrouve face à lui-même, sans l’intercession des autres, dans un état proche de l’origine, hors des contingences de ce monde. Il y a dans cette attitude à la fois une modestie profonde face au milieu naturel dont nous sommes un élément et forcément tributaires ; et puis cet effacement n’est pas sans rappeler ce qui, en Occident, s’apparente à une attitude monacale, distante mais enrichissante.
Bruno Sourdin : Wang Wei a sur la nature un regard très dépouillé. C’est un méditatif. Son bouddhisme y est certainement pour quelque chose. Mais est-ce que, selon toi, sa poésie aurait été différente s’il avait été un adepte du taoïsme ou si, au contraire, il avait suivi le confucianisme comme règle de conduite ?
Guomei Chen : Pour les lettrés chinois, en définitive, le bouddhisme et le taoïsme sont les deux voies qui conduisent l’homme vers une même destination : une vie éternelle et heureuse. Ils ont en commun de goûter et de se conformer à une vie d’ermite, proche de la nature, de la méditation, dans une optique plutôt individualiste. Remarquons par ailleurs que beaucoup de Chinois sont, même de nos jours, partagés entre le bouddhisme et le taoïsme. A mon sens, il est indifférent que Wang Wei ait pu être bouddhiste ou taoïste, sa poésie ne s’en serait pas ressentie.
De fait, le confucianisme a eu un impact différent sur l’homme ainsi que sur sa poésie, en lui faisant adopter des doctrines plus "actives" que celles des bouddhistes et des taoïstes : entrer dans la vie politique, aider l’empereur à gouverner le pays, sauver le peuple en danger ou simplement s’employer à le rendre heureux. On ne peut pas parler du confucianisme sans parler de la politique. Confucius lui-même a voyagé de pays en pays, pendant quatorze ans, pour persuader les rois de le recruter et d’adopter ses idées politiques, mais toujours en vain. Il s’est donc contenté de devenir un grand éducateur.
Il ne faut pas oublier que Wang Wei, malgré l’influence bouddhiste de sa mère, a suivi dès son enfance le confucianisme comme règle de conduite, tout comme les autres enfants de la dynastie Tang et de celles qui ont suivi. Il a réussi très tôt au concours impérial, concours obligatoire pour devenir fonctionnaire jusqu’en 1911. Il fallait alors maîtriser la poésie pour passer ledit concours. Wang Wei a ainsi pu devenir, au fil du temps, un haut fonctionnaire. Il aurait dû arriver un jour à obtenir le poste de chancelier ou celui de ministre, mais lors de la révolte d'An Shi, il fut emprisonné par les rebelles et se vit contraint d'accepter un poste de conseiller dans leur clan. Cet incident, considéré par la Cour comme une trahison, lui valut la peine de mort (sans qu'elle soit mise à exécution) et marque la fin de sa vie politique. Ce fut pour Wang Wei un tournant capital dans sa vie. De confucéen qu’il était, il se convertit définitivement au bouddhisme, devint face au monde extérieur de plus en plus "passif" pour suivre la voie qui était la sienne et composer sa poésie, conçue comme un aboutissement.
Bruno Sourdin : Restons encore un moment avec Wang Wei, un homme que je trouve fascinant. Dans le poème qui ouvre ton anthologie, il se met en scène jouant du qin :
"Assis seul dans la forêt de bambous,
je joue du qin, et siffle parfois.
Si profonde est la forêt, je reste invisible,
seule la clarté de la lune m’accompagne."
En effet, Wang Wei était poète, musicien, c’était également un grand peintre. Tu précises qu’il a inventé le paysage monochrome à l’encre. Est-il le seul lettré à s’être illustré de façon si brillante dans les trois disciplines ?
Guomei Chen : Ta question renvoie en fait à un phénomène littéraire vieux de plus de deux mille ans. Au regard de la tradition chinoise, un ou une lettrée authentique doit maîtriser obligatoirement les quatre domaines suivants : le qin (la cithare chinoise), le qi (le go), le shu (la calligraphie) et le hua (la peinture chinoise). Ce sont ces quatre techniques que dans le passé les Chinois pratiquaient dès qu’ils étaient scolarisés. C’est pour cela que beaucoup de poètes sont en même temps peintres, calligraphes, musiciens ou joueurs de go, et que certains, les meilleurs d’entre eux, maîtrisent l’ensemble de ces disciplines. Wang Wei fut un précurseur effectivement, en s’illustrant avec le paysage monochrome à l’encre. Par ailleurs, depuis l’Antiquité, la poésie est faite pour être chantée et la musique apparaît donc comme un accompagnement nécessaire. Pour mémoire, beaucoup de musiciens sont les amis intimes des poètes. Par exemple, Wang Wei et Du Fu ont tous deux composé un poème dédié au célèbre musicien Li Guinian ; de même, le musicien Dong Tinglan a eu pour amis les poètes Yuan Zhen et Gao Shi. Dans ce poème, Wang Wei s’accompagne lui-même, la musique enfante en quelque sorte ses propres vers. En Occident, signalons qu’il est rare de trouver un poète de qualité qui soit en même temps un plasticien renommé. On parle volontiers de Victor Hugo et beaucoup plus récemment d'Henri Michaux, mais ce sont des exceptions, à mon sens. Il y a donc une spécificité chinoise dans ce domaine, favorisée sans doute par la calligraphie, la peinture des idéogrammes.
Bruno Sourdin : Très jeune, Wang Wei a adopté un style de vie monacal. Son meilleur ami, Meng Haoran, est lui aussi un solitaire qui, très tôt, renonce à faire carrière et se retire dans les montagnes. Qu’ils l’aient fait par goût ou qu’ils aient été contraints de le faire, très nombreux sont les poètes chinois de cette époque à avoir adopté ce style de vie. Dirais-tu que vivre en ermite est une autre spécificité chinoise?
Guomei Chen : D’une manière générale, les poètes, aussi bien que ceux qui ont fait vœu de se retirer du monde pour vivre en ermites, s’y sont résolus car ils désiraient trouver une veine prometteuse, hors du cadre fixé par la société, hors des contraintes, des automatismes et des a priori. A remarquer que les personnes qui ont choisi la vie d’ermite ont connu des hauts et les bas dans leur existence, les seconds finissant par l’emporter. Et donc face à ces déceptions, la bascule s’opère pour retrouver un sens originel perdu, matière à nostalgie.
Vivre en ermite n’est pas absolument une spécificité chinoise, bien qu’à l’époque dont nous parlons les exemples abondent de poètes ayant adopté ce style de vie, contemplatif et marginal : puisqu’ils sont conscients de ne pouvoir changer le monde, ils recherchent une sorte de salut en eux-mêmes, premier, essentiel. Leur désir sous-jacent est donc de rétablir un équilibre, chose que ne permet pas la société.
Bruno Sourdin : Tu insistes, dans ton introduction, sur le fait que la poésie chinoise est d’origine populaire. On ignore généralement, en Occident, que la poésie chinoise s’est construite à partir de la musique populaire, chantée. C’est donc une poésie qui doit être accessible au plus grand nombre?
Guomei Chen : Il est vrai que la poésie chinoise est d’origine populaire, c’est une poésie intégrée à la vie des gens dits ordinaires depuis l’Antiquité, s’inspirant des chants des esclaves qui travaillaient dans les champs. La mise en forme de cette poésie orale en reste donc tributaire. Remarque d’ailleurs qu’il n’y a pas, à l’époque Tang en particulier, conceptualisation mais intériorisation du réel. Dans la poésie classique chinoise, le poète semble s’effacer devant ce qui est, laissant libre cours à son admiration ; ou à l’inverse, c’est la déception voire la condamnation qui priment, mais cela jamais de manière ostentatoire, plutôt allusive. Disons que, plus encore, les poètes ne se laissent pas aller aux débordements lyriques et dans ce sens tout l’aspect sentimental, voire affectif, quand il est présent, est contenu, imagé, discret. Comme dans "Ballade du lotus", de Bai Juyi :
"Voyant celui qu’elle aime,
la jeune cueilleuse de graines de lotus,
voulant lui parler, baisse la tête en souriant
et se lisse les cheveux,
son peigne de jade tombe dans l’eau."
Les lettrés ne se contentaient pas de suivre un itinéraire dédié et ne vivaient pas non plus de leur plume, ils s’appuyaient sur ce que leur renvoyait l’image du monde. Je pense d’ailleurs que la poésie, quelles que soient les époques, est faite pour être lue par le plus grand nombre, sans être uniquement réservée aux élites. En Chine, à l’école primaire, tous les élèves sont tenus d’apprendre la poésie, classique ou moderne, cela fait partie de notre patrimoine culturel.
Bruno Sourdin : Li Bai, plus connu sous le nom de Li Po, est le poète chinois le plus célèbre en Occident. On retient l’image de cet "immortel banni sur terre" qui occupait ses journées à flâner dans les montagnes, à composer des poèmes et à boire du vin sous la lune. Il était un grand buveur. Il se serait noyé, une nuit d’ivresse, en essayant d’attraper le reflet de la lune sur les eaux du fleuve. C’est la légende. Faut-il croire à cette légende ? Et surtout comment est-elle perçue par les Chinois d’aujourd’hui ? Li Bai est incontestablement un poète de génie.
Guomei Chen : Li Bai est appelé "immortel banni sur terre" par He Zhizhang, poète et homme d’État qui admirait son talent, qui est manifeste. Représentant du romantisme, Li Bai est si ingénieux, si prolifique qu’aucun poète de la dynastie Tang n’a pu le surpasser. Il maîtrise tous les domaines de la poésie de l’époque : quatrain pentasyllabique, quatrain heptasyllabique, pentasyllabes et heptasyllabes de style ancien, pentasyllabes et heptasyllabes de style "réglementé", yuefu, etc. Un cas rare dans l’histoire de la poésie chinoise classique. Les élèves chinois apprennent ses poèmes dès la maternelle et les étudient jusqu’à l’université.
La vie aventureuse de Li Bai a sans cesse influencé les romanciers et les dramaturges des époques postérieures. D’où cette légende, qui en est bien une, d’une noyade par une nuit d’ivresse alors qu’il tentait de se saisir du reflet de la lune : c’est une image naturellement, car on ne parvient jamais à circonscrire un idéal. Ainsi, sa fin reste empreinte d’une dimension mystérieuse. Ceci dit, il avait effectivement un penchant pour la boisson. Dionysiaque d’esprit, son comportement dans la vie et les thèmes abordés dans sa poésie en témoignent. Par exemple, dans "Séjour en province lointaine" on peut lire ces vers :
"Si le maître de maison pouvait s’enivrer avec moi,
j’oublierais être si loin de ma ville natale."
Dans les faits, en se référant aux archives officielles, en 762, pauvre et malade, Li Bai meurt chez son ami Li Yangbing, à qui il a pu confier au préalable les manuscrits de ses poèmes. En définitive, peu importe de savoir quelles furent les conditions réelles de sa mort, Li Bai acquiert dès son époque le statut d’un mythe, statut qui perdure depuis lors, jusqu’à nos jours.
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Entretien de Bruno Sourdin avec Guomei Chen. A propos de "Si profonde est la forêt - Anthologie de la poésie des Tang", éditions Les Deux-Siciles
Deuxième partie
Bruno Sourdin : Grand buveur, Li Bai était à la recherche d’un absolu. Il donnait à entendre que le vin était un moyen sûr pour atteindre l’immortalité, en tous les cas c’était la voie qu’il avait choisie. Quel était ce vin qui lui apportait un si grand plaisir, alcool de riz, alcool de céréales, vin de raisins ? Li Bai n’est pas le seul poète des Tang à célébrer les vertus du vin.
Guomei Chen : En Chine, la fabrication des boissons alcoolisées remonte à l’Antiquité. Dans les premiers temps de l’humanité, les hommes comme les animaux ont pu goûter au vin "naturel" : un liquide issu des fruits fermentés. Le trouvant délicieux, les êtres humains ont donc entrepris de faire le vin eux-mêmes à partir des céréales cuites (millet, blé, riz, sorgo, etc.) selon la méthode primitive : d’abord une saccharification puis une fermentation alcoolique. Il faut noter que ce genre de vin est caractérisé par sa contenance d’alcool très faible (environ 10 degrés), de sorte qu’un homme peut boire sans mal une vingtaine de verres sans être pour autant ivre mort.
Quant au vin de raisins, il est apparu bien plus tard que le vin de céréales. La vigne a été introduite surtout dans les régions musulmanes de l’ouest du pays lors de la mission militaire du fameux général Zhang Qian (v.164 av. J.C.-114 av. J.C.) dans l’actuelle Asie centrale, pendant la dynastie des Han. Par ailleurs, pendant quelques siècles, les Ouïghours cultivaient la vigne en terrasses, essentiellement pour la cueillette de raisins de table et la confection de raisins secs. En conséquence, le vin issu du jus de raisins fermenté est resté une boisson rare et exotique, inaccessible aux gens modestes. Le paradoxe est que la consommation de ce vin issu des vignes de l’ouest n’est justement pas autorisée aux pratiquants Ouïgours, pour motif religieux…
Bruno Sourdin : Avec Du Fu, nous changeons de sensibilité. Son inspiration est très réaliste, il décrit la société de son temps et, en particulier, les misères du peuple. Ne correspond-il pas, mieux que Li Bai, à la mentalité chinoise contemporaine ?
Guomei Chen : Plus jeune de onze ans que Li Bai, Du Fu a vécu au moment où la dynastie Tang, passé l’âge de sa prospérité, entame son déclin. Bien qu’il soit issu d’une famille de hauts fonctionnaires (son grand-père Du Shenyan a occupé plusieurs postes importants à la Cour impériale) et que ses talents en poésie soient manifestes, toute sa vie Du Fu n’a occupé que quelques postes subalternes et paradoxalement reste à peu près méconnu en tant que poète par ses contemporains. C’est là où l’Histoire intervient pour orienter son écriture : car pendant, puis après la révolte d’An Shi, face à la cruelle réalité d’alors, Du Fu opte en définitive pour le réalisme en poésie, et ses poèmes seront plus tard incorporés dans le genre "poésie d’Histoire". Toujours proche des gens de peu, il n’ignore rien de leurs souffrances et se fait, par son écriture, leur témoin. Il est ainsi considéré comme "le saint de la poésie" et son génie, ancré sur les réalités de son temps, l’a rendu accessible à tous, et donc lu par le plus grand nombre, de siècle en siècle.
Bruno Sourdin : Li Bai et Du Fu sont deux poètes très différents, mais ils étaient amis et sont restés liés jusqu’à la mort de Li Bai. L’amitié est un sentiment auquel ils attachent beaucoup d’importance. Tu parles d’ailleurs dans ton livre du "fameux duo Li-Du". C’est bien ainsi qu’on les désigne en Chine aujourd’hui ?
Guomei Chen : En Chine, quand on parle de la poésie des Tang, on pense tout de suite au duo Li-Du, abréviation de Li Bai-Du Fu, non seulement parce qu’ils sont les deux poètes les plus réputés à leur époque, mais aussi parce qu’ils ont noué une amitié à vie qui marquera l’histoire de la poésie chinoise. Ce sont effectivement deux poètes très différents, pour plusieurs raisons : en premier lieu, Li Bai demeure attaché à la tradition, aux formes et aux sujets anciens, alors que Du Fu est considéré comme initiateur de genres et de thèmes nouveaux ; en second lieu, Li Bai est le porte-drapeau du romantisme alors que Du Fu est d’inspiration réaliste. Il ne faut pas oublier le fait que Li Bai a gagné sa réputation de poète très jeune alors que ce n’est pas le cas pour Du Fu. Néanmoins, ils se témoignaient une admiration réciproque, conscients de leur valeur respective. Ensemble, ils ont contribué à un essor de la poésie classique, inégalé ; alors que sur le plan historique, le déclin de la dynastie Tang est patent.
Bruno Sourdin : Au début de la dynastie des Tang, il faut faire un cas particulier pour Hanshan, le moine bouddhiste-poète-ermite, qui s’est éloigné du monde et s’est retiré dans la Montagne froide, dont il porte le nom. En Occident, il est devenu une figure de la Beat Generation, révélée par Gary Snyder ainsi que par Jack Kerouac dans son livre Les Clochards Célestes. Mais en Chine, comment le lit-on aujourd’hui ? Que sait-on vraiment de lui ?
Guomei Chen : Il est vrai que Hanshan est célèbre en Occident par son absolu retrait du monde, son désir assumé d’avoir une vie d’ermite et une existence en tous points conforme à ses idées. Il a été popularisé par Jack Kerouac, tardivement donc. En Chine, plus largement en Asie, Hanshan fut longtemps honoré comme un immortel dans la religion bouddhiste et taoïste. Par exemple, il n’a jamais été tonsuré officiellement dans un temple bouddhiste ; il n’empêche, les bouddhistes de la dynastie Song le vénèrent comme l’incarnation de la divinité de la sagesse Manjusri. Néanmoins, son talent et son nom de poète sont passés sous silence pendant des siècles, car le style direct qu’il a adopté et l’emploi d’une langue simple et épurée l’ont exclu durablement des canons de la littérature classique chinoise, malgré quelques recherches effectuées ici et là par des lettrés.
Bai Juyi et Wang Anshi ont écrit des poèmes qui s’inspirent de son style, Su Shi et Huang Tingjian ont porté un intérêt particulier à ses poèmes ; Zhu Xi (1130-1200) et Lu You (1125-1210, deux lettrés de la dynastie Song) ont, eux, contribué à la publication et à la révision d’un volume regroupant ses poèmes. Il a fallu attendre le début du XXe siècle pour que l’œuvre de Hanshan soit redécouverte et appréciée par les chercheurs chinois. Il faut reconnaître qu’en Chine la poésie vernaculaire n’occupait qu’une place marginale depuis l’Antiquité.
Lors du Mouvement du 4-Mai (1), la Chine a lancé une bataille pour défendre vigoureusement le chinois vernaculaire. Dans son livre Histoire de la littérature vernaculaire (publiée en 1928 par la librairie La Jeune Lune), Hu Shi a cité Hanshan, Wang Fanzhi et Wang Ji comme les trois grands poètes vernaculaires de la dynastie Tang. Par la suite, Hanshan a commencé à être lu et apprécié par les Chinois: les cercles universitaires du continent et ceux de Taiwan ont rédigé des articles sur la poésie de Hanshan. Après la fondation de la République populaire de Chine en 1949 et jusqu’aux années 80 et 90, les poèmes de Hanshan ont gagné une audience certaine en Chine. De fait, il continue de susciter un intérêt durable dans le monde. Sur la vie de Hanshan, on n'a que très peu de documents le concernant, plusieurs hypothèses coexistent mais aucune n’est pour autant absolument fondée. On sait que ce poète mythique et légendaire s’exile dans les montagnes pour adopter une vie érémitique. D’après les recherches du savant chinois Yan Zhenfei, Hanshan se serait appelé Yang Wen, soit le fils de Yang Zan, qui est lui-même le frère cadet de l’empereur Wendi (541-604), fondateur et premier empereur de la dynastie Sui. A la suite de conflits d’origine politique, Yan Zan meurt subitement au cours d’une balade dans un parc avec l’empereur, à l’âge de quarante-deux ans, probablement empoisonné par l’empereur lui-même. Profondément affecté par cette tragédie familiale et influencé de longue date par le bouddhisme, Yang Wen devint moine lorsqu’il eut trente ans et se réfugia sur le Mont Tiantai, dans le Zhejiang.
D’après la légende, le moine Hanshan, qui aimait bien jouer avec les enfants, portait toujours des vêtements très usés et des sabots de paysan, il était coiffé d’un chapeau d’écorce de bouleau. Il liera une amitié à vie avec deux moines du Temple Guoqing, Fenggan et Shide, moines-poètes également. On les appelait "les trois ermites du Temple Guoqing". Chaque fois qu’il leur rendait visite, il récupérait les restes du repas laissés par les moines du temple dans un tube en bambou pour en faire ensuite, de retour chez lui, sa pitance. Menant une vie simple, rieur de nature, Hanshan aurait vécu plus de cent ans, selon la légende. Vivant en montagne, à chaque fois qu’il composait un poème, il le gravait soit sur un rocher, soit sur un tronc de bambou ou d’arbre. Après sa mort, on retrouvera plus de 600 poèmes gravés et dispersés dans la nature environnante. Malheureusement, une bonne moitié d’entre eux ont été perdus.
Bruno Sourdin : Nous avons longuement évoqué les poètes les plus célèbres de la dynastie des Tang et singulièrement le duo Li-Du (Li Bai et Du Fu). A la fin de la dynastie, un autre duo attire l’attention, duo Li-Du également mais les Chinois précisent : duo Li-Du "le mineur", par opposition au duo "majeur" du début de la dynastie. Qui sont ces deux poètes, Li Shangyin et Du Mu, et quelle place occupent-ils dans la poésie chinoise ?
Guomei Chen : A la fin de la dynastie Tang, la société est hors de contrôle : des guerres civiles à répétition, des impôts trop lourds… Le peuple en éprouve un profond ressentiment. Tout cela, associé à la corruption de la Cour, a plongé la dynastie dans une crise insoluble - le gouvernement central perd petit à petit de son pouvoir et la Cour est divisée radicalement en deux pôles : le parti Niu et le parti Li. Pire encore, les postes importants de l’Empire sont occupés soit par les eunuques du Palais, soit par les généraux locaux (le Jiedushi). Les poètes de cette période ressentent ce malaise général. Une nostalgie prononcée pour l’histoire d’autrefois et un sentiment quasi dépressif s’installent. La tristesse et le dépit, voire l'indifférence se font jour alors. Parmi ces lettrés, Li Shangyin et Du Mu, l’un et l’autre victimes du conflit entre les factions Niu et Li, se détachent du lot, ils sont les deux poètes les plus en vue de l’époque.
Li Shangyin se réclame descendant d’une branche lointaine de la famille impériale, mais sans reconnaissance officielle, il n’a jamais pu en retirer les bénéfices escomptés. Il perd son père alors qu’il n’avait pas 10 ans et connut une enfance difficile. Un an après le décès de son protecteur et bienfaiteur Linghu Chu (membre important du parti Niu), Li Shangyin est invité par Wang Maoyuan, le Jiedushi, le gouverneur militaire de la ville de Jingyuan, qui le fait entrer dans son équipe et qui, par la suite, lui donnera la main de sa fille. Par ce mariage qui le rattache au parti opposé, Li Shangyin est considéré comme un traître par les autres membres du parti Niu. Après cela, sa vie a été tiraillée entre les luttes intestines des partis Niu et Li. Avec l'effondrement du parti Li, c’est désespéré qu’il quitte cette vie à l'âge de 46 ans. Li Shangyin est un cas unique dans les cercles de poésie de son temps grâce à ses poèmes d’amour, qui sont à la fois subtils et implicites. Ils sont très appréciés de nos jours. Préoccupé par la cruelle réalité de l’époque et par le destin de son pays, ce poète a écrit un certain nombre de poèmes patriotiques, mais sans jamais pour autant pouvoir réaliser son ambition politique.
De son côté, Du Mu a connu une vie plus aisée que celle de Li Shangyin. Petit-fils de Du You, premier ministre et historien, Du Mu passe avec succès les examens impériaux à l’âge de vingt-cinq ans et s'engage ensuite en politique. Sa nature intègre et l’intérêt qu’il porte aux infortunés sont toutefois difficilement conciliables avec sa carrière. Du hérite en outre de son grand-père un goût certain pour le libertinage. Déçu par une société maladive qui ne lui permet pas de satisfaire ses ambitions politiques, Du Mu finit par se laisser tenter par les lupanars de la capitale et puise son inspiration chez les courtisanes, il gagne ainsi une réputation de Don Juan sans le vouloir.
Du Mu a utilisé toutes les formes poétiques de son temps. Il est le poète de l'idée, privilégiant le fond à la forme, se démarquant ainsi de la tendance générale de l’époque. Dans ses poèmes, il s’inspire souvent de l’histoire pour évoquer les troubles de son temps, avec nostalgie. Ces deux poètes n’ont donc rien de fondamentalement optimistes et à l’évidence se rejoignent par une vision du monde qui n’a rien non plus d’idyllique.
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(1) Le 4 mai 1919, 3000 étudiants se mobilisent pour manifester à Pékin. Ils dénoncent les prétentions du Japon sur la Chine.
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Troisième partie
Bruno Sourdin : Un des grands mérites de ton anthologie est de nous présenter les poèmes de trois femmes qui ont écrit des vers à la fin de la dynastie, donc au XVIIIe siècle. C’est un vrai bonheur de les découvrir. Alors, procédons par ordre. La première s'appelle Li Ye. Son poème Les huit extrêmes dit ceci:
"Rien de plus proche et de plus lointain que la distance entre l’est et l’ouest.
Rien de plus pénétrant et de plus illusoire que le fond d’un ruisseau clair.
Rien de plus haut et de plus lumineux que le sont le soleil et la lune.
Rien de plus intime et de plus éloigné que les relations au sein d’un couple."
Tu expliques qu’elle a été à la fois nonne taoïste et courtisane. Quelle destinée !
Guomei Chen : Au regard des archives existantes, les 289 années d’histoire de la dynastie Tang ne compteraient pas moins de 207 poétesses. Bien qu’elles aient été quelque peu éclipsées par les étoiles masculines d’alors, à l’évidence elles dégagent aussi leur propre lumière, qui donne à la poésie Tang une dimension plus vivante et quelquefois plus réaliste d’esprit. Parmi elles, Li Ye, Xue Tao, Liu Caichun et Yu Xuanji sont considérées comme "les quatre grandes poétesses de la dynastie Tang". Si je n’ai pas retenu Liu Caichun dans mon anthologie, c’est parce que, en tant que chanteuse populaire, sa réputation n’était certes plus à faire, sauf qu’elle ne serait pas l’auteure de bien des poèmes qu’elle a chantés, des poèmes qui seraient peut-être en fait des adaptations de ballades régionales.
Pour en revenir à ta question, sous la dynastie Tang, il était courant pour les femmes d’adopter le taoïsme comme philosophie ou, si tu préfères, comme ”chemin de vie“. Et rien n’empêchait celles qui s’y consacraient de mener parallèlement une vie romantique et devenir parfois courtisanes. Une dérive certes, mais pas inconciliable dans les faits avec l’esprit du monachisme. Li Ye est quant à elle séduisante, son expression est raffinée, elle est douée pour jouer du qin, habile à l'écriture, et surtout célèbre par son talent poétique. Elle fréquentait les salons de poésie. Des lettrés comme l’écrivain Lu Yu, le poète moine Jiaoran et le poète Liu Changqing ne pouvaient être insensibles à ses charmes ni à son esprit. Ils ont donc été amenés à lier avec elle des relations intimes, pour ne pas dire amoureuses : c’était une femme brillante, sous tous rapports, qui désirait aussi être connue.
Si Li Ye, poétesse incontournable de la dynastie Tang, est en même temps nonne taoïste, ce n’est pas le fait du hasard, mais en lien avec son histoire familiale. Enfant talentueuse et assidue, elle étudie les œuvres classiques et commence très jeune à écrire des poèmes. A six ans, elle aurait composé un poème sur les rosiers plantés dans la cour de son jardin, à la demande de son père. Mais, quand celui-ci en a lu le dernier vers : "Les treillages n’ont pas encore été dressés que les branches des rosiers penchent déjà follement, pareilles à l’espoir d’une jeune fille impatiente de se marier", il jugea sa fille trop précoce. A l’âge de onze ans, son père l’envoie dans un monastère taoïste où elle deviendra nonne. Il s’était trompé pour la suite, la force intérieure et le talent de la poétesse en a décidé autrement. Comme quoi la philosophie taoïste, la poésie et la soif charnelle peuvent emprunter des chemins convergents, sans exclusive.
Bruno Sourdin : La vie de Xue Tao se joue également sous un double registre : c’est une courtisane qui finira sa vie comme nonne taoïste. Mais elle est surtout connue, expliques-tu, pour la qualité de ses poèmes d’amour. Je voudrais que tu précises.
Guomei Chen : Si Xue Tao est devenue courtisane, sa seule volonté ne répondait pas à ce choix. Elle est née à Chang’an (2), ville où elle a vécu une enfance heureuse. Son père, Xue Yun, est un fonctionnaire lettré de la capitale, n’ayant pas eu de fils, il porte grande attention à sa fille unique. Grâce à son père, Xue Tao a reçu une éducation littéraire et a commencé à écrire des poèmes dès l’âge de huit ans. Néanmoins, d’un naturel franc et intègre, Xue Yun a osé offenser des dignitaires, ce qui lui vaut d’être exilé à Chengdu dans le Sichuan. Pire encore, quelques années plus tard, envoyée en mission dans le royaume de Nanzhao (actuellement la province de Yunnan), Xue Tao meurt subitement après avoir contracté une maladie soi-disant liée aux miasmes, laissant sa femme et sa fille de quatorze ans pauvres et désespérées. Sans aucune ressource ni soutien, deux années passent et, pour subvenir aux besoins de sa famille, Xue Tao se voit contrainte de devenir courtisane-chanteuse et perd du même coup son ancien statut social. Dans son nouveau métier, elle participe à de nombreux banquets politiques ou littéraires. C’est à cette occasion qu’elle noue des liens avec le milieu intellectuel et se fait un nom de poétesse. Parmi ses amis, on y trouve des poètes célèbres comme Bai Juyi, Liu Yuxi, Du Mu et Wang Jian, etc.
Brillante en poésie et en musique, elle a été la favorite du général Wei Gao, gouverneur militaire du Sichuan, qui la traite comme sa propre fille. Étonné par son talent, Wei Gao demande à la Cour de lui octroyer le poste de correctrice des œuvres littéraires. Malheureusement, la Cour n’accède pas à sa demande, prenant prétexte que jamais ce poste n’a été octroyé à une femme.
En 809, le poète Yuan Zhen est envoyé dans le Sichuan par l’empereur Xianzong en tant que commissaire enquêteur. À Zizhou, il rencontre Xue Tao dont la poésie le laisse admiratif. Ils tombent follement amoureux l’un de l’autre et leur différence d’âge n’y fait rien : elle, âgée de quarante-deux ans, lui, a onze ans de moins qu’elle. Ayant enfin trouvé l’homme de sa vie, elle perd la tête et se donne aveuglément à lui comme un papillon de nuit se jetterait dans le feu. Ils auront vécu une idylle inoubliable trois mois durant, au bord de la rivière Jinjiang.
Hélas, ce qu’ils auront connu de bonheur ne fut que de courte durée. Par suite d’une mutation à Luoyang sur ordre de l’empereur, Yuan Zhen doit se résoudre, le cœur meurtri, à quitter sa bien-aimée. Il continuera pourtant à correspondre avec elle pendant quelque temps. Mais étant lui-même coureur de jupons, et sa compagne une courtisane-chanteuse, leur relation ne pouvait qu’être sans lendemain. Yuan Zhen finira par rompre avec elle définitivement. C’est dans les lettres qu’elle échangea avec lui que Xue Tao a utilisé pour la première fois un petit papier rose qui par la suite portera son nom : un billet où les amoureux échangent des poèmes d’amour.
Si Xue Tao ne fut qu’une aventure de bien courte durée pour Yuan Zhen, en revanche ce dernier fut toute sa vie dans le cœur de la poétesse. La plupart de ses poèmes d’amour lui sont dédiés. Après leur rupture, son inspiration poétique va peu à peu s’éteindre. Désenchantée, Xue Tao décide de se retirer du monde et devient nonne taoïste. C’est dans la pauvreté et la tristesse que s’achève sa vie d’ermite.
Bruno Sourdin : Yu Xuanji est la troisième poétesse que tu présentes dans ton anthologie. Comment se distingue-t-elle des deux autres ?
Guomei Chen : Mon anthologie s’achève avec cette poétesse disparue à 27 ans. Elle se distingue de Li Ye et Xue Tao en ce sens qu’elle en appelle au sentiment amoureux d’une manière plus détournée : larmes et fleurs écloses se conjuguent, c’est un peu comme si la nature entrait dans la composition de son amour déçu. Elle s’exprime dans un registre moins passionnel que mélancolique, donc plus distancié.
On pourrait conclure, du moins à ses yeux, que l’amour heureux ne serait que métaphore, une métaphore qui nourrit le poème comme miroir d’un manque, essentiel, pour ne pas dire fondateur.
Bruno Sourdin : Y a-t-il un poète marquant dont on n’a pas parlé et que tu aimerais citer ?
Guomei Chen : A mon sens, Meng Hoaran mériterait d’être cité. Pour preuve, ses "Pensées d’une nuit d’automne sous la lune" que je ne peux m’empêcher de transcrire ici :
"Par une froide nuit d’automne,
des perles de rosée émaillent la clarté de la lune.
Émue par cette beauté, une pie ne sait plus où se jucher ;
entrant dans la pièce, vif, un ver luisant fait bouger la gaze du rideau.
Dans la cour, la lune éclaire l’ombre de l’acacia.
Chez le voisin, les coups de pilon, rapides, brisent le silence du soir.
Où donc se sont enfui les jours heureux du passé ?
Un vain regard sur ce qui m’entoure, et me voilà plus seul encore."
La saison s’y prête : l’automne accompagne depuis toujours les tourments de l’esprit et les peines des hommes. Le lecteur est ici transporté dans un cadre qui n’est pas seulement celui de la nature en majesté ; c’est aussi un voyage immobile au cœur d’un univers en train de naître sous les yeux du poète, que l’on devine admiratif.
Cette naissance est, selon moi, le parfait reflet de l’inspiration poétique. Le poète est celui qui sait voir et s’effacer devant le spectacle de la beauté du monde pour la traduire, dans un second temps, en poème.
Bruno Sourdin : Quel est ton poète Tang préféré ?
Guomei Chen : Mon poète préféré est celui placé en exergue de ce livre, Wang Wei. Douze poèmes de lui ont été traduits par mes soins, ce n’est naturellement pas un hasard puisqu’il est ainsi le plus représenté dans l’anthologie. Il n’hésite pas à se mettre en scène, revendique sa singularité sans jamais de hauteur pour ceux qui l’entourent ; ses sentiments baignent dans une sorte de sérénité qui le met à l’abri d’une mélancolie autocentrée. Il a trouvé la voie, sa voie portée par une étonnante et rayonnante vitalité. Il convient ici de citer en particulier, extraits de "En mission à la frontière", ces vers dont la grâce et la majesté le qualifient bien :
"Les absinthes, emportées par le vent, passent la frontière ;
les ansers migrateurs gagnent le ciel du Tibet.
Sur le désert immense monte tout droit la fumée d’un feu d’alarme,
la sphère du soleil couchant plonge dans le fleuve Jaune."
Comment dire mieux ? C’est littéralement une toile peinte, animée d’une musique intérieure. Dans ce paysage, la solitude première du poète est happée par ce qui le dépasse, infiniment. Il s’y résout, sans aucune acrimonie.
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"Si profonde est la forêt, anthologie de la poésie des Tang", traduite et présentée par Guomei Chen. Préface de Pierre Dhainaut, dessins d’illustration de Pacôme Yerma. Éditions Les Deux-Siciles, 2020.
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(2) Chang’an, aujourd’hui Xi’an, dans la province du Shaanxi, est l’ancienne capitale de la Chine.
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