18/01/2021
Boris Pasternak, traduit par Michel Aucouturier
III
Le livre n'est qu'un cube de conscience brûlante, et fumante, et rien d'autre.
Le cri du coq de bruyère au printemps, c'est le souci que prend la nature de la conservation des volatiles. Un livre, c'est comme un coq de bruyère au printemps. Il n'entend rien ni personne, assourdi par son propre cri, absorbé dans son propre cri.
Sans lui l'espèce spirituelle n'aurait pas de succession. Elle s'éteindrait. Les singes n'avaient pas de livres.
IV
La vie ne date pas d'hier. L'art n'a jamais commencé. Il a toujours été là, avant même de devenir.
Il est infini. Et ici, en cet instant, derrière moi et en moi, il est tel que, comme par le souffle d'une salle des actes aux portes soudain grandes ouvertes, je me sens enveloppé par la fraîcheur et l'élan de son omniprésence et de sa pérennité : comme si on assignait l'instant à prêter serment.
Pas un seul vrai livre n'a de première page. Comme le murmure de la forêt, il prend naissance Dieu sait où, et grandit, et roule, réveillant les fourrés les plus secrets, et soudain, à l'instant le plus obscur, le plus étourdissant et le plus panique, parle, parvenu à son terme, par toutes ses cimes à la fois.
VI
En se livrant à ses fantaisies, la poésie rencontre la nature. Le monde vivant, réel, c'est l'unique dessein de l'imagination qui a réussi un jour et qui, jusqu'au bout, reste toujours réussi. Le voilà qui continue, dans un succès de chaque instant. Il est toujours aussi réel, profond, passionnant à ne pas pouvoir s'en détacher. Ce n'est pas lui qui pourrait vous désenchanter au bout de vingt-quatre heures. Il sert au poète d'exemple bien plutôt que de modèle à reproduire.
Boris Pasternak
Ce texte a été écrit en 1918 et publié en 1922, il constitue une sorte de manifeste définissant les positions esthétiques de Pasternak au lendemain de Ma sœur la vie, le recueil lyrique de l'été 1917, traduit par Michel Aucouturier et Hélène Henry (Bibliothèque de la Pléiade, 1990).
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L'acte d'écrire, pour Eric Brogniet
Écrire est une neige lente
Sur la page des journées
Nous nous rejoignons
Nous nous absentons
Sans discontinuer
Tu parles dans l'infini
L'inextricable monde
Et toute la bouche du soleil
T'éclaire sans peser jamais
Ta blanche douleur
Sans compter jamais
La monnaie de tes mots
Combien d'hésitations
Ont égaré ta main
Comme ton cœur
O lumière saccagée de l'amour
Longue et lente est la neige
Des journées quand le temps
Qui passe égalise toute fatigue
Dans l'indifférence du monde
Eric Brogniet
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16/01/2021
Un poème d'Edward Thomas
Poète et essayiste, à peu près inconnu en France (!), Edward Thomas est né à Londres en 1878, de parents gallois, et mort à la bataille d'Arras en 1917. Ses méditations et les rencontres qu'il fit au cours de ses longues promenades dans le terroir et la littérature anglaises lui ont inspiré ses meilleurs ouvrages (The Heart of England, 1906 ; The South Country, 1909 ; A litterary Pilgrim in England,1917). Son style et sa langue ne sont pas sans influencer quelques-uns des poètes anglais d'aujourd'hui, comme John Silkin (traduit par Pierre Mironer in Diérèse 79).
Ses Poèmes, réunis en 1922 par Walter de la Mare, témoignent d'un tempérament impressionniste et mélancolique mûri par une relation prolongée avec la nature. Un seul livre de lui a été traduit en français en 1983, où figurent des extraits de son Journal, écrit peu de temps avant sa mort.
Le poème qui suit, inédit en français, est composé d'un jeu subtil de sonorités dans la langue mère, à lire à haute voix par les anglicistes, pour sa musique, incomparable, voici :
[Dehors dans la nuit]
Sur la neige dehors dans la nuit
Avec la daine
Les faons se déplacent invisibles ;
Et les vents soufflent
Aussi vifs que les étoiles sont lentes.
Comme un fantôme furtivement l'obscurité se referme,
Et lorsqu'une lampe s'éteint,
Sans un bruit, d'un bond plus rapide,
Que le plus rapide des chiens,
La voici - et tout le reste est noyé ;
Et moi, l'étoile, et le vent, et la biche,
Nous sommes ensemble dans la nuit,
- proches, mais éloignés pourtant -
Et la peur tambourine dans mes oreilles
Dans cette calme et triste compagnie.
Comme la lumière est petite et faible
Tout l'univers du visible
L'amour et le bonheur,
Face à la grandeur,
Aimée ou détestée, de la nuit.
traduit par Alain de Gourcuff
[Out in the dark]
Out in the dark over the snow
The fallow fawns invisible go
With the fallow doe ;
And the winds blow
Fast as the stars are slow.
Stealthily the dark haunts round
And, when a lamp goes, without sound
At a swifter bound
Than the swiftest bound,
Arrives, and all else is drowned ;
And I and star and wind and deer
Are in the dark together, - near,
Yet far, - and fear
Drums on my ear
In that sage company drear.
How weak and little is the light,
All the universe of sight,
Love and delight,
Before the might,
If you love it not, of night.
Edward Thomas
22:41 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)