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26/12/2020

Présence de Sébastien Stoskopff II

Nature de Stoskopf  2.jpg

Nature morte au réchaud, aux piverts et au baquet


Un miroir en réponse au liséré de l’œil
que la carpe enfouie dans le baquet profond
change en un éclair, dans l'étroite cellule
où se débat la vie, lustrale :
le peu d'or qu'elle recueille indique bien
que la douce membrane de l'eau
percée d'une main leste annoncera sa fin,
l'outrage des chairs grésillantes piquées d'aromates.
Derrière le maillage précis de l'écaille
l'extrême transparence touche à l'oubli de soi,
à la folle pirouette, sur le méplat du ciel,
à cette synthèse du commencement et de la fin :
deux piverts morts, enroulés à l'ourlet de ta voix,
mosaïque des verts - l'art du point final
en prise avec la matière du temps
logé au creux de nos ongles.

Avec le réchaud respire l'ombre liquide
les vapeurs filigranent ce qui frémit :
un artichaut sur le plat d'étain
cache sous ses feuilles quelqu'exquise façon
de lier le goût à ce qui sourd,
nos attentes, nos faims, nos désirs mêlés.


Daniel Martinez

21:25 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

Présence de Sébastien Stoskopff I

stoskopf.jpg

Nature morte aux livres et à la chandelle

 

Sur les ailes grandes ouvertes du livre
une histoire entre mille
la poussière d'une aventure
qu'une gravure de Jacques Callot fige
dans l'espace circonscrit :
par les collines au long desquelles
le sable des caresses a fait son lit
un paysan esseulé inscrit sa silhouette.

Ah ! les coulisses qu'à libérées
l'aurore en son cortège campagnard
quand les cieux consentent
à reprendre haleine
comme l'herbe sous l'alisier :
là même, si quelque piste se donne à lire
quand l'homme revient à son histoire,
au filon minéral, aux sédimentations d'en bas.

Non loin de la baie se résout
l'ultime avancée de l'instant
l'éclat rouge sombre de la mèche se confond
au corps de la chandelle qui a sué
éteinte depuis peu,
cheveu de sel sur la précaire beauté du monde
-
ce qui vif demeure
après la parenthèse d'un souffle.

Daniel Martinez

07:37 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

25/12/2020

Notes et contre-notes

J'avais oublié un "s" dans la dernière citation de Christian Bobin, qui faisait passer un verbe pour une conjonction de coordination (honte à moi). A ma décharge, j'écris bien trop vite, sans me relire le plus clair du temps ; là, à l'instant où je saisissais cette note, je devais prendre sous peu le train pour me rendre à Paris, y travailler oui, un jour de Noël. Diable, où es-tu ?
Et puis, je relisais dans le transilien quelques instants après, coïncidence !, Henri Thomas (in "La joie de cette vie", éd. Gallimard, 18/12/1991), pour tomber sur cette phrase, page 64 : "J'ai vu le diable qui retire sans bruit un à un tous les clous, les pointes, qui tenaient ensemble et solide la chose que l'on avait construite dans la journée - si bien qu'au lever du jour, dans un étrange bruit d'envol lourd... Tout s'écroule."

Rien ne s'écroule en fait, sauve la foi que nous aurons mis dans l'édification, dans la réalisation de l'objet de nos vœux. Si le devenir nous échappe, comme la suprême logique qui gouverne toutes choses, c'est bien parce qu'elle n'obéit pas au rationnel stricto sensu, à la ligne directrice de nos actes communs. Si notre société (comme l'environnement qui la porte) se délite de l'intérieur, c'est bien parce que le sens du social, du vivre ensemble y a été relégué au plus bas. Et là, en étant honnête, rien ne pourra inverser le mouvement en cours, tant le nombre de bévues multipliées écrase de sa masse les bonnes intentions de quelques-uns, qui ne sont pas à compter parmi les puissants de ce monde.

Alexis, qui a publié in Diérèse 79 une belle suite de poèmes, m'informe qu'il sera édité chez Gallimard en mars prochain, ce qu'il ignorait en me confiant ses textes. J'en suis heureux et le lui écris. Sans oublier pour autant qu'un ancien auteur de Diérèse prétendait qu'Antoine Gallimard ne publierait plus de poésie en 2021, après le dernier Sourdillon, fin 2020 : chacun voit midi à sa porte c'est un fait (dépit de ne pas être publié dans cette maison l'an prochain ?)
A propos, je me rappelle avoir été malmené dans les premiers temps de Diérèse (nous étions en 1998) parce que j'osais parler dans mes colonnes de la maison Gallimard. Héraclite disait : "C'est par comparaison à l'homme qu'est laid le plus beau des singes." L'idéal est de se moquer de nos détracteurs en leur renvoyant le plus respectueux silence.

Lorand Gaspar, qui fut chirurgien à Tunis, une ville que je connais bien, écrivait in "Derrière le dos de Dieu", (éd. Gallimard, 19/03/2010) en page 35 :

Des soleils petits, frileux
clignotent dans le sang qu'il perd
lentement, indubitablement...
Aussi indubitable l'étonnement,
pâleur et solitude posées dans le visage
vieux papiers jaunis et ces deux
flaques de jour tapies au fond
de la chambre de soins intensifs,
un jardin de tuyaux et d'écrans
la vision a éteint le dehors
ce qui reste d'images, de touchers
de mots inutiles pour la pensée
que captent les neurones dans l'obscurité
du tunnel qui débouche sur
l'éblouissement de l'inconnu -
parmi des coquillages et des bois morts
qu'illisibles dépose la mer -

J'y revois se dessiner la fin de mon frère Hugues, dans un hôpital de Seine Saint-Denis. Et la peine qui fut la mienne, voyant son corps sans vie ne répondre aux baisers que je lui adressais, post-mortem.


Daniel Martinez

21:18 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)