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02/01/2021

"Sommeil seigneurial" un conte de Frédérique Hébrard

   Ah, c'est vous, Monsieur ? Que je suis aise de vous voir ! Entrez, installez-vous, soyez le bienvenu !
   De la lumière ? Est-ce bien nécessaire, Monsieur ? Le feu rougeoie et la Lune - je n'ai pas tiré les rideaux à cause d'elle - donne une lueur suffisante pour que je vous distingue...
   Vous êtes charmant. Un peu pâle. Mais charmant.
   Eh bien Monsieur, allons-y ! Vous êtes venu pour dormir, n'est-ce pas, dormons. Le lit est ouvert, immense, nous ne nous gênerons pas, prenez place... je n'ai pas de côté préféré, je dors partout, vous le savez. D'ailleurs, je bâille déjà, pardonnez-moi, vous verrez, vous en redemanderez.
   Plaît-il ? ... oui, je crois que je me suis légèrement assoupie, regardez, une bûche s'est écroulée, une flamme s'élève, avez-vous vu le démon dans la cheminée ? Mais non, Monsieur, pas un vrai démon ! un démon sculpté sur la plaque du foyer... Silence ! écoutez respirer la tapisserie... ça va mieux ? Bien... Ah ! non, je regrette, je ne peux pas vous donner la main. Nous ne devons pas nous toucher, nous ne devons pas, sinon le téléphone va sonner, l'électricité inonder la chambre d'une lumière bête, la radio va se mettre en marche toute seule et je me verrai contrainte, moi, à vous mettre à la porte. Que dites-vous ? Vous avez peur ? Enfant ! Allons, écoutez-moi et tout se passera bien. Il faut regarder le feu, il faut descendre au cœur du rougeoiement, traverser le rubis incandescent, se perdre dans les braises qui deviennent blanches à force d'être ardentes...
   Mon Dieu ! il dort !...
   Ah ! que je me sens bien ! Le feu envoie une ombre de chauve-souris sur le portrait du duc d'Enghien, le démon de la plaque me sourit, levant sa fourche en signe de victoire, un chien hurle au loin, délicieux, le vent se lève, les meubles craquent... odeur... du temps... pluie douce qui tombe... ciel de lit... sommeil... bien...
   Silence.


Frédérique Hébrard

03:00 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)

01/01/2021

Mes voeux les meilleurs pour 2021

Nous y sommes : à peine, tout juste, "A propager de l'aile un frisson familier !" (Mallarmé). Deux mille vingt-et-un sera-t-elle une année à la hauteur de nos espérances ? C'est ce que je souhaite, de tout cœur.
Si tant est que tous, selon nos moyens, essayons de construire un monde qui ne soit pas simple illusion de la pensée, malgré les périls de l'humaine condition. Les poètes ne sont pas en reste, qui comprennent l'espace de leur être comme un trésor à sauvegarder, un feu ou "un palais de l'ombre" à entretenir, quoi qu'il en coûte.
Comme image porteuse, je reprendrai la différence qui existe entre le jeu d'échecs et le jeu de go. Aux échecs, il faut tuer pour gagner. Au go, il faut construire pour vivre. Vous avez deviné où va ma préférence... De facto, nous sommes entrés dans une ère hygiéniste, où les visées à court terme sont censées agir sur le long terme, développer nos chances de (sur)vie. Pourquoi pas, après tout ? A la seule condition - et elle est d'importance - de redonner au domaine culturel le lustre qu'il a perdu depuis le mois de mars 2020.
C'est essentiel, vital même ; bien plus qu'un symbole. Car les nourritures de l'esprit sont aussi importantes que celles du corps, l'oublierait-on trop souvent, par facilité. Sur ce plan en particulier comme sur bien d'autres, le discours politique achoppe, qui ne fait que reprendre en l'adaptant à ses fins cette pulsion de vie qui est notre lot commun. Mais à quel prix, est-on alors en droit de se demander ?
... Irréductible à la "logique" animale (à l'instinct plutôt), l'homme tâche de se bâtir une condition qui ne se résume pas à panser ses blessures, ou à numériser sa relation à l'autre, pour solde de tout compte. Et le poète lui, est/sera toujours ce fétu de paille qui surnage parmi l'abondance, navigant entre le jeu, la parabole et le miroir : "un glissement de soie / sur une lèvre enfantine" (Jacques Dupin).
A toutes et à tous, belle année 2021, en poésie d'abord ! L'avenir est devant Elle.
Amitiés partagées, Daniel Martinez

05:21 Publié dans Voeux | Lien permanent | Commentaires (0)

27/12/2020

Présence de Pieter Bruegel l'Ancien

BRUEGHEL L'ANCIEN.jpg

La Chute des anges rebelles


Le ciel s'est ouvert,
des nuages s'amoncellent.

Pourpre crépuscule où jouent des feux-follets ;
blanc halo avalant les nuits du Paradis.

L'œil céleste de l'Archange pourfend
d'infernales créatures.

Chute ou bien songe.
Outre de diodon
ou ombres de Démon ...

Outre-monde cousu d'apocalypse.
"Anges rebelles" chassés des cieux :
fracas de lueur et de trompettes.

Retentissent la voix de Lucifer,
le silence de Michel
en un "miroir de limbes"*.


Paul Cabanel

___________

* "Le miroir des limbes" regroupe "Antimémoires et "La corde et les souris" d'André Malraux

* * *

Nuit de lune noire sur La Chute des anges rebelles (1562)
précipités hors du Paradis, peinte par Pieter Bruegel l'Ancien:
ceux de saint-Michel triomphant depuis le haut de la toile
de créatures hybrides encloses dans leur ombre.

L'une s'ouvre le ventre empli de crânes de nouveau-nés
l'autre déploie des sortes d'ailes qui sont valves de moule
lambeaux et confetti, plumes folles
cris perdus d'un ancien cauchemar
où le ciel coupe-œuf du bout des lèvres aurait craché
le hoquetant haletant nombril-entonnoir de Satan.

La défaite consommée, ne plus toucher du regard
que l'illisible criquetis des scarabées
gravant à leur manière
les angelures inconscientes
qui traversent le monde.

L'armoire avait trois portes longues
et sa poignée de verre biseautée faisait sienne
l'immensité de l'air, à son échelle.

Depuis le fond de l’œil une jetée d'abeilles 
ouvertes aux grandes heures de l'Alchimie,
au glauque voluptueux.


Daniel Martinez 

21:29 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)