20/12/2020
"Oiseaux, mes beaux oiseaux", de Daniel Abel, éditions Les Cahiers du Confluent, 2 quai de l'Yonne (à Montereau), février 1982, 14 pages
Un recueil dans la pure tradition surréaliste, où ce n'est pas le support qui compte (les feuillets de cet opus, maintenus par une couverture grège à rabats, n'ont pas été cousus ni foliotés), mais bien le contenu, le signifié. Enté d'un dessin de Simon Burgar, "Oiseaux, mes beaux oiseaux" est dédicacé à Élisa (Breton) que le couple Abel a entourée de ses soins jusqu'au printemps 2000. Pas de mention de tirage, ni de prix indiqué. Un chant porté par sa propre voix, ouverte à ce qui la sublime : la liberté, première.
* * *
"Je suis toi roulant parmi d'autres voiles"
Vicente Aleixandre
oiseaux mes beaux et grands vaisseaux d'océan
capables d'avancer où le commun recule
oiseaux de la présence qui zébrez l'univers
qui occultez le vide par le tracé avide
oiseaux de la navigation solaire
oiseaux de l'oratoire des hautes eaux du soir
à contre-courant à contre-jour
oiseaux qui propulsez l'envie
qui propagez la vie
oiseaux de la grand roue
oiseaux des aubes
oiseaux de tout séjour que connaît le regard
oiseaux enluminures du hasard
calendrier indispensable
chœur de la machinerie des eaux
Daniel Abel
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19/12/2020
En hommage à Marcel Béalu, un texte de Daniel Abel
C’est au cours du « temps lent » de l’hôpital que je découvris, à côté de poèmes de Jacques Marie Prével, Antonin Artaud... dans l’Anthologie de Georges-Emmanuel Clancier : De Rimbaud au surréalisme, un texte de Marcel Béalu intitulé « Le Bocal », lequel m’enthousiasma. Il ne s’agissait plus de décrire de l’extérieur mais de pénétrer l’essence même du poème, de vivre des métamorphoses, de participer d’un climat de magie cher aux romantiques allemands et au surréalisme.
Lorsque je me rapprochais de Paris, je voulus connaître l’auteur de tels textes et je le découvris, rayonnant, solaire, aux environs de 1958, en sa librairie du Pont Traversé, rue St Séverin. Le quartier – les gargouilles de l’église, le théâtre de la Huchette où l’on jouait Ionesco, la rue du même nom avec ses gargotes aux senteurs fortes, l’atmosphère des caveaux de Villon, l’église Saint-Julien-le-Pauvre face à Notre-Dame, la rue Saint-Jacques d’une flèche traçant sa voie vers le Panthéon... J’étais « le Paysan de Paris » subjugué par le Paris médiéval, occulte... par la « Ville volante », conte qui ouvre le recueil de La Pérégrination fantasque.
J’appris que Marcel Béalu avait été marchand de chapeaux à Montargis puis il avait ouvert cette librairie avec les livres d’ésotérisme, occultisme, surréalisme, art... On avait envie de fureter parmi les éventaires, de s’attarder sur des dessins de Marcel Béalu, des photos d’écrivains en vitrine, avec les dédicaces. La librairie était un antre aux trésors, à l’étage l’alchimiste façonnait ses pépites en de courts poèmes, imprégnés d’onirisme, de merveilleux.
Il reconnaissait volontiers : « La poésie n’a jamais été pour moi un refuge ou une fuite mais la seule expression possible : celle qui s’efforce d’atteindre au plus secret. » Pour reprendre un slogan de mai 68, avec Marcel Béalu l’imagination était au pouvoir : « l’imagination c’est la prescience du mystère, la mémoire de l’ombre »
Marcel Béalu m’apparaissait à l’époque comme un veilleur, solaire par le visage, la chevelure bouclée, il avait de beaux yeux clairs de voyant, habités d’une flamme intérieure. Derrière lui se dessinait un paysage, la Loire de son enfance, de son adolescence, des environs de Saumur, l’eau courante ou dormante, écrin où elle se montre, glissante, fascinante... « Je me promenais innocemment près de la rivière quand une voix lointaine et comme venant du fond de l’eau m’arrêta... » Le chant des sirènes ? L’Araignée d’eau, qui deviendra la troublante Nadie.
Marcel Béalu savait, dans ses contes, nous entraîner dans le surréel, dans le climat de l’envoûtement, cher aussi à Nerval. Il déclare pourtant : « je ne pense pas qu’il y ait d’écrivain plus réaliste que moi, inventer n’est pas mentir... » C’est sans doute transposer. « A regarder les choses sous un certain angle on peut voir tous les jours des maisons s’envoler, des bêtes ayant le don de la parole, des poissons qui se transforment en clés d’or, des femmes qui se métamorphosent en oiseaux. On n’invente pas un miracle. Or la vie est un perpétuel miracle. Il suffit d’y croire. »
Marcel Béalu croyait à Alice au pays des merveilles, à une réalité seconde. Il publia quelques textes de moi en sa revue d’alors, éditée par Rougerie : Réalités secrètes. Comme il l’a déclaré à Radio Paris au cours de l’émission Belles lettres du 1er mars 1960, citant Raymond Lulle : « sans l’ombre on ne verrait pas la lumière... sans l’ambiguïté des sentiments – l’essence même de la vie – on ne saisirait pas les plus purs élans de l’être... »
Il me définissait comme un « homme familier des chemins profonds » en quête, comme chacun d’entre nous, de la Liberté. A ce sujet, il écrit dans une lettre du 15 septembre 1984 : « J’aime que mon nom, dans ton livre – Pluriels de Mers –, soit inscrit au dessus du mot Liberté et des très beaux poèmes qui suivent. »
Fantastique, surréalisme... A mon sujet encore, voici ce qu’il dit dans une revue me concernant de mon parcours : « C’est là que je rencontrai Daniel Abel il y a très longtemps. Nous naviguions sur les mêmes réalités secrètes... un peu plus tard, sauvé par l’insubmersible radeau (de la Méduse) des surréalistes, Daniel Abel se livra sans retenue à la fascination de ces princes ruinés d’où l’enchantement nocturne de ses écrits et cet acharnement à ne pas sombrer avant l’orée première*, celle où se lève enfin le jour vrai sur les prairies immaculées »
Daniel Abel
* Ndlr : titre d'un recueil de Daniel Abel
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"Mémoires de l'ombre", de Marcel Béalu, éditions Phébus, 8 décembre 1986, 264 pages, 92 F
L'EMPREINTE
Le fleuve en crue, la neige, l'escalier s'enfonçant dans l'eau noire... Souvenir au-delà mon souvenir ! Il pouvait être minuit. Une histoire de ce temps-là m'avait jeté, cœur vide, par les rues inconnues d'une ville rhénane. Quelque sotte idée me tenait immobile, accoudé dans l'ombre. Quand sur la première marche une femme se dressa. Et je la vis descendre à pas lents l'escalier qui s'enfonçait dans l'eau noire. Je n'avais qu'un geste à faire, un mot à dire pour l'arracher à sa folie. Cependant mes pensées tournoyaient comme sous une cloche de verre. Plus tard, bien plus tard m'apparut la réalité de cet instant. J'étais sans conscience aucune du drame se déroulant sous mes yeux, absolument envoûté par la volonté de cette femme. Et pourtant je la regardais avec une entière lucidité, me retenant de ne pas lui crier l'amour soudain et désespéré que m'inspirait son visage. Lorsqu'elle fut à deux pas de moi, il me sembla que ses regards croisaient les miens, mais déjà ses pieds touchaient l'eau, s'engluaient délibérément à ce piège liquide. Au bas des marches le courant recouvrant le quai atteignit ses genoux. Alors je la vis se tourner lentement vers le lit du fleuve et lentement continuer d'avancer, luttant et gesticulant avec violence contre le flot qui la prenait à mi-corps. Elle parcourut ainsi une vingtaine de mètres et le vent soulevant ses cheveux agita au-dessus d'elle une grande ombre folle qui parut l'engloutir. Quand je recouvrai l'usage de la voix, il était trop tard pour appeler à l'aide. Sans doute ai-je fait un rêve, me dis-je, cette apparition n'avait pas plus de consistance que les images qui hantent mon sommeil... Et j'aurais gardé cet espoir si, devant moi, dans la neige, n'avait été dessinée avec tant de précision l'empreinte de ses pas sur les marches de l'escalier s'enfonçant dans l'eau noire.
Marcel Béalu
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