01/12/2020
"Haïkaï du jardin", Louis Calaferte, L'Arpenteur, 22 mars 1991, 132 pages
Gérard Bourgadier, qui dirigeait alors la collection L'Arpenteur chez Gallimard, connaissait Louis Calaferte : c'étaient de vrais amis, qui partagèrent bien des secrets.
Une halte dans l'été d'un jardin de Bourgogne, voilà qui a parlé tout autant à G. Bourgadier le lisant qu'à Louis Calaferte écrivant ce livre de haïkaï. Haïkaï : pas au sens strict du terme, mais "n'en respectant que la substance", comme : "Le bourdon bleu / sur le grenat ardent du géranium", ou : "Fuseaux carminés / des fuchsias / Ronde de baigneuses renversées / autour du feuillage austère". Des fleurs qu'il s'est choisi, au sol qui les porte : "Ce soir au jardin / odeur animale de la terre mouillée", encore : "Terre brune / aux indécises dentelles d'argent". Le ciel, aussi : ce que Lorca nomme "l'ombre / d'un cyprès / sur le vent", lui qui conclut, dans le poème "Sésame" : "Le reflet / est le réel."
Quand il s'agit pour le poète d'aller par la langue au plus près de la nature environnante, qui n'a nul besoin d'artifices ni d'être embellie ; d'aller au-devant des choses, d'en saisir la figure et le souffle, mais aussi de laisser, au travers d'une scène, d'un paysage, l'idée affleurer, et inversement. Reflet intérieur de la chose qui se manifeste en tant que telle, toujours en souffrance de traduction. Sachant que les choses privés de conscience sont riches de beautés signifiantes, le dire du poète dépasse la simple parole explicite, il recompose la Nature selon l'image qu'il s'en fait, première... Deux vers mémorables, par la qualité de restitution de l'auteur, sa sympathie avec les particules, reflet d'une fusion avec les êtres et les choses : "Coutellerie du rudbeckia rose / grand samouraï impassible".
Comme la poésie de Louis Calaferte cristallise le ressenti - où sons, visions, odeurs, sentiments se mêlent et se répondent, dans un quotidien simple, étranger à tout pittoresque -, elle suit le rythme des journées : "Volet ouvert/fraîcheur laiteuse du matin", pour aller insensiblement vers "L'air sucré / du soir". Et les impressions induites ne sont ni rêves ni pensées à proprement parler, mais celles d'un poète se déplaçant lentement dans un ici et maintenant fragile, que l'écriture tente d'éterniser. C'est la dimension à laquelle les mots du poème devraient toujours tendre.
Daniel Martinez
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Hélène Mohone, en regard d'un poème de Jean Malrieu
Hélène Mohone
On a scellé le grand rêve.
Mais un printemps muet tremblait sous l'herbe.
La voix parlait. La corne des vallées réveillait la chaleur.
Un patois merveilleux rassemblait les dormeurs.
Jean Malrieu
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29/11/2020
"Signes d'air", de Jocelyne François, Mercure de France, 22 mars 1982, 104 pages, 58 F
Pouvoir du poème
Le poème relie les secrets en une tresse plus serrée que les cheveux. Au même instant il rend les secrets transparents. S'approcher du poème, le lire, c'est s'exposer à une transfusion de peine, parfois prendre un bain de paix. Le poème ne sait pas ce que nous savons et sait tout ce que nous ne savons pas. Il ressemble à l'eau d'un jardin, le soir, quand les grillons commencent leur chant monocorde. Il passe sur nous, desséchés par le vent du jour. Il laisse aux gestes anciens leur tendre écorce, celle qui empêche le bois de durcir. Il n'agit ni par le dire ni par les mots mais par ce qui se glisse dans l'étroite ouverture fatale comme tes yeux quand ils me regardaient vraiment dans un autre monde.
* * *
Restitué à la nuit
Le poème s'inscrit dans l'urgence et s'écrit dans la nécessité. Il explose à contre-choix. Mais celui qui lit le poème n'en peut recevoir que l'onde amortie. Entre les deux pages qu'il tourne rient des oliviers imprenables et la terre prophétesse a digéré toutes les eaux d'agressivité.
Jocelyne François
peinture de Pascal Ulrich
05:39 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)