12/11/2020
"Pluriel d'alliance", de Pierre Dhainaut, éditions L'Arrière-Pays, mai 2005, 72 pages, 12 €
Faire advenir le poème en sa nécessité singulière et ne rien lui greffer d'extérieur, dans un premier temps les poètes n'ont pas d'autre visée, ils renoncent aux ambitions personnelles, ils se dévouent. Mais certains vont plus loin : pour ne pas trahir la vocation du poème, ils rejettent tout ce qui pendant des siècles lui a servi de prétexte et l'a dérobée, l'expression de la plainte ou de la joie, la narration, la description, la liste est interminable de ces rejets. Que serait l'acte de poésie s'il se freinait, s'il n'allait pas vers les extrêmes ? Mais ce faisant il ne prend garde à ce qui le menace, la clôture, l'autarcie, la réduction à soi, la crispation sur soi. Si la poésie est bien, comme on l'a dit, le sujet du poème, ce ne sera pas en rejetant, ce ne sera que de surcroît. Le poème est cette parole moins soucieuse de sa nature, de sa pureté, que de l'élan qui la déploie, dont elle entretient l'origine.
Ils ne cherchaient ni à posséder ni à se valoriser, les peintres de l'ancienne Chine qui signaient des pierres. Des musiciens signeraient le bruit d'une cascade ou son écho, sans prendre la peine de les fixer. Ceux qui n'ont que des mots, que pourraient-ils ainsi mettre en écoute, mettre en lumière ? Qu'ils les aiment, qu'ils les servent, et les mots seront tellement plus que des mots.
On veut d'abord voler le feu, alors que l'entretenir, en hériter pour le transmettre, est l’œuvre de toute une vie.
Ne nous demandons pas si l'autre - une personne, un groupe - est indifférent ou hostile, n'essayons pas de l'amener vers nous par la ruse ou par l'autorité. Offrons la voix : le fait même de parler nous interdit de rester sur nos gardes, nous dévoile, nous expose au risque, à la joie de l'échange.
Tu aurais accompagné vraiment un poème, tu ne craindrais pas que que les ondes s'épuisent ou que les vagues se brisent sur les berges, sur les digues.
Pierre Dhainaut
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11/11/2020
"Petit-Duché de Luxembourg", de Gilles Ortlieb, éditions Le temps qu'il fait, 24/4/1991, 32 pages, 40 FF
La brume a dissimulé la brume qui cache les trois lumières,
posées à ras de l'eau, du café "Jean le Pauvre".
Du fleuve jauni pendant la nuit, le débit ne cesse plus
d'enfler, et c'est tout un paysage noyé
qui tressaille au passage des trente-neuf
(je le sais pour les avoir comptés)
wagons des mines, vision pareille et neuve
dans le dérèglement continu de la mécanique
intime. La part de l'ombre ne se laissera pas,
ce soir, apprivoiser. N'importe, sortir et assouplir encore,
par un dernier tour, la phrase de peu de secours.
Gilles Ortlieb
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10/11/2020
"Poèmes éparpillés" de Claude Pélieu, in "Diérèse" n°50, Automne 2010, page 108 & 116
Derrière la montagne
la chute des feuilles
est un événement.
Six heures du soir,
le ciel caillé de neige
a repris ses couleurs.
Iris sauvages remués
par la poussière métallique.
Ancolies bleues, digitales,
pavots ventriloques.
Roses-thé, sourires errants,
liserons-lasers, marguerites,
glycines, perles, miroirs d’azur.
* * *
pour Daniel Giraud
Dans le sable du temps
je me dis que tout n’est
pas si grave — j’aime partir,
je déteste arriver — les secondes
s’écoulent dans l’œil de l’ouragan,
ressac des flammes sur l’herbe humide.
Poésies chantées et dansées,
les fleurs chassent la peur,
les étoiles demeurent fixes.
Vitesse engloutie par le silence.
N’étant porteur
d’aucun message
Zen fait corps
avec la réalité.
Tout disparaît,
tout demeure.
Claude Pélieu
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