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07/11/2020

L'éditorial du numéro 79 de "Diérèse" : Daniel Martinez

Notes et contre-notes

Dans la succession des éclipses et des réapparitions du sens qui président à l’écriture, le poète est d’abord un scribe ; et le style qui lui est propre rejoint la perpétuelle métamorphose qu’il célèbre, de la manière. Où les mots, à la fois part du poème et porteurs de l’univers spirituel saisi comme voix de la vie jouent librement d’une petite musique intérieure et se donnent aux franges d’une approche plus vaste. Espoir et détresse tour à tour peuvent s’y lire, comme les constituantes principales de nos existences, parfois bien loin du "bel aujourd’hui" que Mallarmé appelait de ses vœux ; malmené qu’il est dans ses dérivés sociétaux, en particulier dans l’altération à grande échelle de la notion de nature – avec effet retour, inévitable... Par parenthèse, lorsque Gao Xingjian m’a dédicacé « Esprit errant pensée méditative » (éditions Caractères), il a simplement noté en page de garde, sans formule de politesse et dans sa langue mère : "Gardez bien ce livre" : conçu de la sorte un peu comme un être vivant, à sauvegarder.

… Non transparente aux refrains productivistes de notre temps, la langue poétique ne saurait pour autant concrétiser l’espérance d’une universalité abstraite ou accomplie, mais se donne comme la rupture d’un dire, réfractaire au déjà-dit. Plurielle, elle s’offre à qui veut l’entendre pour ce qu’elle est d’abord, tension d’être, irrésistible, hors la butée de l’insignifiant. Pour approcher enfin, s’il se peut, une dimension perdue de la voix.

Yves Bonnefoy, était lui en quête d’un "arrière-pays", rythmé par "les mêmes horizons qu’ici, les mêmes seuils et les mêmes hommes, au mieux quelque variante sans grand relief au sein d’un unique réel". À la différence d’un Rimbaud, plus porté vers un "avant-pays", lié à une dimension de la perception qui n’est ni neutre ni neutralisée, et qui garderait en elle quelque chose du sentir. Sachant que l’appétit vient en voyant et que la peau des choses, touchée par l’œil, semble frémir alors. In fine, qui embrasse qui, de l’aube ou du poète ?

L’écriture advient dans l’espace défini par le sens qui s’épanche entre la vie et le travail de l’œuvre proprement dit, entre la réalité porteuse qui marque la boucle originaire, le nœud fondamental et la forêt (selva oscura) qui noue fil à fil la conscience du tout et le mythe de chacun. En même temps que l’auteur advient comme sujet dans le monde, l’écriture est manière pour lui de faire la lumière sur sa vie. Dans une expression qui touche aussi bien au pré-verbal et au non-verbal qu’au verbal, en reculant jusqu’aux domaines privés de parole et de conscience pour les restituer au verbe.
Ici et maintenant où tout se joue, dans un mode nouveau d’être et de percevoir marquant son avancée :

      "La fenêtre s’ouvre comme une orange
      Le beau fruit de la lumière"
      (Calligrammes, Guillaume Apollinaire),

l’écriture dessine ce moment particulier où l’auteur se mêle à une histoire qui n’est plus seulement la sienne, et puise dans ce grand "réservoir" en fin de chaîne impersonnel qu’est la littérature, pour se mettre à l’œuvre.

Si les langues de la poésie ne devraient en aucun cas nous cloisonner (Paul Celan définissait le poème comme "une poignée de main"), on remarque dans la poésie contemporaine une fuite plus ou moins prononcée du subjectif (du lyrisme en particulier, accusé de réduire la sphère poétique à l’ego de l’auteur). Pour couper court à ce reproche un peu facile, mais qui a fait florès, Jude Stéphan remarque : "On ne peut échapper à la subjectivité – il y a quand même un sujet qui écrit – sauf à quitter réellement la poésie, comme l’a fait Rimbaud."

Ne nous méprenons pas : il n’existe pas de simple rapport de sujet à objet entre l’auteur et l’écrit. Le scripteur entre dans le corps du texte, fusionne avec lui. Le poème est d’abord une entrée dans le regard, une manière de réconciliation entre le monde des apparences et celui que l’auteur porte en lui, réanimé. Portée par ce désir de reconstruction, la création littéraire revient à rythmer le temps qui n’est pas celui de l’immédiat quotidien : elle continue certes d’en être redevable, mais en dérange l’ordre premier. Sachant que la mise à mots de la réalité dans le poème est liée à la mémoire de tout ce qui pourrait s’effacer comme à la projection de tout ce qui pourrait recommencer.

Daniel Martinez

"Italiques (Antologia 1980-1995)", en bilingue de Raymond Farina, trad. en italien d'Emilio Coco, Levante editori, janvier 2003, 88 pages

Vraiment l'enfance est devant toi
Laisse - veux-tu -
principes & fondements
& consens musicalement
à ton simple commencement
Il éteint toutes tes étoiles
rend ton regard & tes questions
à la douce ancienne détresse
& tu cherches finalement
comme dans l'Initial
- lettres et éléments -
à vivre & à savoir
sous le signe du papillon
Une courte problématique
faite de doutes de détours
de déroutes & de retours
- signes d'une déréliction
ou peut-être d'une élection -
choisie à la légère
comme le moyen le plus sûr
du plus sûr inachèvement
Une façon de faire
ou - mieux - de contrefaire l'ange
mine de rien
célestement quand même

Veramente l'infanzia è davanti a te
Lascia - vuoi -
principi & fondamenti
& acconsenti musicalmente
al tuo semplice inizio
Spegne tutte le tue stelle
restituisce il tuo sguardo & le tue domande
al dolce antico sconforto
& tu cerchi finalmente
come nell'Iniziale
- lettere & elementi -
di vivere & di sapere
sotto il segno della farfalla
Una breve problematica
fatta du dubbi di svolte
di rotte & di ritorni
- segni di un abbandono
o forse di un'elezione -
scelta alla leggera
come il mezzo più sicuro
della più sicura incompiutezza
Un modo di fare
o meglio di contraffare l'angelo
facendo finta di niente
comunque celestialmente

Epitola posthumus, éd. Rougerie, 1990
Prix Thyde Monnier


Raymond Farina

08:56 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

06/11/2020

"A chaque pas", Bertrand Degott, éditions L'Arrière-pays, mai 2008, 40 pages

Si mon regard n'y voit rien que du flou
j'entends le vent qui remue dans les chênes
rouvres - je te l'envoie, ce grand souffle où
tu mets des mots, pour les heures prochaines


et pour déjà t'y retrouver - ta voix
où c'est toujours la lumière et la houle
dans les hauts peupliers, et les convois
d'oiseaux tels que nos émotions en foule

- ta voix ne suffit plus... je veux ton corps
à présent, ton regard et ta présence
qui remette en accord les désaccords
du jour, et qu'en ce va-et-vient de branches


en haut, dans cet immense mouvement
il soit permis d'aimer lucidement.

 

Bertrand Degott

02:00 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)