15/08/2021
Sous nos propres pas
Empruntant le chemin goudronné, nous sommes descendus jusqu'à la plage. Des deux côtés de la chaussée, des épicéas, lauriers roses, bougainvillées, chèvrefeuilles - j'y retrouve le paysage méditerranéen de mon enfance, ses images qui, en fait, ne m'ont jamais vraiment quitté. Ne me manquait alors que la poésie, d'en savoir photographier la trace ; la source était pourtant là, tout autour, omniprésente, mais ne parvenait à se loger en moi, qui ne savait l'exprimer, dans ses plus beaux atours... On dirait que les jardins qui nous environnent ont le pouvoir de libérer des parfums guérisseurs, qu'à la faveur des années certains murs ont pris la couleur vert-de-gris des anémones, que la besogne des abeilles a peu ou prou libéré la journée de ses attaches terrestres.
Claire est l'eau, des vaguelettes à peu près silencieuses lui passent la main sur l'encolure, la chaleur semble croître graduellement autour de nous, de grandes mauves volatiles nous regardent du coin de l'œil, sous quelques branches basses, parcimonieuses. Plonger oui, toutes affaires cessantes, dans la grande bleue, dans l'élément même, qui déborde à lui seul la saison, toute chose et toute fable. Sur leurs serviettes de bain, Trois Grâces à la rose carnation se prélassent, indifférentes à l'histoire du monde et comme on les comprend !, elles qui veulent brunir et s'y emploient, du mieux qu'elles le peuvent. Vision solaire qu'en avait Ernest Pignon sous le regard bienveillant d'Hélène Parmelin.
Puis un déjeuner frugal à l'ombre d'un olivier aux puissantes racines. De petites olives vertes chutent par instants sur nos effondrilles. Un petit vent sec, bienfaiteur, s'est levé, le chant des cigales redouble, cause à effet ? Un perce-oreille court sur mon avant-bras, à la recherche de quoi ?, égaré sans doute. Un insecte qui de longue date m'a fasciné, avec son corps si allongé, ses deux cerques en pince dans l'exact prolongement de l'abdomen.
Gaëlle ; "Je voudrais de l'eau qui pique"
- A la condition que tu rebouches bien la bouteille pour conserver le gaz. Marché conclu.
Diane sirote son Coca parfumé à la cerise, regrettant l'absence de paille.
Nous terminons par une pastèque, sans pépins, ses chairs craquent sous la dent, mûre à souhait. Le sang martèle aux tempes et dans les cantons de l'âme la robe chaude où se déploie ta nudité titille l'heure jaune. Il est près de deux heures, l'après-midi prend maintenant ses aises, embrasé de promesses il chuchote à l'oreille quelque secret d'alcôve.
Sabots de plastique rose que portent nos deux filles, couronnés de licornes lumineuses quand s'éveillent leurs pas. Heureuses pour un rien sur les allées de sable.
Alors que la nuit est tombée, nous descendons la rue Vincent Delerm vers le port, et là, dans cette voie qui jamais ne voit tout à fait le jour tant elle est étroite, nous nous arrêtons chez un gargotier qui nous prépare au four une excellente pizza pepperoni, à la pâte onctueuse, au coulis de tomates épicé digne de ces fruits du Sud qui ont achevé de mûrir sur pied. Il est bientôt 21 heures, un homme entre, réclame un masque au patron : "La prochaine fois, je te le facture, mon grand !". Et dans le geste de le lui remettre, on perçoit sans le voir, enfoui dans le blanc du tissu, quelque chose d'autre, sous plastique j'imagine. En s'éclipsant, l'homme glisse "Merci bien, c'est une bonne affaire". La messe est dite.
Au moment de régler, j'opte pour les espèces, le patron préparait déjà son smartphone pour un paiement dit "sans contact", qui aurait pu me coûter un peu plus cher.
En sortant, je repense à ces ruelles interlopes que décrit majestueusement Filippo De Pisis. Un auteur que seul (ou presque) André Pieyre de Mandiargues s'est évertué à traduire en français. Belle écriture pourtant, mais j'ai toujours pensé que des raisons extra-littéraires avaient généré pour lui ce pont difficile entre les deux langues (le monde des lettres est si particulier dans ses choix ou ses excommunications). Passons.
Deux chats jumeaux dorment, le menton mollement appuyé sur les pattes de devant.
Daniel Martinez
07:40 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)
01/08/2021
Cahier tunisien
Avancées
Aux aloès brodant leur citadelle
à l’infime météorite dérivant
sur l’aile du papillon de nuit
au jour qui s’assimile delà
les racines des faux poivriers
le long de la chaussée
ainsi de tout
la proximité du reflet
précède l’esprit
la bouche du firmament
Sans rien pour marquer la frontière
la steppe sablonneuse
dans l’instant même
où elle semble s'effacer
derrière son évidence
Entre les terres rouges et brunes
dans l’échancrure un bac ouvre l’eau
une surface qui sans cesse
ravive les images de ta vie seconde
de la maison au crépi rose
après que les heures d'or
et la splendeur
qui en émanait alors
te furent retirées
Daniel Martinez
Dessin à la mine de plomb de de Pacôme Yerma
22:28 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)
16/07/2021
"Journal tunisien"
Pour apporter mon soutien moral aux amis que j'ai laissés en Tunisie, qui ont accompagné à peu prés toute ma scolarité, avant mes études de Droit à Saint-Maur-des Fossés - eu égard à un pays si durement touché par le Covid 19, ces pages de mon "Journal tunisien", inédites :
A Tabarka, au pied d'un phare, une grotte à moitié immergée, où se réfugient les phoques. Entre autres plongeurs, dans la nuit de l'Esprit, nous y découvrons des mérous, des étoiles de mer, des holothuries, des girelles et des castagnoles noires dont les yeux phosphorescents semblent des gemmes. L'on dirait une admirable tonnelle, prémices du premier feu, qui devait illuminer la terre, en majesté. Et j'adore cette image, et j'adore l'or et la douceur absolue de ceux-ci qui me regardent, dans une prairie sous-marine où me cacher de ce monde délétère.
Une forêt de caroubiers, introduits dans le bassin méditerranéen, pour y être cultivés. De dix à douze mètres de haut, sur des sols calcaires, secs et pierreux. Leur troncs sont épais, dans leur partie basale : jusqu'à deux mètres de circonférence. Leurs fruits, les caroubes, sont des gousses de dix à vingt centimètres, d'abord vertes puis brun-noir à maturité, comestibles.
Le filet ininterrompu des jardins dont les cyprès, les orangers, les palmiers, les daturas géants, les bougainvillées, ont abrité Gide m'aident à apprendre l'étendue, sa gloire, devant l'ombre grise de mes doigts, rien qu'ombre, saisie entre les marbres et les mosaïques à la gloire de Poséidon.
Oracles donnés là dans la Rome antique, dont ces lieux empreints d'histoire continuent de témoigner, une voix soudain s'élève. D'où surgie ? Tandis qu'un fennec apeuré court sur les dalles du forum.
Des jarres où l'on stocke l'huile et le grain. Des gourbis de pierres sèches ou de briques crues, avec comme enclos des branches de jujubier. Le décor s'ouvre en éventail. A fleur de terre : une cuve baptismale.
Face au mausolée d'un marabout, proche du puits de tes pensées, tu te recueilles : on y égorgeait au printemps une vache noire, que l'on suspendait ensuite à un olivier. On la coupait en quatre quartiers que l'on débitait en soixante tas de douze morceaux chacun. Les soixante familles qui composent l'actuelle Dougga en recevaient chacune une part.
Des oliviers centenaires dont les troncs, les années passant, se sont ouverts. Leur cime sert de perchoirs aux tourterelles et aux ramiers. Folie que de se défier de la flamme qui t'habille. Aussi le temps que tu parcours, souverain, ignore-t-il le temps des horloges. Ce ne sont qu'arbres qui frémissent, que routes cahotantes qui bougent, couvertes de légendes dans l'eau pure du matin.
Trompettes abaissées, écloses dans le souffle, bu par les yeux d'ocre et de nacre d'un pur imaginaire, que le langage traduit à sa façon, imparfaite toujours.
Le destin lui, ne s'écrit qu'en marge de nos vies, s'il accompagne dans leur course hasardeuse les stratus, il réfléchit et diffracte de même les ornements de femmes conversant, nonchalantes, sous un ciel imperceptiblement mobile.
A la rose des vents cette soif des hauteurs, à la mesure du vertige originel.
Daniel Martinez
11:42 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)