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04/04/2020

Journal du confinement IV

- Dany, tu ne connais pas la dernière. Non, raconte : - Eh bien, Guillaume le facteur a le corona, du mal à respirer, des toussotements à n'en plus finir, des vertiges, des bouffées de fièvre et tout le tralala. Il avait plutôt bonne mine, il y a deux jours pourtant ; et hier, sa vacation terminée, alors que tu étais déjà parti rejoindre les tiens en banlieue, le Samu est passé au bureau, en combinaison, et derechef il a été hospitalisé.
- Où ça, dis-moi ? - A Saint-Antoine, dans le douzième, mon grand.
- Le malheureux, mourir dans ces services, mais c'est une double peine !


- Cela ne t'amuse pas, toi qui tiens une revue et pilote une petite maison d'édition, qui es dans une constante relation d'échange avec les autres, les auteurs mais pas seulement, d'entendre parler de solidarité à tout bout de champ alors que la plupart des Français sont assignés à résidence ?
- Gilles, je vais être franc avec toi. La solidarité est une notion que je respecte bien trop pour qu'on la galvaude ainsi. Je préfère avoir croisé, moi qui continue à circuler dans les transports, où l'on ne se bouscule pas, une charmante créature au demeurant, qui arborait, en capitales rouges, sur son sac de toile blanche : "Go your own way". Au moins, elle était fidèle à ses pensées. Regarde par exemple les commerces: plus de farine, plus de levure boulangère, plus de pain de mie ensaché, plus de spaghettis, plus de papier toilette, etc... Question solidarité, on a déjà vu mieux, non ? Certes, à vingt heures tapantes, et pendant une minute, les populations applaudissent aux fenêtres, j'en ai même entendu jouer du tambour ou souffler dans un cor de chasse ; et, dans ma campagne, quelques pétards jetés ici et là, les chats s'enfuient et les chiens aboient. Mais enfin..., mais enfin...

 

- Et le système, lui, je veux dire économique, tu sais, leur Europe, le taux d'endettement des États constitutifs, cela donnera quoi, après cette crise ?
- Je ne suis pas devin, Gilles, mais tout ce méli-mélo sera bouleversé, des secteurs entiers seront nationalisés, pour survivre, tout simplement. Dans mon département, les dirigeants des PME préparent déjà leur dossier pour se déclarer en faillite et licencier à qui-mieux-mieux. Un taux de suicides, tenu secret naturellement, qui montera en flèche. L'Europe financière est en passe de s'écrouler comme un château de cartes. Et nous irons vers un dirigisme économique, mais pas seulement : le pouvoir qu'a pris l’État (regarde : tous les portables vendus dans l'Hexagone ont été déjà répertoriés par ses services, tu as pu lire comme moi le message d'alerte pour les gestes "barrière" s'inscrire sur ta messagerie, la CNIL n'a même pas réagi), ce pouvoir disais-je, ne va pas s'estomper une fois que nous en serons sortis (?), comme par miracle. Me revient en mémoire mon sujet de philo au baccalauréat (je ne parle pas de la mascarade de bac mise en place cette année) : "Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument." Mais c'était un autre temps, on pensait sa vie, à l'époque, on ne se contentait pas de la subir.
- Donc plutôt pessimiste ?
- J'ai foi en l'homme, et pas seulement d'ailleurs. Nos enfants, qui eux seront épargnés, reconstruiront ce monde miné de l'intérieur. Et j'espère que les poètes y auront large place.  Daniel Martinez

08:03 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

27/03/2020

Journal du confinement III

Tu me téléphones, Michel, pour me dire que j'écris plutôt un Journal du déconfinement que du confinement ! - Ma foi, je ne dis pas non, c'est si triste, ces gens parqués, à droite et à gauche, ne pouvant se faire encore dépister par décision régalienne. Et puis, derrière tout cela, il y a le combat souterrain dont le chaland ne saura rien. Celui que se livrent les instances médicales, par laboratoires interposés, par exemple, mais pas seulement. Et les miettes qui arrivent jusqu'aux journalistes, ou les indiscrétions voulues, pour calmer (un peu) le jeu si je puis dire. Comment s'adapter au mieux à cette situation, hors normes ? Comment redonner le sens d'un nouveau chemin à suivre, à des contraintes insupportables de prime abord ?

Sur le quai, une femme boit Leffe sur Leffe, jetant à mesure les cadavres à la poubelle du quai SNCF de Val-de-Fontenay. Je lui souris, elle me regarde. Elle est un tantinet ivre, j'ai envie de l'embrasser tant m'émeut son âme en désarroi, et elle le sent bien, debout, à côté de moi dans le compartiment ; puis elle s'assied, avec un revers de main pour écarter son écharpe flottante, violet pâle, le Transilien est parti.
Elle n'a pas de masque, moi non plus d'ailleurs et me pose le temps du trajet à côté d'elle : "Vous n'avez pas peur, avec tout ce qui flotte dans l'air ? - Pas vraiment, ces gens sont fous, la mort qu'est-ce c'est à côté de la vraie vie ? Ils sont plutôt allumés, ces médiocrates, qui veulent nous empêcher de nous voir, de converser avec autrui, de nous aimer tant qu'on y est, pour une cause qui les dépasse, de loin, de très loin. Allez, si vous n'êtes pas de mon bord, passez votre chemin.

La poste d'Ozoir est fermée depuis lurette, du jamais-vu depuis mon arrivée dans la métropole en août 1975. Les guichetiers dès le premier jour ont eu peur d'accueillir le public, doit-on le leur reprocher ?... Les facteurs de ma ville d'élection, eux, partent de Roissy-en-Brie, à cinq kilomètres de là. Ils font aussi partie de cette "première ligne" envoyée au charbon, de distributeurs continuant d'assurer leur service coûte que coûte, rattachés en tant que tels à une "organisation d'importance vitale" : femmes et hommes à qui beaucoup de particuliers ne donnent pas la pièce pour le calendrier en fin d'année.
La boulangerie où l'on cuit le pain sur place est toute proche, on y entre et on en sort sans fermer la porte de verre, ce qui rassure la clientèle. Les pâtisseries, qui faisaient vivre ce commerce, sont quasiment absentes des vitrines ; les pizzas, dont la fameuse Calzone, continuent d'y fleurir. Les propriétaires me dit-on, sont arrivés de Lombardie il y a une dizaine d'années ; j'imagine leur désarroi devant les lourdes pertes humaines infligées à cette région d'Italie ces temps-ci. Le sourire y est néanmoins de mise.

En nous dirigeant vers cette grande surface où de blanches barrières indiquent la voie à suivre pour entrer dans les lieux, on aperçoit la ferme Pereire, tous accès bloqués. Diane et Gaëlle veulent voir ce qu'elles appellent "le château" et qui en a l'air il est vrai, n'étaient ces briquettes roses trop pimpantes, trop visibles çà et là. Je les amène jusques aux grilles d'entrée de l'édifice, le terre-plein central est envahi par les pâquerettes qui ont un je-ne-sais-quoi d'indécent en la circonstance. Progressant de quelques pas encore, côté gauche, une vaste écurie ; des chevaux nonchalants y sont conduits dans leur loge. Gaëlle me demande de quoi se nourrissent-ils ?, je lui montre les rouleaux de foin stockés de part et d'autre et ajoute qu'ils mangent l'herbe au sol aussi, si prolixe en cette saison. Après avoir arraché quelques touffes d'herbe, les deux enfants veulent du coup nourrir les équidés; puis s'étonnent qu'aucun ne s'avance vers elles, au vu de leurs petites mains toutes frêles tendues de concert.
Alors, pour les consoler d'une histoire, je leur raconte que j'ai fait dans ma jeunesse de l'équitation, monté des purs-sangs arabes, me hissant à cru et galopant à folle allure le long des plages désertes, là où frise l'eau qui se résout en écume semblable à la salive de l'animal quand il est fatigué. J'avais quinze ans à peine et ces courses étaient pour moi un don de la nature. La sueur de l'animal était la mienne en quelque sorte et cette communion réveillait depuis l'arrière-gorge des rires intermittents, un bonheur lisible, visible. Cavalcades ponctuées par les brefs écroulements du sable, les vives envolées de poussières rocheuses que retournaient les sabots à mesure.
Voilà, maintenant mes petits cœurs, fermez les yeux et imaginez cela... En manière de remerciement, Diane chante en chinois l'éclosion des fleurs du jasmin à la belle saison ; une voix claire, un sens de la mesure que je n'ai jamais eu.

 

Daniel Martinez

21:03 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

22/03/2020

Journal du confinement II

Qu'en dire, qu'en penser ? Vivre est une aventure, tout d'abord. Essentiellement ; et son but, dès l'origine nous est inconnu, ou presque. Il me souvient d'une chaleur blanche qui flottait, peut-être était-ce le vent qui remuait ainsi la lumière, de l'intérieur ? Nous avancions sans rien dire, c'était interminable. Tout était figé, irréel. Personne dans les rues, pas de voitures. Nous marchions, le mur blanchâtre à droite reculait, insensiblement, du côté de Bercy. Nous n'étions pas tout à fait irrités, pas tout à fait résignés ; c'était un malaise sans violence, qui durait. La marche devenait sans cause. Est-ce que nous arriverions jamais, est-ce que notre vie était ou serait enfin autre chose que cette marche, un dimanche d'été, le long d'un mur dont nous n'apercevions pas la fin ?

Nous nous sommes promenés longtemps. Rien n'est venu. Nous étions inhabités. Des acteurs après la pièce. Il n'était pas jusqu'à cette douceur autour de nous - on eût dit un printemps attardé - qui ne nous écartât l'un de l'autre. C'était un monde étrange où nous ne pouvions vivre. Il ne restait rien. La tête baissée, le souffle court, chacun marchait dans son image ou son vide familiers. Parfois l'un de nous faisait une remarque anodine sur le joli point de vue, puis le silence reprenait. Les eaux commençaient à se retirer. Et nous parvinrent des cris d'oiseaux du haut de quelques platanes, d'oiseaux qui semblaient vouloir partager avec nous une histoire. Mais voici qu'approche l'Heure des métamorphoses. Près d'un square désert, deux portes bleu sombre sous un mur aveugle : c'était beau, j'y voyais le flux monter, en moi, en toi, en nous. Ton visage.

Pas à pas, tout renaît à mesure, sans crier gare : nos aspirations, nos fumées, nos erreurs, nulle envie de les renier mais de leur rendre grâces, pour cette charge émotive toujours présente. Et, de l'autre côté d'un fleuve, la Seine, j'observerai les pas de celui que je fus. Ceux qui me mènent à cette heure sont-ils plus légers ou plus lourds ? Je ne le sais. Mais, d'ombres en ombres : là, un peu de rose, au fond d'une cour, l'explosion folle d'un forsythia ... On voudrait de tout pouvoir faire un chant, à la manière des poètes ; aussi bien de ce qui nous accable, de ce qui nous comble, du murmure, de la plainte, de ce qui reste au fond de soi, après coup.
Il se dit que tout instant qui n'est pas tourné vers la grandeur est vain. Qu'il soit donc : à l'oreille, à peine une chanson, vague et d'on ne sait d'où venue ; à deux doigts de revivre, le toucher d'un éventail à plumes blanches, sur la table de merisier, qui continuerait à bouger doucement, à l'image d'un cœur, absolu.    Daniel Martinez

18:31 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)