241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/07/2019

L'arbre et la forêt

J'ai fait, sous votre œil attentif un rapide tour d'horizon du futur numéro 77 de Diérèse (tous les participants ne sont pas cités, mais diable je n'ai pu aller plus loin).
Vos messages, vos lettres, après chaque livraison me sont d'un réel réconfort. Car la poésie, c'est aussi, avant tout dirai-je, un lieu d'échanges, témoignant de la vie dans ses manifestations, heureuses ou malheureuses, quelle que soit notre condition ou le regard que porte sur nous les relais institutionnels, pas toujours inspirés dans leurs choix. Mais qu'importe : le plus important n'est-il pas de créer et de défier ainsi ceux qui avec infiniment plus de moyens, dans telle ou telle publication subventionnée, ne nous donnent à lire que d'indigestes travaux de laboratoire ? Poésie in vivo, poésie in vitro : les deux plateaux de la balance ; et vous n'êtes pas sans savoir de quel côté penche mon cœur. Merci de ne pas voir ici une démarche populiste, opposée à mes conceptions, à mon ouverture sur le monde, sur l'étranger à accueillir et la haine commune à bannir ; il suffit de vous reporter au sommaire de chaque numéro pour vous en assurer.
Assurément : par quelque côté qu'on l'observe, notre époque est terrible. Dans son obstination à répéter toujours les mêmes erreurs, quel que soit le prix à payer, qui pourrait être in fine la mort de l'humanité... Le message des poètes dépasse toutes les conventions et l'indéniable vitalité du substrat poétique joue contre les forces de mort, à l’œuvre parmi nous, pour le pire. Que notre regard se porte sur le meilleur.

J'ai choisi pour vous aujourd'hui de partir d'une fable : de La Fontaine, précisément. En imaginant un dialogue entre le chêne et le roseau, Jean de La Fontaine montre qu'il s'agit bien de deux individualistes - on pourrait même dire de deux vieux célibataires, si ces mots n'abusaient. La malignité du moraliste et l'humour du poète... cachent la forêt sous un aimable anthropomorphisme, mais sans avoir tellement tort au regard de la réalité, en dehors des variations morales.
Dans sa forme d'origine, la forêt se présente comme la réunion naturelle de certains végétaux qui vivent en association. Les membres les plus caractéristiques de cette sorte de communauté sont les grands et vieux arbres dont les branches principales peuvent devenir aussi grosses et solides que le tronc. Habituellement, ils dominent des taillis et un sol recouvert depuis longtemps d'un tapis d'herbes et de mousses - sans oublier les champignons qui, dépourvus de chlorophylle, apparaissent justement là où abondent les mousses.
Tout concourt à être, à condition que l'on veuille bien s'en aviser, je veux dire par là : sans se voiler les yeux ou s'en laver les mains. Je vous laisse... Merci pour votre écoute, depuis votre lieu de vacances ou chez vous, face à votre ordinateur, l'un n'excluant pas l'autre. A bientôt. Amitiés partagées, Daniel Martinez

10:26 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

22/07/2019

Mes lectures estivales : "Amyntas", d'André Gide, éd. Gallimard, 1926

En ces temps-là (27 février 1926), Gallimard éditait des livres de petite taille (10 x 15 cm) et j'ai toujours dans mon bagage ce qui me vient de si loin, d'abord Amyntas, d'André Gide, sous couverture bleue & tiré à 500 exemplaires ; le second opuscule, Dialogues avec le corps endormi (1925), de Jean Schlumberger. Soit dit en passant, deux amis de longue date. Ce sont des membres fondateurs de la NRF que j'évoque ici. En vous faisant partager ma lecture du jour, Amyntas, un recueil de Gide. Amitiés partagées, Daniel Martinez

 

Alger  (Fort National)

 

Vendredi 15 octobre 1903

Jardin d'Essai, le soir. Allée de bambous déjà sombre... Je m'y suis promené le soir, à l'heure où, dans l'avenue des platanes, à peine on distinguait du tronc des arbres l'épais enveloppement des lianes... Je retourne au Gruber*, où j'écris ceci. Je vais dormir.

Mais j'aurais vu, géantes, ces ipomées dont tu parlais. Tiges volubiles, fleurs violet pourpre ou plus pâles, qui font face toujours ; leur couleur froide peut éblouir... !

Des lontanas géants ; des lauriers-roses ; des hibiscus, feuillage glacé vert, fleur cramoisie... Dormir.

 

Samedi

Trente-neuf degrés à l'ombre. Il n'a pas plu depuis six mois.

L'étrange, l'exténuant, c'est qu'il fait plus chaud la nuit que le jour. Car, le jour, si l'on a le soleil, on a l'ombre, et qu'un souffle par instants vient rafraîchir. Mais, passé six heures du soir, le vent tombe ; une égale obscure chaleur s'établit. Tout prend soif. On songe à se baigner, à boire. On se dit : je ne pourrai pas dormir cette nuit ; et l'on rôde. Le ciel même est impur ; sans préparer aucun orage, ce sont des ternissures de chaleur qui font songer, au-delà du Sahel favorable, au continent énorme embrasé.

Je bois, je bois ! Comme je bois !!

Je sue, je sue ! Comme je sue !!

Je songe aux oasis flétries... là, j'irai ! - Oh ! soirs confus et ternes sur leurs palmes !

Je n'ai pu découvrir encore d'où montait ou tombait cette odeur de santal, qui flotte sous les branches du square, vous enveloppe et vous emplit.

Une heure avant le coucher du soleil, d'invisibles oiseaux, dans les ficus du square, commencent un criaillement si aigu que l'arbre tout entier en est ivre...

 

André Gide

_______

* taverne d'Alger

11:34 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

24/06/2019

L'air du temps

Une petite semaine passée loin du blog que j'alimente régulièrement pourtant, mais... il me fallait quelque repos, prendre un peu de distance avec le plus commun de jours. Pas de grand voyage si ce n'est de l'intérieur, avec une attention discrète à l'actualité, nationale et internationale, aux relents mortifères. Le populisme ambiant m'exaspère, je ne vous apprends rien, qui touche un peu tous les domaines et gagne même celui de la santé publique avec, par exemple, le refus de se faire vacciner !  Nous sommes loin de l'esprit des Lumières, même si certains sociologues jugent que la situation économique actuelle durcit les discours, les références, potentialisant dans le même temps la volonté de faire tenir dans une formule les solutions à apporter à de vrais comme à de faux problèmes, inventés de toutes pièces. Pour Henri Thomas, "la vérité, la poésie, la vie ne se peuvent jamais saisir dans une formule ; là où il y a formule, il n'y a plus de respiration". Comme je le comprends bien ! Laissons cela aux politiques, les littéraires n'y ont rien à voir.
L'heure est grave, certes, et nous n'avons pas fini d'en évaluer les conséquences, pour celles et ceux qui nous survivront. Mais il y a néanmoins, et malgré tout, une volonté de vie qui passe tous les clivages, sociaux, culturels, cultuels et doit garder le statut de gouvernail dans la tempête. Plus jeune, j'ai encore à l'esprit mon professeur de philosophie dont la fille était autiste et qui se demandait si cette affection était innée ou acquise. Certes. L'important n'était-il pas, bien plutôt, de permettre à cet enfant de vivre pour le mieux son handicap ? Toute situation difficile engendre des réponses complexes, adaptées, contextualisées, délivrées de l'obscurantisme simplificateur qui fait florès. Le tourisme culturel n'a que peu à voir avec la culture ; de même le monde, dans son évolution, ne se laissera pas réduire à des schémas directifs à voie unique. Le vivre ensemble par contre est un outil de prédilection sur lequel travailler de concert. L'individualisme forcené prôné comme une valeur sûre et ses métastases dérivées détruit autant que ce qu'il prétend construire. Nous vivons : là est le problème, une époque de déconstruction... où les peurs s'agglomèrent dans un magma informe, où les sentiments, pour mal orientés qu'ils soient, prennent le pas sur la raison.


Amitiés partagées, Daniel Martinez

18:14 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)