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26/04/2017

"Une nuit sur le mont Chauve", un livre de Michel Butor et Miquel Barcelo

Chacun sait que le poème symphonique "Une nuit sur le mont Chauve" a été écrit par Moussorgski, mais pas forcément qu'un livre d'artiste du même nom a paru aux éditions de La Différence en septembre 2012. Imprimé en Italie, à La Spezia, dans un format à l'italienne (19,5 x 27 cm), avec une couverture cartonnée et des pages sur papier Efalin lisse de 120 grammes du plus beau noir.

Soixante-douze quatrains de Michel Butor (qui a illustré à son heure Diérèse 63) y voisinent avec 72 dessins de Miquel Barcelo, oeuvres sur Canson noir imprimées à la planche, à l'eau de Javel et au Gesso : les motifs jaune paille se détachent du fond ainsi que vous pouvez en juger plus bas... On repense bien sûr au (petits) dessins sur Canson noir de Michaux mais ici la manière est autre puisque le plasticien Barcelo, un habitué des grands formats, "grossit le trait" si je puis dire. On peut admirer des poissons, poulpes, coraux ou indifféremment des rennes, dromadaires, girafes, buffles, zèbres, chevaux, le tout orchestré de main de maître cela va sans dire ! - sachant que le livre s'achève là où commence le dernier film d'Alain Cavalier, "Le Paradis"** : sur le monde des oiseaux (et la symphonie se termine), voici

     71 Migrateur :

     Quelques oiseaux quittent la scène    
     pour laisser place à ceux du jour
     croassements glapissements
     ricanements vrombissements

On songe aux poèmes du Bestiaire apollinarien (sans ce caractère naïf, enfantin même de certaines pièces dudit Guillaume) : bref, chez Butor, une poésie résolument non conceptuelle, mais bien plutôt descriptive, je veux dire privilégiant toujours pour la rendre parlante la partie la plus suggestive de la réalité. Les vers du poète peuvent aussi se montrer caustiques et dévier sur le monde des humains, par exemple

     57  Parlementaire :

     Au bal masqué les politiques
     se sont déguisés en légumes
     blancs ou rouges navets carottes
     avec feuillages de billets

Michel Butor, dont la maîtrise du vers n'est plus à démontrer, sait ne jamais s'éloigner de l'objet de sa quête et l'on repense à ce que disait Henri Thomas interviewé par René de Ceccaty (interview dont je vous ferai part dans une prochaine note blog) : "La poésie ne doit jamais être vague." Au contraire, elle est ici proche du sujet, sans pour autant risquer de devenir une poésie du quotidien. Comme dans

     42 Polyglotte :

     Ils dévorent dans les pommiers    
     les fruits qui leur donnent les clefs
     de toutes les langues humaines
     qu'ils prononcent précisément.

Sans oublier naturellement

     27 Vénitien :

     Dorade cherchant un amant
     parmi vagues du carnaval
     antennes murmurant odeurs
     dans la confusion des espèces

accompagné précisément de cette oeuvre de Miquel Barcelo (peintre qui à mon souvenir à également illustré le regretté Paul Bowles, dans l'un de ses récits africains)

 

BARCELO.jpg

 

Préciser enfin que cet ouvrage a donné lieu à un livre-objet constitué de huit rouleaux de 350 x 30 cm et que de cet ensemble, réuni dans une boîte en tilleul, il a été tiré 119 exemplaires de tête constituant l'édition originale. Les poètes embellissent le monde, cqfd... DM

22:46 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

21/04/2017

La revue "Phoenix", dans son numéro 24, parle de Diérèse opus 68

Diérèse, n°68, été-automne 2016

Dans son édito Notes éparses, Daniel Martinez confie aux lecteurs le souffle qui parle Sur le blanc du monde. La traduction redimentionne le chant littéraire écrit-il, ainsi Domaine International donne à lire le poète brésilien Carlos Nejar, le Danois Christensen, le Sud-Africain Sinclair Beiles et l’Américain Edgar Bowers. Dans Cahier I, huit poètes sont présents. La série poétique de Pierre Dhainaut Pour ce matin ce sera tout fait se correspondre art poétique et force créative, elle insuffle ce blanc du monde rendu accessible : "Les poèmes n’accèdent à leur forme exacte que s’ils sont incapables de s’y fixer, comme les arbres.// Les poèmes ne font qu’esquisser une phrase dont nous ne verrons pas le terme. Nous avons toujours, dit-elle, à accueillir." Cahier II invite huit poètes et des lettres de Jean Malrieu à Jean-François Mathé. Diversité des voix et qualité sont de mises, quelques brefs extraits : "le sentiment, lui, était d’une branche à l’autre perdu" (Pascale Flavigny) "Flétrissons le soir, ne craignons/ que le silence sans flocons" (Isabelle Lévesque) "revenir à ce jour/où la vie tenait à une porte mal fermée" (Gilles Lades). L’échange épistolaire est quant à lui éclairé par cette « joie noire » où Malrieu puisait son inspiration. Les lettres disent la dévotion de leur auteur à son travail de revuiste pour Sud, sa bienveillance et son honnêteté. "Recevoir une lettre de Jean, c’était recevoir des nouvelles d’un monde où « il fait un temps de poème »", conclut Dhainaut dans sa présentation. La lettre, lien pérenne et traversée, loin de ne graver qu’une trace, est ce courant drainant ses forces et révélant ad vitæm ses secrets. La partie Regards ne s’éloigne qu’en apparence du poème en offrant à lire des extraits d’un roman de Hélène Mohone, des notes de Pierre Bergounioux (mai 2016) et un texte en prose poétique de Daniel Abel. Dans ses notes, Bergounioux n’enchante pas le quotidien. Le détail des menus faits dit l’adhésion d’un homme au bonheur et à la fraternité. La fragilité physique se dilue dans la lumière des petits gestes, de l’attraction de l’histoire sociale et celle de la littérature. Ensuite, le lecteur retrouve avec plaisir Etienne Ruhaud et sa rubrique Tombeau des poètes IV (Cimetière du Père Lachaise division 27 Jean Rollin et division 49 Gérard de Nerval). Outre faire le récit de leur parcours en offrant des détails propres à satisfaire la curiosité et l’intérêt (même des plus érudits), Ruhaud emploie un style truculent où l’hommage n’est jamais atténué. Ainsi nous écrit-il qu’un lecteur a laissé un homard en plastique sur la tombe de Nerval et nous rappelle que la légende veut que le poète se soit baladé avec un homard tenu en laisse sur les marches du Palais Royal. Simple détail ? Ce numéro de Diérèse s’achève sur Bonnes Feuilles où dix-sept contributeurs offrent leurs lectures, chroniques et études se succèdent. Se trouve là prouvée cette assertion de Michaux reproduite dans l’édito : "écrire tient, pour certains, du vivre".

                                                             Marie-Christine Masset


. . . . . . . . . . .faites passer je vous prie, merci. . . . . . . . . .  

19/04/2017

"Amor", de Colette Fellous, 132 pages, éditions Gallimard

Graffiti vénitiens


L'écriture ébouriffée et expressive nous entraîne de vive main jusqu'à la dernière ligne. Les mots courent, bondissent, taisent presque tout, entourent les ellipses d'objets (les rues, les fleurs, les bêtes, les arbres, que les femmes - voyez Colette, pas Fellous, l'autre - savent écrire de façon tellement concrète, avec ce style semblable au corps d'un chat) doués d'une vie si attachante que l'on souhaite ne jamais plus les quitter. "Et très lentement, elle a enlevé ses lunettes noires, les a posées près de trois stylos sur la nappe. [...] L'encre noire serait pour Joseph, la violette pour Théo et la turquoise pour Gregor." Pour tous les trois, elle rédige la même lettre, mais : "Une poussière de secondes on a oublié de la suivre", et peut-être n'a-t-elle pas jeté les trois enveloppes dans la boîte. "Sur le pas de la porte, la marchande de chaussures la regardait, les bras croisés."

Voilà le lecteur parti à la suite de l'épistolière, plus que consentant, intrigué, anxieux, charmé. Il croise la vieille femme "essoufflée par le poids de son grand panier noir débordant d'artichauts", écoute "trois notes de saxo glissant tout au bord de la fenêtre, avec les branches d'un micocoulier qui se balançaient lentement...", rencontre "les yeux de la bédouine qui avait cherché, un été, à lire son destin à même le blanc de l'oeuf ou en comptant les noeuds d'un fil de lin..." Et ne demande qu'à le croire quand on lui explique : "C'était tout cela aussi, l'histoire d'Amor."

Car il y a une histoire d'Amor, quasiment non-dite, pas vue, à peine vécue, incomprise, mais tellement importante qu'elle structure tout le livre - ou plutôt l'empêche de se bâtir rationnellement, le disperse en mille éclats lumineux et tremblants. "Un merle échappé des buissons avait rejoint le sommet du réverbère et avait lancé son oeil inquiet vers le ciel, la femme de l'épicier kabyle rangeait les oranges maltaises dans de grands paniers et le chien argenté dormait devant la pharmacie."

Qu'est-ce donc, Amor, quelqu'un, quelque chose, le simple et facile anagramme de Roma, titre d'un précédent roman du même auteur ? Amor, c'est "un cercle", "un fil", il faut le trouver pour connaître du même coup le sens et la cohérence d'une vie. Mais l'a-t-elle trouvé, la femme aux trois lettres, au moment où cette soudaine brûlure à l'oeil la fait - peut-être - disparaître ?

Ce que nous savons, nous ne le dirons pas. Hormis ceci : on passe avec ce livre des heures cahotées mais non perdues. On admire les fragments de la mosaïque. Les défauts ? En parler serait gâcher un plaisir que les romans d'aujourd'hui ne délivrent pas si souvent.


                                                                                            Nicole Casanova