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10/04/2017

"La maison du joueur de flûte", d'Alexandre Vialatte, éditions Arléa-Les Fruits du Congo

Les textes inédits des écrivains célèbres sont des pièges redoutables. Il existe tout un petit commerce de l'édition qui fait son beurre en exhumant du plus profond des tiroirs à secrets les livres de comptes de Marcel Proust, les tables de records des exploits onanistes de Paul Léautaud ou les griffonnages infantiles et dissertatoires de l'élève Gide. Tous textes qui peuvent certes retenir l'attention des archéologues du talent, des indicateurs biographiques ou des apôtres de la psychanalyse, mais qui ne présentent que rarement pour les lecteurs que nous sommes d'autre intérêt que de nous permettre de constater - fière découverte ! - que Proust a été un bourgeois, Léautaud un vieux cochon et Gide un enfant. Il suffisait de lire leurs vrais livres pour s'en douter.

Pourtant, dans les ventes aux enchères des bibelots de la gloire, il arrive aussi parfois que l'on déniche un trésor. Dans l'armoire, sous les piles de vieux draps qui sentaient la lavande, sous les couronnes de cols amidonnés et les boîtes de boutons dorés, les héritiers ont retrouvé un tas de vieux papiers ficelés : des lettres en désordre qu'ils ont gardées pour eux - tant mieux - et une liasse de feuilles abandonnées, un roman, un essai, un recueil de poèmes que l'on avait caché là pour mille raisons possibles.

Dans le cas de la Maison du joueur de flûte, la raison saute aux yeux : il s'agit d'un écrit intime. Les deux termes sont à prendre en cause : entendez qu'il s'agit véritablement d'un écrit, un texte soigneusement mis au point, travaillé sans hâte, enrichi de toutes les couleurs et de toutes les nuances d'une imagination serrée et vagabonde, construit selon une logique absolument rigoureuse qui ménage les progressions, superpose les tons - de la caresse rieuse à la plongée tragique, - pondère les paradoxes de manière qu'ils enchaînent tout autant qu'ils libèrent, et dispense son flot d'images avec autant d'audace que de générosité.

Mais il s'agit aussi d'un texte dans lequel Alexandre Vialatte se livre, beaucoup plus qu'il ne l'a jamais fait et ne le fera jamais, d'un livre écrit comme à haute voix, pour soi-même, dans un moment de doute et de détresse, quand il importe de faire le point, de repérer ses bouées, de faire le ménage dans ses pensées et dans ses chimères. Et c'est probablement par excès de pudeur, parce qu'il pensait, l'Auvergnat aigu et rêveur, que le spectacle de ses angoisses n'intéressait pas ses lecteurs, qu'il s'est décidé à ranger ce récit, trop objectivement littéraire pour être détruit et trop subjectivement douloureux pour être publié. L'édition de la Maison du joueur de flûte est évidemment une manifestation supplémentaire de la grandeur d'Allah.

Le livre a été écrit, nous indique Ferny Besson, l'ange tutélaire des sectateurs de Vialatte, au cours de l'hiver 1943-1944, c'est-à-dire avant le long silence qui précède les Fruits du Congo, roman publié en 1951 (éd. Gallimard). Un silence qui est aussi celui de la torpeur française, de la destruction par la défaite d'une manière de penser et de vivre, celui du spectre de la disparition de la France comme valeur, que ce soit sous le cuir des bottes nazies ou engluée dans le caoutchouc du chewing-gum yankee.

La Maison du joueur de flûte peut, sans scandale, être lue comme un salut ultime et douloureux à un pays qui disparaît. L'histoire elle-même, celle d'un photographe, propriétaire d'une vaste et magnifique demeure, qui accueille les êtres les plus fantasques et les plus merveilleux, et qui se trouve, peu à peu, exclu de sa propre maison, provoque des enchaînements d'images suggérant l'exil intérieur, le désenchantement, la nostalgie d'un monde qui se fige dans des attitudes et dont il ne reste plus qu'un immense musée Grévin de figurines, un cimetière de fantômes encore un peu agités, et quelques âmes de jeunes gens promis aux plus hautes destinées et condamnés par la rudesse des temps à ne plus espérer la gloire que dans les dépenses de la frivolité.


                                                                                                     Pierre Lepape

16:25 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

08/04/2017

Jean Rousselot nous parle du poète hongrois Gyula Illyés - Institut hongrois, 29 novembre 2002

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Ce texte a été imprimé pour la première fois dans la revue Diérèse.

07/04/2017

"Transit", d'Anna Seghers, traduction de Jeanne Stern, éditions Alinéa

Marseille, l'"hiver terrible" 1940-1941. Des milliers de fugitifs errent de café en café, de consulat en consulat, dans l'attente du "transit, ce document garni d'un dérisoire ruban", qui, en les autorisant à "traverser un pays s'il est bien établi qu'on ne veut pas y rester", leur permettra d'embarquer vers la liberté. Parmi eux, la romancière allemande Anna Seghers, exilée à Paris depuis 1933 et qui a perdu, dans la tourmente, jusqu'au manuscrit de son dernier roman, la Septième Croix. Une copie, envoyée à temps à New York, a néanmoins été retrouvée ; le livre deviendra, notamment aux Etats-Unis, l'un des grands succès littéraires de l'après-guerre.

Témoignage hallucinant sur la condition de ces hommes venus des quatre coins de l'Europe - artistes allemands "dégénérés", juifs, déserteurs, anciens combattants de la guerre d'Espagne..., - pour se retrouver, acculés à la Méditerranée et aux prises avec une bureaucratie monstrueuse, tandis que s'approche la mort, avec son drapeau à croix gammée, Transit se présente sous la forme d'un roman, le plus fascinant qu'ait écrit Anna Seghers.

Évadé successivement d'un camp de concentration allemand et d'un camp de travail français, la narrateur croit avoir trouvé à Marseille un refuge sûr. Mais il lui faut, dès son arrivée, déchanter. Pour avoir le droit de rester, il faut un certificat de départ. Le voici donc entraîné malgré lui dans la ronde de plus en plus échevelée, à mesure que les échéances approchent. Sur son chemin, comme dans un mauvais rêve, défilent toute une série de personnages, dont les mésaventures semblent autant de variantes du Procès de Kafka.

Après avoir franchi, croit-il, toutes les épreuves : visa de sortie, affidavit, certificats de séjour, attestations diverses..., l'un des "transitaires" se voit refuser l'accès à la passerelle du bateau, faute de feuille de libération du camp, dont il a réussi à s'évader à l'arrivée des Allemands ! Un autre, muni de papiers polonais, doit repartir à la case départ, son village natal étant devenu entretemps lituanien.

Une femme, surnommée la "Diane chasseresse des consulats", ne se sépare jamais de deux dogues gigantesques qu'elle s'est engagée, en échange de l'affidavit d'un vieux couple américain, à amener sains et saufs par-delà l'océan. Épuisé par cette course sans fin, les premiers papiers obtenus étant chaque fois périmés au moment où l'on réussit à décrocher les derniers, un chef d'orchestre tchécoslovaque, dûment engagé par contrat à diriger une célèbre formation de Caracas, meurt terrassé en apprenant qu'il lui manque encore une ultime photo...

Ce n'est pas le moindre mérite de Transit que l'extraordinaire véracité avec laquelle l'auteur a saisi sur le vif toute l'atmosphère d'une époque et d'une ville : rafles nocturnes dans les hôtels borgnes surpeuplés, officines louches où des entremetteurs corses proposent contre espèces sonnantes les combines les plus ahurissantes, rumeurs et conciliabules dans les cafés bourrés de réfugiés aux abois, sous l’œil indifférent des autochtones. "Vous autres, s'entend dire le narrateur, vous êtes bizarres, vous n'attendez jamais que les choses s'arrangent d'elles-mêmes".

Mais au-delà du constat, et il y a tout à gager qu'il n'est que trop véridique, le propos de Transit est d'être une parabole sur l'absurdité de la condition humaine, faute d'un dessein susceptible de lui donner un sens. "Tout se prouve par la décision qu'on prend et rien d'autre", écrit Anna Seghers dans une petite phrase que nos existentialistes auraient sûrement pris à leur compte.

Tel sera l'enseignement que retirera le narrateur au terme de l'épreuve d'un amour impossible, dont l'histoire constitue la trame du roman. Celui-ci restera finalement à Marseille, afin d'"y partager avec ses copains les jours bons et mauvais, les gîtes et les persécutions". Anna Seghers parviendra, quant à elle, à s'embarquer pour le Mexique, étape provisoire sur le chemin qui la ramènera, la guerre finie, à Berlin... de l'autre côté du Mur.


                                                                                 Jean-Louis de Rambures