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13/04/2017

Christian Gabriel/le Guez Ricord opus II

L'explication de ce nom à rallonge : d'abord celui de baptême, de l'ange (d'où la possible déclinaison au masculin ou au féminin, ouvrant sur l'indétermination), celui de la mère et pour terminer celui du père. Guez Ricord, qui donnait à ses amis des prénoms d'anges, considérait qu'il ne s'adressait pas à des lecteurs mais à des poètes ; il voulait ainsi en susciter. Position liée à un isolement - notamment poétique - qui n'était pas que voulu.
Tout comme sa séparation avec Mireille Mammini, en 1986, devait le laisser gérer seul ses crises, jusqu'au 7 juin 1988. Sa poésie : de longs vers de 21 pieds qui correspondent selon lui à une opération alchimique. Toute sa vie, en quelque sorte. 
Les vers qui suivent sont, eux, relativement brefs. Ils sont à rapprocher de ceux confiés à Yves Peyré pour L'Ire des vents n° 9-10 (p. 111 à 122) en date du 24. III. 51980, sous le titre : "L'Annonciation, soit ses peintures comme". Dactylographié par l'auteur, surchargé de quelques corrections autographes, ce bref recueil n'est rattaché à aucun de ses livres. Chaque poème se trouve scrupuleusement suivi de sa signature.

*

L'ETOILE

PASCALE VERS LA REMISE EN CORPS

Qui es-tu plus que, là-bas même, un paysage
Qui filera sans épuiser le front les laines
Douces partagées, les malentendus de l'âge
Que j'offrais peut-être à un maître, reine
Garde et tiens le mot qui nous tenait, ô sage.

                                                     Villa Medici, 1 février 1974

 

ANJO OU LES TROIS NUITS D'UN ROI

Alors j'ai compté à l'ombre du nord l'enfance
Que tu gardes là-bas comme le sont les croix
Qui comptaient les corneilles et les droites lances
Pays enclos, de la terre morte les lois
Linge et col sur le seuil d'une reine fiancent.

                                                     Villa Medici, 1 février 1974

 

CHOUCHANE DANS L’ŒIL DU SANG

Partage les larmes, le sang répandra l'or
Des voyelles que le fouet traça aux veines
D'un arbre naissant, la peau scande ses ressorts,
Se souviendra du feuillage des vieilles scènes
qu'il faudra bien là-bas parfaire au rouge d'or.

                                                     Villa Medici, 1 février 1974

 

NICOLE PAR L'AVEU

Dénonce qui répandit en toi l'inutile
Le sperme froid de l'azur, l'acier mat proscrit
Qu'un nom impeccable a pendu là dans les deux milles
Qu'il nous faudra croiser hélas ensemble ici
Recommencer les masques, brûler jusqu'aux cils.

                                                     Villa Medici, 1 février 1974

 

CÉCILE ET L'ANGE

D'or croise ces femmes que ma main a livrées
Comme tu glisses sous les draps cette autre main
Que la Vierge légère laisse enfanter
Dans le livre d'une femme tissée de lin
Et lors croise ces mains que la peur a tissées.

                                                     Villa Medici, 1 février 1974

 

JOELLE PAR LE DERNIER CRI

Je n'ai plus rien, je ne suis plus, qui le serait
Aimant ou mort, mais moi-même, là-bas, l'exil
Déjà dans le sang d'une autre et m'ignore-t-elle
Que je l'habite pourtant mais d'y clore tôt
Les larmes du livre avec les flammes des temps.

                                                     Torshavu * 27.VIII.76
                            
                                      Christian Gabriel/le Guez Ricord

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* en Islande, land, terre, pays...

16:48 Publié dans Arts, Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

12/04/2017

Christian Gabriel/le Guez Ricord (1948-1988)

Voici des dessins inédits d'un poète mystique qui a fini le plus tragiquement du monde (tout comme le poète hongrois Szilárd Borbély, qui s'est donné la mort début 2014, très peu traduit dans la langue de Racine, seconde malédiction pour celui qui écrivait : "J'étais né pour être différent. Et quand ça s'est vu, on m'a jeté du nid."), en voici donc quelques-uns, pour le plaisir des yeux : calligraphiés à la peinture argentée sur Canson noir. Je discutais il y a quelque 48 heures avec l'un des participants réguliers à Diérèse (dont le soixante-dixième numéro comptera 300 pages, à paraître le 1er juin) de la triste fin du poète Dominique Labarrière, mort dans un hôtel du 11ème arrondissement parisien, d'un coma diabétique [l'histoire est en fait un peu plus compliquée que cela, mais... pardonnez-moi mon silence) ; un film est depuis sans doute en gestation sur le sujet. Amitiés partagées, Daniel Martinez

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14:22 Publié dans Arts, Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

11/04/2017

"Cher maître - Lettres à Rodin 1902-1913", de Rainer Maria Rilke, présentées par Kitty Sabatier

Chaque existence d'artiste, d'écrivain, suit un rythme qui lui est propre : à l'irruption météorique de Rimbaud s'opposerait le mûrissement, la germination presque végétale de Rilke. Il le sent, le sait, - et tente de ne pas, au moins, y faire obstacle : il doit nourrir cette croissance, accepter que les feuilles mortes se détachent, que des branches tombent. Ainsi,  laissant de côté ses premiers poèmes, précieux, frêles - de la "porcelaine" dira Robert Musil - il pourra s'acheminer peu à peu vers le marbre - des Elégies de Duino, des Sonnets à Orphée. Sur ce chemin il y aura Paris : les tortures de la solitude totale, la pitié impossible envers les mendiants, les moribonds, la nostalgie d'une noblesse perdue - de tout cela témoigneront les Cahiers de Malte Laurids Brigge. Puis, pour transformer l'angoisse en "choses", il y aura Rodin.

Rilke le découvre grâce à Clara Westhoff, sculpteur qui devient sa femme en 1901, il lui écrit, dès 1902, pour lui soumettre un projet de monographie (dont la première partie paraîtra bientôt, en 1903, et la seconde en 1907), il lui rend visite et devient même son secrétaire, avant qu'une rupture ne les sépare, en mai 1906 - il semble que Rilke se soit lassé d'une tâche tout de même subalterne, et qui l'empêchait de se consacrer à ses propres œuvres - mais la correspondance ne s'interrompra pour autant.

Rodin est devant lui non comme le représentant de cette qualité vague que l'on nommerait le génie mais simplement comme le symbole vivant du travail - et c'est le travail qui confère à l'existence de l'artiste sa valeur. "Je sens que travailler c'est vivre sans mourir" lui écrit Rilke. La leçon de Rodin est qu'il faut sans cesse s'enfoncer plus avant dans son travail, y être "comme le noyau l'est dans son fruit", pour arriver à "faire" - et alors c'est "la vie créante". Il faudrait lire, en complément, pour les récits qu'on y trouve de ses dialogues avec Rodin, de leurs promenades, de leurs visites au Louvre, ses lettres à Clara ou à Lou Andréas Salomé - à qui il parlera bientôt d'un autre intercesseur : Cézanne.

Cette édition, si elle ne propose pas toutes les lettres de Rilke (elle reprend l'édition de 1931 - les lettres, écrites bien sûr en français par Rilke, n'ont été que modérément corrigées) offre en revanche - c'est le propre de cette belle collection - un travail original de Kitty Sabatier.  Elle mêle ici, avec subtilité, des calligraphies arabisantes, des sortes de stèles comme gravées de phrases de Rilke, des pages aquarellées ou griffées d'onciales, à la Cy Twombly - aux reproductions de l'écriture, soignée et un peu enfantine, de Rilke. 

Notre lecture, ainsi, s'attarde, prend le temps de s'établir dans cette chambre d'échos, entre les mots du poète, les sculptures de Rodin qu'il évoque, et ces lettres, ces mots colorés, qui échappent au corps des phrases pour devenir taches, blocs, plumes légères - l'oeil écoute alors.

                                                                                Thierry Cécile

Cher maître - Lettres à Rodin 1902-1913, Rainer Maria Rilke/Kitty Sabatier, éditions Alternatives, 95 pages, 19,50 €

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