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07/02/2021

"Labyrinthes", Henri Michaux, éditions R.J. Godet, 30/4/1944, 60 pages, avec 13 dessins originaux de l'auteur tirés en vert à 377 exemplaires

La lettre du dessinateur *


Quand je regarde le papier blanc, écrit-il, je vois courir au loin un homme épouvanté. De quoi épouvanté ? Je ne sais, et aussi le rite ridicule d'hommes qui tournent en rond.
Puis viennent d'autres hommes (toujours à l'extrême bout du papier) en quantités innombrables, une foule non pour un tableau mais pour une époque. Ces hommes sont maigres et grands.
La santé ne m'a pas prodigué des excès. Je n'en prodigue pas aux autres. Voilà ce qu'on pourrait dire.
Mais pour ce qui est de la multitude, elle est prodiguée. Seul un vieillard au faîte d'une longue vie en vit passer autant.
Ah ! si je pouvais les réunir en un seul tableau ! Il y aurait des gens haletants à le regarder tant il grouillerait de vie.
On s'arrêterait et l'on dirait émerveillé : voilà, cette fois nous avons vu une vraie foule passer !
Mais ils passent et je ne puis les arrêter ni les tenir groupés. Les jambes de l'un effacent l'ombre du précédent. Pourtant chacun, je le vois, a comme un dépôt.
Enfin, de rage de ne pouvoir le retenir, je me jette furieux sur le papier et le massacre de ratures jusqu'à ce qu'il sorte une horrible figure désolée qui en cent toiles et en dix ans a fini par me faire reconnaître pour peintre.
Mais je ne suis pas dupe. Dans les pleurs et la rage, je rejette loin de moi cette maudite usurpatrice, et l'art qui se dérobe m'emplit de son souvenir décevant et amer.

Henri Michaux

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* H. Michaux intitulera in fine ce texte, "La page blanche", Cahiers de l'Herne, 8/2/1983

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Henri Michaux, Foules

04/02/2021

Henri Michaux et le "Secret de la situation politique"

A l'origine du livre de Henri Michaux "Tranches de savoir suivi du Secret de la Situation politique", opuscule publié en 1950 à L'Age d'Or, illustré par Max Ernst,  une lettre, inédite, qu'il envoya au critique Maurice Saillet (1914-1990). Maurice Saillet lui avait suggéré de donner un texte à l'hebdomadaire "Terre des hommes", qui compta 23 numéros [N° 1 (29 sept. 1945) - n° 23 (2 mars 1946)]. Voici :

"Je suis un peu gêné. Il me semble que je vais vous paraître inamical en refusant de donner un texte à votre "Terre des Hommes". Mais je ne puis écrire pour les journaux. Toutefois, je viens de faire un gros effort pour éclairer mes compatriotes d'Europe (si j'ose dire), pour éclairer des amis qui souvent me questionnent à ce sujet, et enfin pour m'éclairer moi-même SUR LA SITUATION POLITIQUE. Si vous ne jugez pas le sujet au-dessous de l'esprit de vos lecteurs, imprimez-le, mais de grâce, que la plus grande attention soit apportée aux épreuves (au besoin, qu'il y en ait, exceptionnellement, des 2e) car il y a quelques mots peu usités encore, je le crains."

A cette lettre, Michaux avait joint un texte dactylographié portant des corrections manuscrites intitulé "La Situation politique". "Terre des Hommes" ayant cessé de paraître, ce texte fut communiqué à Pascal Pia pour "Combat" qui le publia malgré l'avis défavorable d'Albert Camus. Un tour de force donc, comme il en est plus d'un, dans l'histoire littéraire. DM

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25/06/2020

"Idéogrammes en Chine", de Henri Michaux, éditions Fata Morgana, 14 juin 1975, 46 pages

Toute langue est un univers parallèle. Aucune avec plus de beauté que la chinoise.


La calligraphie l'exalte. Elle parfait la poésie ; elle est l'expression qui rend le poème valable, qui avalise le poète.


Juste balance des contradictoires, l'art du calligraphe, marche et et démarche, c'est se montrer au monde. - Tel un acteur chinois entrant en scène, qui dit son nom, son lieu d'origine, ce qui lui est arrivé et ce qu'il vient de faire - c'est s'enrober de raisons d'être, fournir sa justification. La calligraphie : rendre patent par la façon dont on traite les signes, qu'on est digne de son savoir, qu'on est vraiment un lettré. Par là, on sera... ou on ne sera pas justifié.


La calligraphie, son rôle médiateur, et de communion, et de suspens.


Une langue, en Occident, qui aurait eu seulement une parcelle des possibilités calligraphiques de la langue chinoise, qu'en serait-il advenu ? Les époques baroques qui s'en seraient suivies, et les trouvailles des individualistes, les raretés et bizarreries, excentricités et originalités de toute sorte...


La langue chinoise en était capable. Partout elle donne des occasions à l'originalité. Chaque caractère fournit une tentation.

 

Henri Michaux