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26/10/2019

"Poemacto" de Herberto Helder, traduit par Filipe Jarro

Je préfère devenir fou dans les couloirs cambrés
à présent sur les mots.
Je préfère chanter aux terrasses intérieures.
Parce qu'il y avait des escaliers et des femmes interrompues,
minées par l'intelligence.
Le corps sans rosaces, le langage
pour aimer et ruminer.
Le lait chantant.


A présent je plonge et je remonte comme un verre.
Je rapporte cette image de l'eau interne.
- Crayon du poème dissous dans le sens
premier du poème.
Ou bien le poème remontant le crayon,
traversant sa propre impulsion,
poème qui revient.
Tout se lève comme un clou,
comme un couteau levé.
Tout meurt son nom d'un autre nom.


Poème ne sortant pas du pouvoir de la folie.
Poème comme base inconcrète de création.
Ah, penser avec délicatesse,
imaginer avec férocité.
Car je suis une vie à la furibonde
mélancolie,
à la furibonde conception. Avec
un peu d'ironie furibonde.


Je suis une dévastation intelligente.
Aux marguerites fabuleuses.
L'or par-dessus.
L'aube ou la nuit triste jouées
à la trompette. Je suis
quelque chose d'audible, de sensible.
Un mouvement.
Chaise se concevant dans le bassin,
assise.
Ou fleurs buvant le vase.
Le silence structurel des fleurs.
Et la table dessous.
Rêvant.

Herberto Helder

 

La passion est la morale de la poésie : risquez votre tête si vous voulez comprendre ; risquez le corps, sa mesure, si vous avez l'intention de découvrir le centre du corps ; et, oui, risquez surtout votre nom personnel pour entendre ce nom de baptême en nom de la terre couronné. De sorte que ce pouvoir est celui de la passion même : personne ne s'aventure dans la poésie en collectionnant des objets - des statues, des statuettes ; des joyaux, il faut des joyaux vivants, des yeux de lionnes maternelles, d'insupportables choses qui vous contemplent, on meurt d'être contemplé ainsi. Et il faut alors une noblesse indicible, par exemple : regarder droit dans les yeux maternels, léonins, et nos yeux en ressortent calcinés - les Anciens connaissaient l'épisode : on disait que les dieux aveuglaient ceux qui les regardaient. C'est de cette noblesse dont je parle : comme si nous cessions d'être nous-mêmes, une sorte d'impassibilité pendant que nous nous aveuglons dans la forêt des lionnes.   Herberto Helder

16:35 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

21/10/2019

Francis Danemark

Minuit et la mer

 

Et me voilà à l'endroit du rendez-vous, face à la mer qui palpite doucement comme le cœur immense et lourd d'un animal ancien. Il est minuit. Ou une autre heure de la nuit, je n'en sais rien. J'ai jeté ma montre, et le bruit des vagues a englouti celui du mince morceau de métal quand il a touché la surface de l'eau.
Je suis au rendez-vous, et peu importe l'heure. Je me suis trompé, sans doute, et de bien trop d'années. Je le sais mais je suis venu, malgré tout. Pour la mer peut-être.
A bien l'écouter, je la devine prête à charger. Lente et calme, en attendant. Je reste là, dans l'obscurité, rassuré par la présence de mille millions de litres de nitro temporairement apprivoisés. Tout est tranquille. Il n'y aura pas de mouvement brusque cette nuit.
Je suis au rendez-vous, au bord de la mer. J'écoute la terre qui tourne au ralenti et mon cœur minuscule qui bat quelque part, sous le bruit souple des vagues.

 

Francis Danemark
La tombe d'un jeu d'enfant
Cadex éditions, 1995

08:04 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

20/10/2019

Dominique Labarrière (1948-1991) : un texte de février 1977

Faiseurs d'anges

On peut dire quelque chose au sujet de la réalité sans que ce soit du délire : le réel est ce qu'on dit qu'il est - et rien de plus ! Épopée du principe d'identité à travers un devenir-autre où on se retrouve soi-même encore plus seul dans son comportement par rapport aux autres. Un jeu cruel de la vie et de la mort au sein d'une prolifération déprimante de voiles et de miroirs flottant, d'un trottinement un peu ridicule, entre les ondulations de l'air, si épais maintenant - sans s'inquiéter outre mesure des strates ondulées de ce moi pluvieux naufragé dans les orbes douteux du présent.
On croit que c'est cela seul qui importe, dans les méandres bleutés d'une ville froide - cette nausée : pour s'en défaire il faudrait ouvrir d'autres yeux, écarter d'autres tentures au lourd parfum de poussière. Mais que reste-t-il donc à voir qui n'ait déjà été vu tant et tant de fois dans ces mêmes lieux, dans d'autres temps ?
Collent aux limbes de l'esprit trop de bribes alourdies d'histoire.
Éclairer tout cela d'une projection souple de couleurs en fusion, sans trop y croire, comme si cela allait de soi : bientôt les personnages commenceront à défiler. Des connus, des inconnus. Des petits nouveaux. D'autres qui font penser, vite, très vite - mais cet imperceptible décalage est déjà source de douleur : ai-je donc tant vieilli ? La maladie* m'a-t-elle donc usé à ce point ? L'ennui est-il vraiment cette force d'érosion à laquelle nul ne peut résister, même si l'on se croyait plus fort que cela - qui fait murmurer à la mémoire engourdie : où donc ai-je vu celui-ci ? où donc ai-je aimé celle-là ? Dans quel rêve nous sommes-nous croisés pour d'improbables excès accomplis d'un pas tranquille, sans se retourner, sur les eaux mouvantes du présent ? Il s'agit de ne plus tricher car, n'est-ce pas, "viendra le temps des grands oiseaux mouillés et des parapluies sur la lumière du monde".**

______
* Dominique souffrait du diabète.
** Yves Buin : Fou-l'Art-Noir, in "De la déception pure, Manifeste froid" (10/18, 1973).

06:34 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)