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17/12/2019

"Léon-Paul Fargue ou l'homme en proie à la ville", par Jean-Claude Walter, Gallimard, 1973.

Ville !


Ville ! Qui dira la fulguration de ta naissance taillée dans le diamant de ton unique syllabe haute... Ville, planète de verre et de pierre, transparente comme la lumière et qui s'échappe à peine prononcée... Parole nerveuse ouverte dans la pensée, comme l'astre de pierres nues suspendu dans le ciel.

Ville, cristal du sentiment et de la fièvre qui jaillit dans le regard et déjà se résorbe, échappée violente du geste de l'éclair, dans ce corps qui s'élance avec l'inflexible douleur de la flamme et nous consume par sa douceur. Neige relevée, ailes du ciel qui battent sur la proie, cri d'oiseaux, langueur de la terre, apaisement du cœur.

La ville nous ouvre les rues de ses consonnes et se jette en avant. Le mode du verbe qui saisit sa rigueur ne peut l'enserrer, sa voyelle aiguë troue les plafonds de la cage d'étoupe. Ville, arène, course folle jusqu'aux parements des murs, offrande de toute l'étendue intarissable d'un espace amer.

Ville ! Qui dira la fulguration de ton désir taillé dans le diamant de ton unique syllabe brève...


Jean-Claude Walter

04:01 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

16/12/2019

"Le livre du partage", par Edmond Jabès, éditions Gallimard, 1987

La vérité s'offre à nous toute nue. Nous la parons de voiles.
A chaque fois que nous posons l'un d'eux sur ses épaules, nous croyons avoir fait un pas de plus dans le Vrai, comme si, aller à la Vérité, c'était progressivement, l'obscurcir.
L'éblouissement ne convient pas à l'homme.
La preuve : il l'aveugle.


A quel calcul la nature s'est-elle livrée pour, à ce point, disgracier le désert ?
La vérité, sœur du grain de sable, est, peut-être, seule à le savoir.


"Le désert n'est pas la mort. Il n'est pas, non plus, la vie. Il est l'épreuve de vivre ; l'épreuve de force engagée, par la vie, contre la mort militante.
"... comme il fut, autrefois, l'épreuve de la liberté et de l'amour", avait-il noté.


Revêtir d'une armure
la vie.
Déséquiper la mort.
Utopie.


Edmond Jabès

06:48 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

14/12/2019

"Printemps", par André Gide, in "La guirlande des années", éd. Flammarion, 1941.

Et j'allais m'en retourner vers de plus amènes contrées, lorsque soudain, gravissant une petite éminence et m'écartant de la forêt dormante, je découvris, sur un espace couvert où s'attardaient des pans de neige, un peuple de petits crocus blancs, soyeux, délicats, qui n'en pouvaient plus d'impatience ayant leur mot à dire, et risquaient leur fragilité à travers le feutre épais des mousses. Et j'en aurais pleuré de tendresse, car cette réaffirmation de l'amour, de la vie, ne paraît jamais plus émouvante que lorsque la mort l'environne. De même les grandes orobranches mauve pâle prenaient une éloquence inespérée dans le sable désolé du désert. De même, à Olympie, ce dernier printemps parmi les ruines.
Je me souviens... c'était au-delà de Touggourt ; nous avions longuement chevauché parmi les dunes arides pour parvenir à un pauvre village composé de quelques maisons basses couleur de sable ; inaccessible aux saisons, semblait-il. Les quelques Arabes parqués là alentour d'une zaouïa ne devaient goûter à la vie que de façon bien misérable ; des anachorètes sans doute, et n'avoir plus de rapports qu'avec Dieu. L'un de ces religieux nous introduisit dans une petite cour intérieure, sans ombre ni fraîcheur, mais au milieu de laquelle des soins diligents maintenaient en vie un arbrisseau très délicat que la saison invitait, malgré tout le dénuement d'alentour, à fleurir. Je me souviens du sourire attendri de l'Arabe lorsque, nous désignant ces quelques fleurs embaumées, il nous dit seulement : Yasmin !... et nos yeux s'emplirent de larmes.

Oui, c'est de tous ces souvenirs juxtaposés que je construis l'image abstraite du printemps. Et c'est aussi ce qui fait mon inquiétude aux premiers beaux jours : je voudrais pouvoir contempler le renouveau partout à la fois, ce qui fait que je ne suis parfaitement aise nulle part, fût-ce dans le plus beau jardin du monde, où même dans mon petit jardin de Cuverville du temps que j'en connaissais personnellement chaque fleur.


André Gide

09:39 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)