20/12/2019
"Le Grenier sur l'eau", par Emmanuel Looten, F. Paillart éditeur, 1949
Nombre
Ma ville est poitrail de lumières,
Un firmament gitan maraude
Ce nombre d'or, vif tournesol.
Mon sommeil est plomb d'un fourgon
Mort de sang lourd aux routes froides,
Étalon noble haut cabré.
J'ai désiré toutes les roses,
Ne plus connaître de mon givre.
Ami, cette cible est comptée...
Un lent bondissement du temps
Torsade la queue des comètes :
Courbes silenciées, forant les feux sonores.
Le bronze formulé tue à béante chair...
La mer prévue m'engloutira dans l'infini,
Mes reins gonflés de ce désir énorme.
Emmanuel Looten
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19/12/2019
Emmanuel Looten (1908-1974) : "Vingt ans en poésie", éd. Eric Losfeld, 1962
Ce qu'en a dit Pierre Dhainaut : "Toutes les nuances et tous les éclats. Joie, mais joie panique. Fine, infinie, redoutable, la poésie d'Emmanuel Looten, la Poésie."
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Nuit-Mica
Mon geste a répété les citadelles endormies. Suie, cobalt et schiste, bascule une chaudière infâme ; je sais le calomel des genèses et mon Néant veut l'impudique.
Violence vrillée des piqûres astrales, je suis furieux de signes. La guêpe des couleurs m'étourdit. L'horizon est cette huître du songe. Bleuant stellaire, un cristal méduse telles facettes contrariées.
Au kraal requis, la nuit se visque de victimes. De baves, s'ensanglante un râle fauve. Spasmes d'appel battant, les coqs opimes raidissent le marbre et l'offrande.
Jet dilaté soudain du sang noir, écaillant ma nuit. J'accepte - tiare somptueuse - un tel délire retentissant. Le tam-tam coule ces Loubous clairs sous les arbres géants.
J'ai voûté mon dos sous la nuit cosmique...
Emmanuel Looten
Petit portrait d'Emmanuel Looten, Karel Appel,
huile sur toile, 1957
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18/12/2019
Jean Schlumberger (1877-1968)
Dans ce livre dont je vous parle aujourd'hui, de petite taille (108 x 165 mm, du temps où la maison Gallimard éditait aussi en format poche, quel dommage qu'aujourd'hui on n'en voit plus à ces dimensions !), Jean Schlumberger, l'un des membres fondateurs de la NRF, entretient un "dialogue" avec son corps, depuis son endormissement jusqu'à cette perte de contact avec le monde qui est une entrée dans un au-delà de soi, terra incognita. Je ne sais rien de plus beau que ce qu'en dit ici Jean Schlumberger, évoquant avec une poésie rare cet effacement progressif de la raison raisonnante, véritable aurore de la nuit. Le premier dialogue date de 1923, le second de 1925 ; voici, pour l'heure, un extrait du premier, en pages 28 & 29 :
VIII
Je ne t’appartiens pas plus que l’arc-en-ciel n’est aux gouttes de la pluie. L’arc-en-ciel appartient aux rayons, mais sans la pluie il ne fleurirait pas. Tes membres sont un cristal qui intercepte quelques ondes de l’éternelle lumière ; ils remuent dans un étincellement de prismes ; et parmi les milliards de cristaux dressés sur la surface de la terre, ils sont d’entre les plus transparents.
Il n’y a qu’un seul torrent de lumière spirituelle et des milliards de cristaux pour la recueillir. Déjà les plus obscurs, déjà le jaspe vert des végétaux en est pénétré d’on ne sait quelle lueur. Cristaux fumeux, cristaux laiteux, de plus en plus dociles à l’illumination, de plus en plus avides de clarté, selon mille gradations de transparence, les uns encore obscurcis d’une buée, encore coupés de failles ; et parmi les plus purs, il y a des degrés encore, jusqu’aux plus parfaits.
Si l’onde éternelle ne te traversait pas, tu partagerais la nuit de la houille ; si l’onde ne rencontrait pas tes arêtes et tes miroirs, où trouverait-elle occasion de se briser en tant de feux ? Ne crains pas qu’elle se refuse : elle est trop éprise de chacune des belles nuances dans lesquelles tu la divises. Ce n’est pas toi qui auras à gémir de sa défection ; c’est elle qui pleurera ses fleurs, quand tu ne seras plus capable de la rompre amoureusement...
Jean Schlumberger
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