241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/02/2017

"La troisième main", de Michèle Finck, éditions Arfuyen, décembre 2014

Que choisir entre les poèmes, la suite de poèmes devrais-je dire : il y en a cent, très exactement, que nous donne à lire la poète strasbourgeoise Michèle Finck dans son dernier recueil paru aux éditions Arfuyen, j'ai nommé "La Troisième main" ? Titre qui interroge, mais s'entend mieux si on l'entrevoit comme "l'énigme de la musique", pour me conformer à la dédicace de l'auteure. On sait que le livre, douloureux dans son fond puisqu'il a directement suivi une opération de la cataracte, écrit donc "dans le noir et la pénombre", n'est pourtant en rien une leçon de ténèbres, bien au contraire. Car les sons qui voyagent dans l'oreille interne jusqu'au cerveau participent de cette cicatrisation, physique certes, mais pas seulement : les stimuli sonores qu'accueillent l'univers neuronal, l'univers sensible, la psyché même de l'individu déploient à leur tour tout un réseau de sensations confuses qui œuvrent dans son for. Poète, celle qui là serait à la rencontre de son propre moi, recomposé. Voilà bien le point de départ, la source de ce livre étonnant, tout en ferveur contenue (le lyrisme en est absent), en touches délicates - un jeu de doigts caressant les touches d'un piano ; traversé d'une lumière intérieure et porté par une noblesse d'âme qui ne se commet pas avec le réel dans sa première dimension...

Voici les trois poèmes choisis, le premier fait suite à cette adresse au père mort (2008), le Quintette à cordes en ut majeur de Schubert - sujet de son précédent livre chez Arfuyen (Balbuciendo, chroniqué par Pierre Dhainaut in Diérèse 58) : 
Une douceur
que cette Sonate pour violoncelle et piano n° 2 de Bach

     Rumeur sourde du violoncelle.
     La neige des sons coule sur le visage enfant
     Comme des larmes. Si les morts pouvaient
     Parler entre eux, dit un ange,
     Ce serait par le violoncelle.

Deux merveilleuses pièces en hommage à Billie Holiday, les plus belles de ce livre à mon sens, écoutez plutôt :

     Who Wants Love ?

     Yeux de l'âme saignent. Oreilles
     De l'âme saignent. Voix arcboutée
     Autour d'une fêlure ventrale. Ailes noires
     Dans les nuits blanches. Transe utérine.
     Body and soul. Perce-neige noire crie.

     Strange Fruit

     Voix noire serre le gosier. Serre.
     O Harlem, Harlem, Harlem !
     Voix noire croque la pomme. Croque
     La pomme jusqu'au trognon. Crie l'amour
     Jusqu'au râle. Acre. Jazz pour pas crever.

                                                           Michèle Finck

19:34 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

23/02/2017

Louis-François Delisse, poète et plasticien, a tiré sa dernière révérence (11 juin 1931-7 février 2017).

Louis-François Delisse est parti en 1954 au Niger comme "alphabétiseur" volontaire, il devient enseignant au collège de Niamey. Poète et voyageur, il sillonne l'Afrique jusqu'en 1975, date de son renvoi politique en France. Il a participé à Diérèse : un numéro spécial lui a été consacré.
Voici reproduits quelques-uns de ses dessins (craies de couleur), pour le plaisir des yeux. Ont paru, aux éditions Apogée :
    Notes d'hôtel, 2007
    Les Lépreux souriants, 2009

 

DELISSE  1.jpg

DELISSE   2.jpg

Bois de Péronne

DELISSE  3.jpg

Val de Somme

DELISSE   4.jpg

Le Bois Cappelle à Vauvillers

DELISSE  5.jpg

Champs à Chaulnes

20:09 Publié dans Arts, Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

21/02/2017

Un entretien avec Pascal Quignard I

D'où vous vient cette passion pour l'écriture ?

Pascal Quignard : (Long silence...) Autant demander à quelqu'un la raison de son symptôme. C'est comme ça. De là ma difficulté à vous répondre. Ce que je peux dire en tout cas, c'est qu'écrire n'est pas un acte de volonté. Je crois que j'aurais pu passer ma vie à lire. Le symptôme, autrement dit l'écriture, c'est utiliser le langage mais sans essayer d'attirer l'attention, sans rompre le silence ni le cours des choses. Laisser à tout prix le langage sous sa forme muette, écrite. Enfant, j'ai eu quelques problèmes, la nourriture s'est éloignée, la parole s'est éloignée. Ce qui m'a certainement conduit à me plonger dans des langues silencieuses comme le latin ou le grec. Ce sont les langues aïeules, les langues qui sont à la fois mortes et originaires.

Comment et quand est né votre premier livre ?

Pascal Quignard: Pendant la grande grève qui a suivi les mois de mars, avril, mai 1968. J'étudiais alors la philosophie à Nanterre. En 68, j'avais 20 ans. J'étais le condisciple de Daniel Cohn-Bendit - que j'ai revu des années plus tard sur un plateau d'Apostrophes... En juin, je me suis dit que de toute façon j'allais abandonner la philosophie parce que je trouvais que la pensée avait revêtu un uniforme, et même une redingote, qui ne me convenait plus. L'enseigner m'a soudain paru tout à fait inintéressant. La philosophie est une forme de pensée qui parle au nom de tous et qui est liée à la naissance des cités. J'ai désiré m'affranchir de cette tutelle collective. Je suis parti à Ancenis-sur-Loire, où ma famille possédait un orgue. J'ai écrit un livre sur Maurice Scève, l'auteur de la Délie, que je considère comme le plus grand poème d'amour écrit en français.

En quoi cette poésie de la Renaissance était-elle en écho avec cet air de révolte qui soufflait alors ?

Pascal Quignard: J'avais besoin de passer par quelque chose de plus ancien et d'aussi effervescent que la passion. Le plus ancien ma paraît toujours plus sauvage. J'ai adressé ce manuscrit par la Poste aux éditions Gallimard, et c'est Louis-René Des Forêts qui m'a ouvert les portes. Aussitôt il m'a fait entrer dans le groupe de la revue L'Ephémère, aux côtés de Celan, de Du Bouchet, de Leiris. J'écrivais des textes sur l'insurrection qui faisaient appel au monde tragique des Grecs, à la fin du monde alexandrin, et au monde romain.
Je voulais alors redonner quelque chose de plus rudimentaire et de plus corrosif au langage, j'étais très attaché à le dépouiller de ses formes récentes. En fait, c'est la langue de la poésie qui est la plus corrosive. Mais soudain il me faut dire ceci : toute espèce de justification sur le moyen d'expression qu'on a choisi pour survivre est du baratin. C'est toujours très contingent et inexprimable. Moi, j'aurais dû être musicien comme on l'avait été dans ma famille depuis trois siècles. A la fin de l'été 68, à Ancenis, chaque matin, je montais à la tribune de l'orgue de l'église, et ma grand-tante, qui en était la titulaire, pensait que j'allais lui succéder. C'était la logique.

Il y a donc quelque chose de paradoxal dans le choix de la littérature ?

Pascal Quignard: En tout cas quelque chose de contradictoire dans ma vie. Lorsqu'on a, d'un côté, une famille maternelle de grammairiens, de gens qui ont écrit une histoire de la langue française en douze volumes, et de l'autre des musiciens, on est conduit à rapiécer les deux étoffes, les deux traditions, à tenter de réunir les parentèles, de souder les généalogies, de tendre les cordes avec vigueur sur la touche et d'accorder les deux mondes.
La contradiction, elle est dans mon corps, puisque je n'ai choisi ni la musique, ni la grammaire. J'ai répondu à cette tension par le silence. D'abord, celui de l'enfance, qui était un mutisme involontaire. Ensuite, celui de l'écriture, qui est presque aussi dense que celui de la lecture. Ce déchirement est peut-être même à l'origine de toutes les démissions que j'ai pu donner au cours de ma vie professionnelle, de tous mes départs, du fait qu'aujourd'hui je n'occupe plus aucune fonction sociale. Il y a dans la rupture avec la société, dans la sécession, quelque chose qui m'enchante et me guide...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  

19:22 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)