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31/08/2019

"La vie de Van Gogh" de Henri Perruchot, Librairie Hachette, coll. Poche, 1er janvier 1959

Période charnière pour Vincent Van Gogh, l'année 1885 marque le départ de son atelier (un deux-pièces loué à un sacristain, qui finit par interdire à ses paroissiens de poser pour le peintre) et la rupture avec sa famille. En 1884, il avait profité de l'automne pour peindre pendant la mauvaise saison cinquante têtes de paysans.
Le 23 novembre 1885, il décide de quitter Nuenen où se trouvaient ses parents (il y vivra deux ans) et de gagner Anvers, "abandonnant sur place la plupart de ses œuvres, rejetant derrière lui son passé... "Il y a quelque chose d'extraordinaire, écrit-il à Théo, dans la sensation qu'il faut entrer dans le feu."

On a recensé pour la période de Nuenen quelque 240 dessins et environ 180 toiles. "Après le départ de sa mère en mai 1886, écrit J.-B. de la Faille, les œuvres de Van Gogh sont mises dans des caisses par des déménageurs et laissées en dépôt chez un charcutier de Bréda. Tout le monde les y oublie, même lui, et elles sont vendues plus tard à un brocanteur qui en brûle une partie, à laquelle il n'attribue aucune valeur. Ce qu'il garde, il le charge sur une charrette et le vend, en parcourant les routes, à raison de dix cents la pièce. La majeure partie est acquise par M. Mouwen, tailleur à Bréda. Grâce à cet achat, tout (sic) ce qui date de la période de Nuenen a été sauvé." ("Ou, du moins, pour être plus précis, ce qui nous en reste.) A noter que ces opérations se passèrent dix-sept ans après le déménagement de la mère de Vincent, en 1903 !"


Henri Perruchot

 

18:08 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

30/08/2019

L'énigme du tableau de Van Gogh : "Paysage nocturne au lever de la lune"

C'est une énigme astronomico-artistique qu'ont résolue Donald Olson et Russel Doescher, deux astronomes de l'université du Texas. Au départ de leur enquête, une controverse sur la datation d'un tableau de Vincent Van Gogh, Paysage nocturne au lever de la lune. Cette œuvre, propriété du Kröller-Müller Museum (Pays-Bas), a été peinte durant l'été 1889 alors que Van Gogh était soigné pour troubles mentaux à l'asile Saint-Paul-de-Mausole, près de Saint-Rémy-de-Provence.

C'est l'époque de la célèbre Nuit étoilée, dont l'étude a montré que le peintre, lecteur assidu de L'Astronomie de Camille Flammarion, respectait la place des astres dans le firmament. Passion qui a permis de fixer au 25 mai 1889 la date de composition de ce tableau, grâce aux logiciels astronomiques qui reconstituent les cartes du ciel au-dessus d'un lieu donné quelle que soit l'époque.

Déjà réputés pour avoir déterminé que l'étoile figurant sur une autre œuvre de Van Gogh - La Maison blanche, la nuit - était en réalité Vénus, MM. Olson et Doescher ont voulu à leur tour se livrer au jeu de la datation. Si l'on se fie à la correspondance du peintre, le Paysage nocturne au lever de la lune a été réalisé juste avant une nouvelle crise de démence et une interruption de six semaines dans la production de Van Gogh. Certains historiens datent cet accès de folie au 7 ou au 8 juillet, d'autres aux alentours du 14. Mais il n'est pas impossible que ce paysage ait été composé à un autre moment.
Olson et Doescher ont voulu en avoir le cœur net. Van Gogh a-t-il respecté la position astronomique ? Se peut-il que la Lune se lève à l'endroit que son tableau indique et, si oui, quel jour précis était-ce ? Les deux Américains se sont donc rendus en Provence afin de retrouver le paysage figurant sur la toile.

Van Gogh installait souvent son chevalet dans un champ clos situé derrière l'asile avec vue sur les Alpilles. Ce fut aussi le cas pour ce tableau. Comme le prouve la comparaison avec une photographie actuelle, le peintre mettait un soin méticuleux à reproduire le relief de la montagne. Ayant ainsi pu déterminer les coordonnées de la pleine Lune sur la toile, Olson et Doescher les ont entrées dans un logiciel d'astronomie en indiquant la position géographique du champ. Ils les ont ensuite testées sur la période allant du 8 mai 1889 - qui marque l'arrivée de Van Gogh à Saint-Rémy-de-Provence - à la fin du mois de septembre, époque à laquelle le peintre expédie sa toile à son frère Théo.

Le programme a sorti deux dates : le 16 mai et le 13 juillet 1889. La moisson ayant été faite, puisque le tableau montre de petites meules de paille, seule la solution du 13 juillet est valable. Énigme résolue !


                                                                 Pierre Barthélémy

 _________

NB : à signaler le livre, des plus intéressants, de Viviane Forrester : Van Gogh ou l'Enterrement dans les blés, préfacé par Chantal Thomas, éditions du Seuil, mars 2014. La vie du peintre (sa naissance un an jour pour jour après le décès de son frère portant le même prénom, mort-né le 30 mars 1852), son entourage familial, son frère Théo en particulier. Voici quelques lignes choisies de ce livre (pages 266-267), où les réflexions de Viviane Forrester sont entrecoupées d'extraits de lettres adressées par Vincent à Théo :

C'est à Monticelli, à l'autre peintre, mort non loin d'ici, à Marseille, et "qu'on a dit si buveur et en démence", que pense Vincent, lorsqu'il revient du travail, avançant à travers les champs, à travers sa vie si austère, après un "travail et calcul sec où l'on a l'esprit tendu extrêmement, comme un acteur sur la scène dans un rôle difficile, où l'on pense à mille choses à la fois dans une seule demi-heure", car après le travail, la seule chose qui soulage, c'est de boire un bon coup, de fumer des cigares très forts avant d'engloutir du café "non parce que c'est bon pour une denture délabrée, mais parce que j'ai une confiance, une foi digne d'un idolâtre, d'un chrétien, d'un anthropophage, dans son efficacité". Efficacité nécessaire lorsqu'il est "en plein calcul compliqué d'où résultent l'une après l'autre des toiles faites vite, mais longtemps prévues d'avance. Et voilà qu'on dira que cela est trop vite fait, tu pourras y répondre qu'eux ils ont trop vite vu".

Viviane Forrester

09:39 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

Signé "Vincent" : La raison d'un peintre, les lettres d'un frère (première partie)

"Eh bien ! mon travail à moi, j'y risque ma vie et ma raison y a fondré à moitié."

Dernier message. J'aurais tant voulu que cette ultime missive inachevée, passée froissée, à son enterrement, de sa poche à celle de son frère, soit celle qui recèle la clé de l'énigme. J'ai longtemps osé espérer que ses lettres retrouvées puissent porter quelque lumière sur ce qui avait commandé à sa main savante et laborieuse de tomber la plume et le pinceau pour se saisir du revolver.

Mais "fondrer", en français, n'était pas une néoformation de la langue de Vincent Van Gogh. Ce n'était pas un verbe inventé, un néologisme qui aurait pu signer sa psychose. Ce n'était pas non plus un terme issu d'un quelconque langage de complicité fraternelle. Ce n'était tout au plus, dans la hâte, qu'un trébuchement de sa calligraphie : il fallait déchiffrer un "s" dans cet "f" précipité et simplement lire "b" dans le "d" à l'envers.

"[...] Eh bien ! vraiment, nous ne pouvons faire parler que nos tableaux. Mais pourtant, mon cher frère, il y a ceci que toujours je t'ai dit et je le redis encore une fois avec toute la gravité que puissent donner les efforts de pensée assidûment fixée pour chercher à faire aussi bien qu'on peut ; je te le redis encore que je considérerai toujours que tu es autre chose qu'un simple marchand de Corot, que par mon intermédiaire tu as ta part à la production même de certaines toiles, qui même dans la débâcle gardent leur calme. Car là nous en sommes et c'est là tout au moins le principal que je puisse avoir à te dire dans un moment de crise relative. Dans un moment où les choses sont fort tendues entre marchands de tableaux d'artistes morts et d'artistes vivants. Eh bien ! mon travail à moi, j'y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié, - bon - mais tu n'es pas dans les marchands d'hommes pour autant que je sache, et tu peux prendre parti, je le trouve, agissant réellement avec humanité, mais que veux-tu ?"

Ainsi finit, avec sa vie, la lettre non datée que Van Gogh blessé à mort portait sur lui le 29 juillet 1890. Des six cent soixante lettres récolées que Théo reçut de Vincent pendant dix-huit ans, c'est la seule, il me semble (1), à porter, explicite en première ligne, la mention "Mon cher frère".

Qui a éprouvé un jour dans un musée, devant des tableaux exposés de Van Gogh, le coup de foudre initial, sait qu'il vivait ce jour-là le prélude à un amour inconditionnel que le temps ne démentira pas. Une passion qui dure, que ni l'âge, ni l'étude ni la patience n'apaisent.
Depuis plus d'un siècle, la littérature est abondante qui dise l'effet poignant de cette peinture. Du vivant du peintre et après sa mort, nombre d'auteurs, éminents spécialistes ou profanes fervents, ont tenté de rendre compte de l'expérience de leur rencontre avec Van Gogh. Tous ont essayé de percer le mystère du génie de Vincent qui peignait malgré, contre et avec sa folie. Les meilleurs ont voulu approcher par l'écriture l'indicible que ses peintures et ses dessins réussissent à montrer.

"J'ai acheté exprès un miroir assez bon pour pouvoir travailler d'après moi-même à défaut de modèle... " "Je voudrais faire des portraits qui, un siècle plus tard, aux gens d'alors, apparaissent comme des apparitions."
"Autoportrait, bleu fin du midi" (2), septembre 1889, Saint-Rémy (Paris, Musée d'Orsay). "Autoportrait à l'oreille bandée", janvier 1889, Arles (Londres, Vourtauld Institute Galleries). "Autoportrait en bonze" (3), septembre 1888, Arles (Cambridge Mass., Fogg Art Museum). "Autoportrait au feutre", 1887, Paris (Musée Van Gogh, Amsterdam).

Oui, dans ces autoportraits sans signature, aux gens de maintenant quand ils les voient exposés - quel mot y a-t-il d'ailleurs, comme on dit spectateur, auditeur ou lecteur, pour désigner qui regarde une peinture ou un dessin ? - apparaît l'apparition, le spectre réel de Van Gogh Vincent.

Celle, celui que son regard regarde est son sujet. Un sujet fixé, pris en otage, tenu prisonnier. Depuis son monde à lui, ses yeux m'adressent un appel sourd. Un appel au secours qui signifie mon impuissance.

Je voudrais dire comment la force de cette peinture et aussi des dessins nous happe dans leurs tourbillons, nous confond dans leurs volutes hallucinées, nous saisit dans l'angoisse de leur criante vérité, nous engage tantôt dans le rythme de leur tourment essoufflé, tantôt ouvre, dans une grande respiration, au bonheur d'éprouver la stabilité fragile d'un moment d'accalmie, en évoquant pêle-mêle :
- dans les paysages les gerbes fantômes, les meules de foin, les corbeaux et l'alouette, les tournesols et les cyprès, les oliviers torturés, le poirier fragile, la joie de l'amandier, le pêcher en fleurs comme une fiancée, le semeur dans le soleil déjà éclatant au petit matin, le faucheur dans les blés dorés sous le ciel vert, les nuits étoilées, ces buissons, ces épines, et "le soleil en face" (4),
- le docteur Gachet, madame Ginoux l'Arlésienne, le facteur Roulin, le paysan Patience Escalier,
- la chaise de Gauguin, la Bible ouverte, les souliers,
- les mangeurs de pommes de terre, le repas des pensionnaires à l'asile de Saint-Rémy, le couloir dans l'hospice, la chambre à Arles...

Tout cela ou presque tout, du début à la fin, est adressé à Théo. Rien, de la production de Vincent, ne lui restera inconnu. Il lui fait parvenir ses tableaux achevés. De ceux qui sont en attente d'expédition, il s'applique à toujours lui réserver une copie ou plus souvent un dessin qui en accompagne la description, il représente pour lui en croquis ses peintures en chantier. De ceux qu'il a en projet, il lui destine l'esquisse.

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Jacy Arditi-Alazraki

 

(1) Du moins dans l'édition (dite (pas tout à fait) complète) dont j'ai disposé : Vincent Van Gogh - Lettres à Théo (Gallimard, L'imaginaire, 1988).
(2)
Vincent Van Gogh Peintures (Mondadori/Arte). Catalogue en deux volumes de l'exposition à Amsterdam et Otterlo pour le centenaire de la mort du peintre. Dans cet autoportrait, Van Gogh décrit (en français) à sa soeur (Wilhelmine) la couleur dominante de cette toile comme "un bleu fin du midi".
(3)
Van Gogh, par Vincent Pascal Bonafoux (Folio-Essais, 1988). In feuillet central, avec photo du tableau : "J'ai un portrait de moi tout cendré. [...] un bonze simple adorateur du Bouddha éternel" (lettre à Gauguin, septembre 1888).
(4)
Pascal Bonafoux, Van Gogh, le soleil en face (Gallimard, Découvertes).

09:33 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)