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09/04/2020

William Carlos Williams (1883-1963), traduit par Yves Peyré

Landscape with the fall of Icarus



          According to Brueghel 
          when Icarus fell
          it was spring


          a farmer was ploughing
          his field
          the whole pageantry


          of the year was
          awake tingling
          near


          the edge of the sea
          concerned
          with itself


          sweating in the sun
          that melted
          the wing's wax


          unsignificantly
          off the coast
          there was


          a splash quite unnoticed
          this was
          Icarus drowning

 

          William Carlos Williams

 

Paysage avec la chute d'Icare

 

          Selon Brueghel
          la chute d'Icare
          ce fut au printemps


          un fermier labourait
          son champ
          tout l'apparat


          de l'année se tenait
          en éveil sonnant clair
          près


          du rivage marin
          replié
          sur lui-même


          peinant sous le soleil
          qui fondait
          la cire des ailes


          de nulle portée
          loin de la rive
          ce fut


          tout à fait inaperçue une gerbe
          d'écume
          Icare qui sombrait



Ce poème de William Carlos Williams est extrait de Pictures from Brueghel and other poems (New Directions, New York, 1962).

08/04/2020

Journal du confinement VI

Il s'agit d'entretenir ma flamme. Pour le principe : sous la voile gonflée du ciel, le crépuscule advenu, couleur de violette et d'abricot. J'ai laissé mon ombre disparaître avec la nuit et vu se lever la pleine lune. Et sous un regard parfaitement accommodé, tiges feuilles hampes et fleurs ont commencé à veiller du désir qu'elles ont de se deviner vivre sous la lumière du Petit véhicule.

... Nous jouions "Intermezzo" de Giraudoux. La rencontre d'Isabelle (jouée par la fille du procureur de la république, à Sousse) avec le spectre se passait de nuit, sous une lumière blafarde. Il apparaissait sur la scène, sous une cape d'un bleu des plus sombres, dans un silence quasiment religieux. D'un côté les ténèbres, de l'autre, la voie magnoliale, avec le contrôleur des poids et mesures que j'incarnais, plus ému que la belle, majestueuse dans sa robe si finement plissée à la taille. Je n'imaginais pas pouvoir un jour porter un rôle, comme on porterait un costume, ici couleur Nil, ni goûter à fleur de langue, aux grottes embaumeuses des mots. Loin derrière, dans la nuit des années. Non, je n'imaginais pas.

Mais quelles leçons la vie nous donne-t-elle au juste ?... Sous le bitume craquent encore les racines du songe. Ai grimpé quelques marches - mais par quel miracle ?, j'étais revenu villa Mauricette : ma Première demeure. Un jardin s'offrait à ma vue, rien n'avait vraiment changé depuis. Assis sur le sol, jambes croisées, quêtant un peu d'ombre. Des néfliers à main gauche ; un immense figuier à main droite. Un roseau fendu en étoile à son extrémité, tenu à bout de bras, me permettait de cueillir sans trop de mal les fruits de l'Arbre, fruits qui fleuraient le miel de la ruche. Plus loin, des ceps de vigne, des grappes d'un raisin trop vert et point mûr encore, caressées du bout des doigts elles viraient à l'or sous l'astre étincelant. Le mur de clôture côté est, envahi de lierre sombre et maintes fois escaladé, ouvrait sur un cimetière de chats que les locaux abandonnaient là, in fine, à ciel ouvert. De sombres oiseaux leur dévoraient l'intérieur, jusqu'à. Une odeur de mort et de décomposition émanait de ce lieu, étouffée quelque peu par celles des lentisques, des aulx sauvages et des arbousiers, çà et là mêlés à la pâte du monde, sa face obscure.

C'était un autre temps, une autre vie du temps qui me pesait si peu au fond, sans que je puisse faute de recul en juger alors, à peu près inconscient de ce que me réserverait la suite, par surprise. Oui, sans l'avoir vraiment recherché, j'avais perdu de vue un certain Charles Tombarello dont le père était négociant en vins, un adolescent farfelu qui n'aimait rien tant que de débusquer des scorpions sous les feuilles tombées à terre des eucalyptus pour d'un jet de pierre les broyer net. Encore, mais sans en concevoir de réelle amertume, et dans un registre plutôt sentimental, je m'étais éloigné de Martine Fortunato qui ne voyait en moi qu'un littéraire introverti, coupable à ses yeux de n'apprécier du réel que sa face cachée. Certes. C'était sans compter l'amitié, pour la complémentarité ressentie et quand la solitude me pesait un peu trop, portée à Étienne Cailleaux. Nous parlions sans plus attendre des prochaines grandes vacances en métropole ; ou, à l'occasion, de problèmes mathématiques qui pouvaient m'embarrasser l'esprit ; et lui les résolvait d'une pichenette, le sourire aux lèvres, fier sans jamais être méprisant. C'était son point fort, c'est toujours mon point faible.
Faut-il le préciser, les noms que je cite ici n'ont rien d'inventé, ils ont su résister à leur manière au constant effilochement de la mémoire, sauve quand elle arrive à fixer ses prises, comme sur un mur d'escalade : elles ressuscitent alors, en surbrillance, ce que Lessing évoquait dans le Laocoon,
"l'instant prégnant". Aujourd'hui perdu, à des années-lumière.

 

Daniel Martinez

02:39 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

06/04/2020

"L'instant d'après", de Max Alhau, éd. Brandes, 12 juillet 1986, 289 exemplaires, 40 pages.

à Muriel


Ce qui comble notre impatience, c'est cette ligne infranchissable après laquelle les signes, les repères se brouillent. Ni horizon ni point de reconnaissance mais l'énigme, l'emplacement définitif où se fige l'ombre, alors que la lumière a cessé depuis longtemps de baliser la terre.

A force de suivre le mouvement des vagues, la durée s'engloutit avec elles. Ni l'arbre ni le corps ne résistent : le vent et les rochers se révèlent l'un à l'autre, superbement étrangers. Nous aussi avons changé de camp et ce transfert a comblé notre ignorance.

Quelqu'un parle ou se tait, rien ne le désigne, sinon le crissement de ses pas, son ombre déportée. C'est tout ce que l'on soupçonne d'une présence offerte au vent, au vide.
Faire demi-tour en quête d'une piste serait trahir, suggérer plus qu'il n'est permis. L'obscur convient à ses seules preuves.

Le soir, quand on observe les objets les plus familiers, on éprouve la sensation d'échapper à son corps et au temps, d'être réduit à un seul regard.
Toute notion d'absence s'effondre au profit d'une présence infinie et pareille illusion nous contraint à nous résigner à cet état passager. Les choses n'en finissent pas de nous tenir en leur compagnie, de nous habiter jusqu'au jour où le congé devient définitif.

Max Alhau

09:51 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)