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14/06/2016

Balthus (1908-2001) opus 1

Balthus est, certainement, l'un des douze très grands peintres du XXe siècle. Distant, réservé, il construit des tableaux, relativement peu nombreux (1) : des compositions à la fois ordonnées et inquiétantes, harmonieuses et étranges, impassibles et fiévreuses, évidentes et insolites, savantes et, par moments, volontairement gauches, toujours subtiles et exacerbées.

Balthus révèle la difficulté secrète du métier de peindre, l'alchimie de la couleur, le trouble de la chair, les perspectives modifiées, le clacissisme chaviré, la raison déréglée. A partir des fresques de Piero della Francesca, à partir de Courbet et de Cézanne (pourtant différents), à partir des paysages chinois, à partir des Hauts de Hurlevent (1847), d'Emily  Brontë et d'Alice au pays des merveilles (1865) de Lewis Carroll, il propose ses énigmes géométriques et sensuelles.

Souvent, il privilégie les paysages. Il intitule un de ses tableaux Passage du Commerce Saint-André (1952-1954). Il met en évidence, dans d'autres oeuvres, le passage de l'enfance à l'adolescence, celui du sommeil au réveil, celui de l'innocence au plaisir. Dans la peinture de Balthus, les gestes sont immobilisés éternellement. Le temps est arrêté. L'instant sublime demeure : un moment miraculeux, une chance, un risque.

Dans La Rue (1933), le garçon sensuel palpe la fillette aux yeux baissés ; un enfant un peu obèse joue avec sa raquette ; vue de dos, la femme arbore des rubans rouges en un étrange chapeau, géométrique ; un ouvrier en blanc (un menuisier ou un charpentier) porte sur son épaule une planche qui dissimule son visage barré... Dans Les beaux jours (1944-1946), une adolescente tient un miroir, rêveuse et, de dos, un homme agenouillé attise le feu et le désir, près de la cheminée... La Leçon de guitare (1934) serait une initiation cruelle aux jeux d'Eros... Les joueurs de cartes (1966-1973) : le garçon et la fillette, aux crânes aplatis, trichent peut-être ; ils sont méchants, butés, haineux ; le jeu est un défi, un duel féroce ; et la peinture serait aussi la lutte du peintre et de son oeuvre...

Dans La Chambre (1952-1954), un gnome obstiné lève un rideau et illumine le corps nu d'une adolescente ; est-ce le soleil, ou un voyeur invisible, qui contemple la nudité ? Ou bien, le peintre lève, lui aussi, un rideau (Le Peintre et son modèle (1980-1981)... Et aussi, les paysages de Balthus, en partie brumeux, exhibent la peau de la Terre, immense et changeante. Comme le disait Shi Tao (voir note blog du15/8) vers 1710 : "Le Paysage exprime la forme et l'élan de l'Univers (...) Verticales et horizontales, creux et reliefs constituent le rythme (...) Le contraste des replis et des ressauts constitue l'alternance de l'action et de la retraite".

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                                                                                                 Gilbert Lascault

(1) Virginie Monnier/Jean Clair, Balthus, Catalogue raisonné de l'oeuvre complet, Gallimard, 1999.

16:41 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

Balthus opus 2

... Altier, souverain, parfois serein, toujours indépendant, il se nomme, à certains moments, le "Roi des Chats". Balthus serait "le chat qui s'en va tout seul ; et tous les chemins se valent pour lui".

Le 18 février 2001, le Roi des Chats meurt et, immédiatement, cinq livres constituent des hommages à Balthus et apprortent un grand nombre d'informations biographiques et de phrases personnelles de l'artiste.
. Dirigé par Jean Clair, le superbe catalogue officiel de l'exposition Balthus à Venise réunit de nombreuses illustrations, des documents souvent inédits et des textes passionnants : entre autres, les analyses subtiles de Jean Clair, les commentaires des oeuvres de Virginie Monnier, l'étude de James Lord, celle du sculpteur Raymond Mason, celle de Sylvia Colle Lorant, de Giorgio Soavi... Michela Terreri, une des modèles de Balthus (Michelina), est un témoin perspicace qui se souvient de longues journées de "pose" : un témoignage précieux, rare.

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Frédérique Tison et Balthus à Chassy en 1957

 
. François Rouan, grand peintre, jadis pensionnaire à la Villa Médicis, ami de 30 ans de Balthus et de sa famille, intime, publie un livre étonnant, précis, sagace et fervent : Balthus (Ou son ombre). François Rouan est simultanément un témoin ébloui et un observateur attentif. Successivement, il décrit divers ateliers de Balthus, leurs changements, le vide solennel de bâtiments immenses, l'encombrement et le désordre (voulu ou accepté) de certaines zones de l'atelier, la "chasse au modèle" de l'artiste. François Rouan compare tel tableau de Balthus au "chef-d'oeuvre inconnu" de Balzac et met en évidence les corps déplacés : "Une tête a disparu au-dessus de l'orbe grise de ce qui fut l'encolure d'un tee-shirt" ; "l'humanité est encore présente par fragments, par facettes, en un mouvement de reconstruction". La recherche de Balthus serait la "force qui s'affirme dans une poétique de trébuchements". Ou bien, devant son tableau, Balthus parle à François Rouan : "Il faut que ça tourne. Tu sais comme ce mouvement rotatoire des couleurs sur les tranches des moulins colorés, tournicotent quand on les pousse rapidement et qui enlacent si bien le rouge, le jaune, le bleu et le vert... Tu sais bien... ces jouets qu'aiment tellement les enfants..."
. Vous lirez, peut-être, aussi les Mémoires de Balthus (recueillis par Alain Vircondelet) et Balthus à contre-courant (entretiens avec Constanzo Costantini).
. Mais surtout, oui surtout, ouvrez donc pour commencer la Correspondance amoureuse de Balthus et d'Antoinette de Watteville (1928-1937). Cette correspondance, sincère et théâtrale, est un roman épistolaire, une merveilleuse éducation sentimentale, l'apprentissage d'un grand peintre. Depuis l'enfance, Balthus et Antoinette se connaissent, se fascinent, dans leur paradis. Tous deux se séduisent, en particulier par l'écriture. Tous deux sont passionnés, tendres et cruels, insolents. Antoinette est le modèle de La Toilette de Cathy (1933). Elle est la Cathy des dessins des Hauts de Hurlevent... Balthus et Antoinette se marient en 1937 ; ils auront deux fils (qui viennent d'éditer cette Correspondance), puis ils divorceront plus tard.

                                                                                                Gilbert Lascault  

Balthus, de Jean Clair et coll. Catalogue officiel de l'exposition au Palazzo Grassi à Venise, (9 septembre 2001- 20 janvier 2002), Flammarion éd, 400 illustrations.
Balthus, Correspondance amoureuse de Balthus et d'Antoinette de Watteville (1928-1937), Buchet-Chastel éd., 23 €
Balthus (Ou son ombre), de François Rouan, Galilée éd., 20 €
Mémoires de Balthus, recueillis par Alain Vircondelet, Rocher éd., 19 €
Balthus à contre-courant, entretiens avec Constanzo Costantini, Noir sur blanc éd., 21 €

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09/06/2016

Max Jacob plasticien, opus 1

Scène japonaise avec samouraïs (22 x 28,5 cm)

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Dans cette scène exotique en costumes, peinte en 1917 par Max Jacob (1876-1944) à la gouache et à l’aquarelle, est ici représentée l’exécution de deux personnes – sans doute des martyrs chrétiens que la loi des shoguns condamnait à mort, dans le Japon d’Edo – par deux samouraïs armés de sabres, dans une atmosphère paradoxalement apaisante.

Max Jacob pratiqua très tôt le dessin et la peinture, et y consacra de longues heures jusqu’à sa mort, dans les conditions que l'on sait, travaillant sur le vif et d’après photographies, exécutant aussi bien des paysages naturels ou urbains que des portraits ou autoportraits.

 « Quand on fait un tableau, à chaque touche, il change tout entier, il tourne comme un cylindre et c’est presque interminable. Quand il cesse de tourner, c’est qu’il est fini. » (« Le Coq et la perle », in Le Cornet à dés, 1917).

Jeune critique au Moniteur des Arts et à la Gazette des beaux-arts, il rencontra Picasso en 1901 et fut témoin privilégié de l’aventure cubiste, bien qu’il ne fît lui-même que quelques essais dans ce style. Comme il l’écrivait à René Rimbert en mars 1922 : « Ce n’était pas mon tempérament [...]. Je fais des œuvres avec le fond de mon ventre et [...] le fond de mon ventre est ‘opéra comique’. [...]. Je suis un homme de l’époque impressionniste par formation... »

Il vécut dans la pauvreté, ses livres ayant alors peu de succès, tirant principalement un revenu de la vente de sa production artistique : si, d’une part, il écrivait à Tristan Tzara (voir note blog du 15/8) : « Je fais des dessins qui ne se vendent pas. Je crie très fort que j’ai du talent pour me persuader que j’en ai mais je ne le crois pas. », il écrivait d’autre part en 1922 à Francis Poulenc : « La peinture marche aussi. Je suis en train sur le tard de devenir un vrai peintre… horrible ! Quelque chose entre Corot et Monnet – pas modeste. C’est pas de ma faute. »

Max Jacob exposa au Salon des Indépendants dès le début du siècle, puis dans des galeries d’art dans les années 1920. De grands collectionneurs ou relieurs comme Paul Bonnet lui demandèrent d’enrichir de dessins originaux leurs exemplaires.

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