241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/02/2016

A Raymond, à la vie qui court et à ce que nous en retenons

CAIRN BLOG.jpg

"Celui qui n'a pas de lieu fait de son désir d'en avoir un son vrai lieu"
Edmond Jabès

11:46 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

03/01/2016

Joan Mitchell opus 1

         "Quand je travaille, je ne suis consciente que de la toile et de ce qu'elle me dit. Je ne suis certainement pas consciente de moi-même. Peindre est une manière de s'oublier. Parfois je suis totalement prise. C'est comme faire de la bicyclette sans les mains. Ca n'arrive pas souvent. J'espère toujours que ça va recommencer." Ainsi Joan Mitchell (1925-1992) s'expliquait-elle sur son oeuvre - quand elle acceptait de répondre à une question, ce qui n'était pas dans ses habitudes.

L'explication est elliptique et ne peut que l'être, tant il était clair pour l'artiste qu'en dire plus eût été tricher et prétendre  analyser un événement par nature incompréhensible et imprévisible, l'apparition d'un tableau. Là-dessus, Joan Mitchell n'a jamais varié : elle refusait les règles, elle ne croyait pas aux méthodes, elle avait en horreur les systèmes et les catégories. A l'en croire, la peinture "venait" ou ne "venait" pas - voilà tout. Il y avait des jours où elle avançait comme d'elle-même et d'autres où il ne se passait rien, où il ne pouvait rien se passer, où insister aurait été désastreux.

L'expressionnisme abstrait dont elle est issue l'a convaincue de cela, que l'art et la beauté sont libres ou ne sont pas, qu'il n'y a pas de vertu préférable à la liberté dans l'atelier et hors de l'atelier. Loin des académismes, puisque jamais, résolument, Joan Mitchell n'a accepté quelque forme que ce soit d'aliénation sociale ou intellectuelle.

Cette résolution, que bien des signes avaient cependant précédée, Joan Mitchell l'a faite sienne définitivement en 1950, alors qu'elle a 24 ans. Jusque-là, elle avait été la petite fille douée d'une famille bourgeoise et lettrée de Chicago, une brillante élève de l'Art Institute, une jeune voyageuse qui parcourt la France. Mais, en 1950, elle s'établit à New York, rencontre De Kooning et Kline et se fait admettre à l'Artist's Club, lieu essentiel de la discussion et de l'expérimentation esthétique. Là viennent Motherwell et Rauschenberg - tout juste débutant - et de temps en temps Pollock, un poète tel Frank O'Hara, un critique comme Tom Hess. Là s'entendent les aphorismes de De Kooning, qui rejette toute classification, toute appellation - y compris expressionnisme abstrait - et déclare qu'en art une idée en vaut une autre. Là encore, elle vérifie par l'expérience que la peinture ne saurait vivre à l'écart et qu'elle doit, à l'inverse, prospérer au voisinage des écrivains.

Les premières grandes toiles apparaissent dans la seconde moitié des années 50. Le geste papillonne, volète, tournoie, écrase des touches épaisses, trace de entrecroisements, fend et déchire les surfaces. Le format grandit, en longueur plus souvent qu'en hauteur, diptyques et triptyques prolifèrent, le chromatisme accepte des nuances de plus en plus nombreuses, la présence physique du peintre s'impose avec une évidence croissante et l'oeuvre conserve les stigmates de la lutte contre la matière, sur fond de vide lumineux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

                                                                                                  Philippe Dagen

11:39 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

Joan Mitchell opus 2

Suite et fin

Des parentés ? Ni Kline, aux structures moins aériennes, ni De Kooning, au dessin plus anguleux et tranchant, mais Hans Hoffmann, dans l'atelier duquel Mitchell a séjourné en 1947, et Cy Twombly, dont elle partage le goût pour les fausses salissures et les maculations calculées. Des constantes singulières ? Elles se reconnaissent bientôt. La diversité des textures et des densités est l'une d'elles. Joan Mitchell sait aussi bien répandre un lait diaphane de couleur très diluée que plaquer des amas compacts que l'on ne saurait comparer qu'à des masses de silex dans de la craie. Entre ces extrêmes se placent l'aplat dense et lisse, la touche appuyée, le relief sorti du tube et séché en rides.

A cette science texturologique répond la virtuosité chromatique. Il y a des couleurs Mitchell, un orange qui tient un peu du tournesol selon Van Gogh, des bleus marins et nocturnes, des blancs entre neige et aube et, plus belle encore, plus rare, l'alliance d'un rouge légèrement carmin et d'un vert vif dont on ne saurait détailler la grâce. Les filaments sanglants glissent vers le vermillon au contact de la complémentaire, qui, elle-même, noircit et paraît se faner. Dans l'épaisseur, du rose transparaît. C'est là, à son plus haut point, la chair voluptueuse de la peinture, qui envoûte pour peu qu'on la regarde de près, tout en se retenant d'y porter la main et d'éprouver du doigt le grain de la peau.

Il faut se reculer de quelques pas pour embrasser les grands poliptyques savamment construits, les Bluets de 1973, le Garden for Audrey de 1979, la Goodbye Door de 1980 - autant de tableaux qui triomphent à force de puissance tempérée de grâce et d'élégance. Période américaine et période française, années de New-York et années de Vétheuil, où l'artiste s'établit en 1967, l'ampleur et la maîtrise se vérifient. ne changent guère plus que les dominantes, plus souvent bleutées et pâles d'un côté de l'Atlantique, plus souvent vertes et jaunes de l'autre.

Dans les dix dernières années de sa vie, particulièrement dans la série dite de La Grande Vallée, commencée en 1983, on en viendrait à regretter un impressionnisme un peu insistant. D'une densité qui ne craint ni l'étouffement ni la confusion, les toiles paraissent soudain lourdes, privées d'air et de profondeur. Elles datent d'une période de moindre tension, où le labeur se voit, où la bicyclette, pour reprendre l'image de Joan Mitchell elle-même, n'allait pas toute seule, sans les mains. 

                                                                          Philippe Dagen

11:38 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)