241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/12/2016

Jean Hélion II

Suite de l'entretien Jean-Paul Chambas - Jean Hélion

Je crois que la nature a plus d'imagination que nous. 

J.-P. C. : Quels ont été pour vous ces tableaux les plus figuratifs au sens le plus simple du terme ? Vous avez peint sur le guéridon un chou, ça me fait penser – ce n'est pas un jugement – à Chirico, aux derniers tableaux de Chirico.

J. H. : Il y a quelques instants chez Chirico où je me reconnais ; mais son objet reste le contraste entre la réalité et un paysage complètement imaginaire et volontairement proche du dessin d'architecte.

 J.-P. C. : Est-ce que vous pensez que c'est juste ou important pour n'importe quel peintre aujourd'hui de s'interroger sur les choses comme ça, de regarder longtemps une botte de radis avant de la peindre ? La regarder, longtemps, est-ce qu'on a le temps ?

J. H. : C'est à vous de savoir si vous avez le temps. Moi je les ai regardés pour les éprouver en moi-même ; ils ont un côté sensuel formidable. Une face blanche giflée de rouge, dès que j'ai vu ça j'ai su comment la peindre ; et ensuite ce bout brutal qui se termine pare une petite radicelle délicate. J'ai aimé la contradiction de cette gifle rouge sur un radis blanc avec de l'autre côté des feuilles vertes, plates et dentelées. Je crois que la nature a plus d'imagination que nous.

J.-P. C. : Et pourquoi des gens comme Poussin n'ont-ils jamais peint de radis !

J. H. : Il a peint des grappes de raisin superbement ; il lui manque un peu de gaieté de peindre, mais quelle intelligence  formidable ! C'est le plus grand de tous et de très loin.

 J.-P. C. : Giorgione peut-être...

J. H. : Giorgione est le plus heureux de tous les peintres. Il a peint avec bonheur ce que Poussin a peint avec sagesse. Ce bonheur de peindre, on le trouve aussi chez des gens comme Manet, comme Cézanne, une joie...

Manet savait poser une chose, une chose aiguë, surface plane, une valeur avec une seule tache, c'est superbe. Cézanne, lui, c'est le comble de l'adresse. Il suit exactement la sensation. Il donne la parole à son pinceau. Il ne déguise pas le coup de pinceau en trait, il le laisse être une touche, devenir un petit point et après s'épanouir ; Cézanne est un homme extraordinaire. Il disait sur la peinture des choses sommaires, justes mais sommaires.

 

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

  

HELION BLOG.jpg

Les Arums, huile sur toile, 1954

16:09 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

Jean Hélion III

Suite et fin de l'entretien Jean-Paul Chambas - Jean Hélion

Une sorte de chanson qu'on perçoit...

J.-P. C. : Je me demande ce qui permet de dire que l’on est au bout du chemin. Qui le voit ? Est-ce la peinture qui nous le dit ?

J. H. : Il n'est pas essentiel qu'on le voie, moi je le vois mais je suis peut-être un maillon dont vous êtes le suivant ; je crois que tout homme ajoute à un autre homme une aventure.

J.-P. C. : Quand j'ai vu vos tableaux exposés chez Karl Flinker, j'ai été surpris de cette extrême liberté qui pour moi va vers un laisser-aller total. Quand j'ai demandé à Karl où vous alliez ainsi, il m'a répondu "vers la liberté absolue". L'avez-vous vu comme cela ?

J. H. : Je me sentais plus impérieusement poussé qu'avant ; cette liberté s'exprimait par une soumission plus grande à mon désir de peindre, à l'envie d'amener le beau à cette surface blanche qui était inerte auparavant.

J.-P. C. : Le sujet importait moins que la peinture.

J. H. : Ce qu'on cherche à crier c'est la vie qui est en soi. Au fond de nous, la vie résonne, cette espèce de tumulte des cellules dans lequel nous mettons un certain ordre, avec lequel nous faisons une sorte de chanson qu'on perçoit.

J.-P. C. : Cette liberté n'est pas une liberté de jeune homme, il y a une insolence autre que l'arrogance...

J. H. : C'est le sens de l'humilité parfaite, le contraire de l'orgueil ; ça m'est égal que vous aimiez ou pas, voilà ce que je cherche à dire, je le dis au plus près, au plus juste. L'idée de justesse est très importante dans la peinture et tant que Matisse ou Cézanne avaient cette justesse. Il y a la justesse d'un rapport entre le nez et l'oreille et celle d'une tache qui fait que les yeux de Cézanne nous regardent plus profondément que les yeux de Léonard de Vinci. Il est plus superficiel, plus exécuté que Cézanne. A trop multiplier et démonter, la sensation forte est mise à mort. Le langage est fait de coups d'oeil qu'on reçoit totalement en plein visage. Vinci exprime des clins d'oeil ; Cézanne, c'est l'oeil grand ouvert sur les choses, sur la vie, aussi ouvert qu'un trait de pinceau qu'il trace franchement, totalement, sans hésitation. Il hésite avant, mais pas pendant.J'ai l'impression d'avoir toujours dit la même chose, autrement, c'est pourquoi j'ai tenu des carnets toute ma vie où je me suis entretenu avec eux. Je suis mon meilleur client ; client dans le sens de celui qui accepte de dire aujourd'hui le contraire d'hier. Vous avez un dos, vous avez aussi une face. Nul n'est plus vrai que l'autre ; l'un a besoin d'être énoncé après l'autre. La vérité, c'est un fantôme comme l'horizon. Mais l'horizon existe, c'est une ligne qui sépare le ciel du bout du champ ; et quand on se trouve au bout du champ, l'horizon s'éloigne. C'est une réalité mentale, l'artiste s'occupe de l'intersection des vérités mentales avec les réalités physiques ; c'est-à-dire du domaine des yeux. Ce qu'il y a d'amusant, c'est que la peinture soit à la fois physique et mentale ; c'est peut-être l'infériorité de la poésie d'être principalement mentale, il y a bien dans le jeu des mots une matérialité mais celle-ci n'a pas la précision de la couleur.

                                                                                                   Jean Hélion

16:08 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

Jean Hélion, extraits de ses Carnets

CARNET 1974

Il est dans la règle, dans l’usage plutôt, qu’il faut bien qu’à un certain moment l’œuvre aille de travers pour que s’engage le combat entre les forces les plus profondes de mon être et les richesses trop lourdes de l’œuvre en cours. Et ce combat doit toujours être le rappel de l’émotion directrice, sa victoire si possible, en tout cas sa mise à jour, sa déclaration. Un grand peintre, si ce mot n’est pas trop ridicule, conventionnel, mensonger, est celui qui, à tous les niveaux de l’échec contre-attaque avec ce qu’il porte de plus élevé.

Que le dernier coup de pinceau soit toujours une tentative de redresser la situation, d’indiquer la direction idéale et non une tentative de rendre aimable la pagaille du combat plus ou moins perdu.

Ne rien arranger. Jamais ! Aggraver plutôt.

Figurer, c’est mettre en évidence des structures naturelles diverses et définir leurs analogies par un rythme dans lequel elles sont enfilées comme des perles.

Percevra-t-on plus tard en examinant ce triptyque tous les jeux de parenté ?

Ex : 1) volet gauche, porteur de légumes : parenté de la feuille de journal passée sur ses bras avec les feuilles de chou voisines. L’argot le prévoyait.

      2) franche sensualité aussi de ces lames écartées et puis enchevêtrées des feuilles de poireaux.

Il y a dans tout organisme vivant un savoureux projet d’accouplement. Il faut le goûter dans cet état, en pointillé en somme. A distance de songe. C’est là qu’il est le plus fort dans la symphonie du tout. Il me semble qu’une rangée de filles nues couchées sur cet étal, les jambes pendantes – que de très loin ces légumes suggèrent – ce serait beau mais moins fort, moins durable, moins savoureux. Trop brutal pour chanter dans cette symphonie à laquelle j’aspire. Ça deviendrait un cri en soi : inchantable.

Le 21.11.1974

C’est en essayant d’aller tout droit qu’on sort de la route commune. Droit à la lumière ou droit à la nuit originelle, sources de toutes choses, seul réel, cher Novalis.

BLOG HELION 2.jpg

1ère suite p. à l'atelier, huile sur toile, 114 x 162 cm, 1978

 

CARNET 1977-1978

Quand j’ai conçu, étudié, rassemblé, les termes d’un tableau, je suis comme un homme qui s’est procuré des armes. Il reste encore avec celles-ci à se battre. Comme s’il était nu. Sans armure ni matières. Je rencontre toutes sortes de situations hasardeuses dont la sortie n’est jamais gagnée d’avance : j’improvise. C’est la meilleure partie de la bataille. Ayant ainsi satisfait à toutes les raisons, je n’ai plus recours qu’à la force : aux forces qui s’agitent en moi dans tous les sens. Cependant, à tout moment je pense, avec agilité mais c’est surtout en sens contraire de la raison que demeure la solution. Dans la suite Pucière n°3, sous le banc j’avais d’abord ajusté une ombre brune ; c’est en vert que finalement je la peins et la valeur la plus claire fonctionne là où j’eusse d’abord mis la plus foncée.

Cependant, malgré les contradictions formulées, quelque part la raison profonde est satisfaite.

                                                                                   Jean Hélion

16:05 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)