28/03/2020
Un auteur de Diérèse : un poème de Michel Diaz
tu marches désormais vers le jour le plus simple, celui que tu peux voir sur le chemin s’avancer au-devant de toi et précéder la trace de tes pas, celui-là, tant perdu, retrouvé, que tu peux regarder en face, qui plonge son regard dans le tien et qui te laisse lire sur ses lèvres
il sait faire sa place au plus humble et au plus familier, à ce qui s’incline toujours vers le bas et se donne, sans ruse ni calcul, aussi simple qu’un souffle d’air sur ce qui va germer
il en va de ce jour, tu le sais, comme des amours brèves, une aube les reprend, une ombre les délivre, un soir de lune fraîche les veille et les prolonge, un ciel de matin pur les délace de tout tourment, leur fait le sang léger, un front de pierre lisse, change leur bouche en arbre et leurs yeux en promesses d’oiseaux
il faut croire que maintenant le passé le cimente, que le présent le porte
qu’il en va maintenant de lui comme des fondations du monde, comme de ces bûches d’un bois fraternel, qui brûlent lentement et se consument sans se plaindre dans l’âtre des persévérances
* * *
offrande, en attendant qu'une main la recueille et que l'ombre la renouvelle
offrande à tout ce blanc qui a bu aux fontaines des doutes et des amertumes, jusqu'à la lie de son silence
offrande en touffe d'immortelles et en éclosion de pavots, ou en forme d'épaule obscure mais si douce de lait nocturne
offrande à la pierre nue des margelles, à leurs lèvres torrides qui saignent sous le soc de midi, aux soifs inapaisées, à l'étincellement de la rosée, à ce qui brille d'eau lustrale aux fentes des rochers
offrande aux voiles noires du matin qu'emportent les lumières vers des horizons où s'effacent les rides de nos peurs
offrande, pour ne plus attendre demain, mais pour ouvrir son nom à un pays qu'on ne saura jamais, qu'on devine là-bas, au bout de la parole, et ce qui germera des yeux, enfoui, là-bas, comme un berceau dans la mémoire lisse de la neige
quelque part où la lumière pleut
Michel Diaz
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26/11/2019
"Ce lieu que les pierres regardent", de Jean-Louis Giovannoni, éd. Lettres Vives, novembre 1984
Tu bouges
et tout respire
dans ce seul instant
Le lointain
n'est jamais après l'horizon
il est au dedans du corps
le corps lui-même
On court
pour essayer de se franchir
dans son propre pas
Tes pas n'ont pour terre
que le corps qui les porte
Nous ne voyons
en fait
que ce qui peut nous être retiré
On croit faire route
et c'est son corps
qu'on élève à la grandeur d'un chemin
à la grandeur de l'espace
Jean-Louis Giovannoni
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21/10/2019
Les "Sonnets" de William Shakespeare
CXXX
My mistress' eyes are nothing like the sun ;
Coral is far more red than her lips' red :
If snow be white, why then her breasts are dun ;
If hairs be wires, black wires grow on her head.
I have seen roses damask'd, red and white,
But no such roses see I in her cheeks ;
And in some perfumes is there more delight
Than in the breath that from my mistress reeks.
I love to hear her speak, yet well I know
That music hath a far more pleasing sound :
I grant I never saw a goddess go, -
My mistress, when she walks, treads on the ground :
And yet, by heaven, I think my love as rare
As any she belied with false compare.
William Shakespeare
*
Les yeux de ma maîtresse, du soleil n'ont rien ;
Plus rouge est le corail que n'est rouge sa bouche ;
Pourquoi, si neige est blanche, a-t-elle les seins bruns ?
Cheveux sont-ils des fils ? Fils noirs sur son front poussent.
J'ai vu des roses de Damas, rouges et blanches,
Mais, sur ses joues, ne vois ces roses-là fleurir
Et plus suave odeur ont certaines essences
Que l'haleine exhalée par elle en un soupir.
J'aime entendre sa voix et pourtant je sais bien
Que la musique a de plus belles harmonies ;
Jamais n'ai vu marcher déesse, j'en conviens -
Ma maîtresse en marchant sur la terre s'appuie.
Cependant, par le ciel, plus rare est mon amie
Qu'aucune à se griser de fausse analogie.
traduction de Jean Rousselot
*
Les yeux de mon amante n'ont rien du soleil.
Le rouge de ses lèvres n'est pas le corail.
Si neige est blanche, et de soie le cheveu, le sien
pousse noir sur sa tête et elle a brun le sein.
J'ai vu les roses peintes de toutes les couleurs,
Mais nulle de ces roses sur sa joue n'aie vue.
J'ai senti des parfums de loin plus enchanteurs
Que celui de ma mie, quand son haleine pue.
J'aime le son de son parler ; pourtant je sais
De plus belles musiques prêtes à me plaire.
Jamais, j'avoue, n'ai vu déesse aller à pied ;
Le pas de mon amante foule bien la terre.
Mais par le ciel enfin ! je la tiens pour meilleure
qu'une autre qui se farde de blasons menteurs.
traduction de Cédric Demangeot
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