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27/04/2019

L'après Diérèse 75

Chers amis, je finalise ce week-end la maquette du n°76 de Diérèse, qui comptera 324 pages (d'un contenu plutôt exceptionnel, toute modestie gardée, vous comprendrez pourquoi, à réception)... Oui, je vous donne lecture à présent de ce qui suit la sortie de chaque livraison : autrement dit, les lettres échangées avec les auteurs. J'ai sélectionné cette missive de Joël, sans oublier la mienne qui a suivi. Joël qui a si bien compris ma démarche, sur un sujet à mon sens crucial et qui dépasse de loin le simple cadre politique, jugez-en plutôt :

Cher Daniel,

Je reviens sur ton introduction du numéro 75.
Tu écris qu’il manque à notre siècle un penseur de la stature d’Emmanuel Lévinas,... En effet, avec E. Lévinas, c’est la rencontre avec autrui qui est pour lui la démarche décisive. Ce n’est pas un retour au “sujet” comme certains ont pu le penser, mais Lévinas déplace le foyer de la subjectivité fermée sur elle-même (matrice ultime, selon lui, des tyrannies de son temps) pour le porter sur l’altérité et le visage d’autrui.
L’extrémisme de l’altérité va, bien sûr, à l’encontre du déni de l’autre, de l’enfermement dans le moi idéologique ou ethnique, je dirai les deux : l’ethnie représentée par le terme de “Volkstum” qu’on peut traduire par “communauté nationale”. Le nazisme oscillait entre ces 2 pôles.
Et Heidegger, lui-même, oscilla entre ces 2 pôles, entre le “Dasein individuel” et le retour aux vraies valeurs nationales, excluant tout regard vers l’autre, dès lors que cet “autre” n’était pas un pur allemand.
Et Hölderlin a servi de modèle pour le peuple. Heidegger l’a longuement commenté. Chaque soldat avait son “Hölderlin” (des morceaux soigneusement sélectionnés) dans sa besace.
Des philosophes français, Jean Beaufret en tête, se sont précipités pour placer ce “Heidegger” sur un piédestal. Le vent commence à tourner aujourd’hui, on commence à voir que ce philosophe a été fortement surévalué.
J’arrête là, mais je pourrais encore citer Gunter Grass. Ce sera pour une autre fois.
Toute mon amitié, Joël


Ma réponse :


Cher Joël,

mille mercis d'avoir ainsi explicité ce que je pense en mon for, sans l'avoir formulé aussi distinctement que tu l'as fait !
... Beaucoup à dire sur notre époque effectivement, qui porte en elle des germes d'(auto)destruction. Permets-moi de dériver un peu je te prie, en rebondissant sur ce que je n'ai pu développer dans le cadre d'un éditorial, qui doit rester concis. D'une manière plus générale et pour embrasser les conflits actuels où les populismes se taillent la part du lion, il est un élément qui m'interpelle plus que tout : cette atonie des intellectuels face à une situation qui va se détériorant sans que l'on voie de terme à la déchirure du corps social, pris en tenailles par les ultras. Les ultras, qui eux ne se posent pas de questions, mais agissent selon. Ou distillent leur venin - au passage le cercle intellectuel ou dit tel est aussi touché, ne l'oublions pas.
Et cette schématisation des gouvernances qui amalgament le mal-être sans effet retour malgré les apparences, en le fragmentant et en le contextualisant pour le rendre un peu moins visible, dans un cadre où le culturel en vient à sonner faux ! C'est en somme une lutte fratricide entre l'agir et le penser, au détriment de la seconde notion, alors que celle-ci devrait la sous-tendre. Une course insensée pour l'à venir à tout prix, en étouffant le présent ; l'avenir pour l'avenir, en cercle fermé, comme on disait autrefois fièrement "l'art pour l'art"...
La poésie, elle, génère immanquablement cette distance nécessaire, mal comprise donc, synonyme de résistance (à l'inéluctable), mais que l'on ne compte pas sur moi pour me morfondre sans fin. Car trop courte est la vie ! Tu as ainsi pu me lire et comprendre ma vision des choses dans Le Temps des yeux, autrement dit le temps du regard, vers ce qui nous compose, avec quoi composer. J'arrête là, à regret, mais je me montrerais trop long si.
En toute amitié, Daniel

22/04/2019

Une lettre de Juliette Drouet à Victor Hugo : 13/10/1854

Jersey, 13 octobre, vendredi midi et demie

 

Il est bien vrai, mon trop bien-aimé, que j'ai l'audace de faire courir mes pattes de mouche sur votre majestueux museau de grand lion sans aucune espèce de crainte ni de timidité. Cela tient à la conscience que j'ai de mon infirmité, eu égard à votre puissante et fauve personnalité. Il n'en est pas de même quand je m'adresse à des êtres plus ou moins englués de bourgeoisie et de préjugés ; je sens qu'il y a là un danger pour moi et que le moins qu'il pourrait m'arriver serait d'y perdre ma liberté... d'esprit (de mouche). Avec vous je ne cours pas le même péril et je vagabonde en toute confiance autour de vous. D'ailleurs est-ce qu'il est possible de mal dire : je t'aime. Qu'on l'écrive en latin, en grec, en busulban, en baobétan, en chinois, en sanskri ou en charabia ? Je thème, je tème, je t'aime et même je t'aibe ? Tout cela est autant de diamants tirés de la mine inépuisable de mon amour. Le style lapidaire, lui-même, ne saurait y ajouter la valeur d'un iota. Mais la vile multitude préfère de beaucoup un bouchon de carafe taillé à facettes, voilà pourquoi j'ai si peu de goût à me montrer à elle dans toute ma simplicité brute et même brutale. Ce qui fait que notre Juju est muette et qu'elle aime mieux la foudre sur sa tête que son visage devant le sun. Cela ne m'empêche pas d'être bien touchée et bien reconnaissante de la peine que tu prends de te substituer à moi dans des occasions dangereuses, comme celle d'hier. Si je pouvais t'en aimer plus, je le ferais ; mais, à l'impossible nul n'est tenu, fût-on trois fois Juju. Je t'expliquerai cela tantôt quand je te verrai. D'ici là, je me livre au rognonage dans mes toiles et dans mes calicots achetés hier et puis je vous attends les ailes ouvertes, le cœur et l'âme à l'unisson.

Juliette Drouet

Coucher Soleil Blog.jpg

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21/04/2019

Christian Dotremont (1922-1979)

L'un de ses récits de Laponie, l'un des logogrammes qu'Yves Bonnefoy jugeait "parfaitement admirable(s)" :


Quand j'arrive à Ivalo, en Laponie finlandaise, je laisse mes bagages à l'auberge, et je vais immédiatement me promener sur la route, et j'ai l'impression d'être tout renouvelé, en même temps que je retrouve des amis, et tellement de choses, qui n'ont pas changé ou presque pas. Et quand je reviens à Tervuren, point de départ de mes points de départs, je laisse mes bagages dans ma chambre, et je vais immédiatement me promener dans les rues, et j'ai l'impression d'être tout renouvelé, en même temps que je retrouve des amis et tellement de choses, qui n'ont pas changé ou presque pas. C'est ainsi que j'ai l'impression d'être vivant dans une éternité, d'être éternel dans la vie, dans deux villages qui pour moi sont un seul univers infini par leurs différences et par leurs ressemblances, et par moi qui les unis dans mon cœur, et - par diverses écritures - dans ma poésie.


Christian Dotremont


A lire aussi : La Pierre et l'Oreiller, éd. Gallimard 25 mai 1955 : roman, récit, autobiographie tout à la fois.

12:11 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)