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18/12/2019

Jean Schlumberger (1877-1968)

Dans ce livre dont je vous parle aujourd'hui, de petite taille (108 x 165 mm, du temps où la maison Gallimard éditait aussi en format poche, quel dommage qu'aujourd'hui on n'en voit plus à ces dimensions !), Jean Schlumberger, l'un des membres fondateurs de la NRF, entretient un "dialogue" avec son corps, depuis son endormissement jusqu'à cette perte de contact avec le monde qui est une entrée dans un au-delà de soi, terra incognita. Je ne sais rien de plus beau que ce qu'en dit ici Jean Schlumberger, évoquant avec une poésie rare cet effacement progressif de la raison raisonnante, véritable aurore de la nuit. Le premier dialogue date de 1923, le second de 1925 ; voici, pour l'heure, un extrait du premier, en pages 28 & 29 :

 

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VIII

Je ne t’appartiens pas plus que l’arc-en-ciel n’est aux gouttes de la pluie. L’arc-en-ciel appartient aux rayons, mais sans la pluie il ne fleurirait pas. Tes membres sont un cristal qui intercepte quelques ondes de l’éternelle lumière ; ils remuent dans un étincellement de prismes ; et parmi les milliards de cristaux dressés sur la surface de la terre, ils sont d’entre les plus transparents.
Il n’y a qu’un seul torrent de lumière spirituelle et des milliards de cristaux pour la recueillir. Déjà les plus obscurs, déjà le jaspe vert des végétaux en est pénétré d’on ne sait quelle lueur. Cristaux fumeux, cristaux laiteux, de plus en plus dociles à l’illumination, de plus en plus avides de clarté, selon mille gradations de transparence, les uns encore obscurcis d’une buée, encore coupés de failles ; et parmi les plus purs, il y a des degrés encore, jusqu’aux plus parfaits.
Si l’onde éternelle ne te traversait pas, tu partagerais la nuit de la houille ; si l’onde ne rencontrait  pas tes arêtes et tes miroirs, où trouverait-elle occasion de se briser en tant de feux ? Ne crains pas qu’elle se refuse : elle est trop éprise de chacune des belles nuances dans lesquelles tu la divises. Ce n’est pas toi qui auras à gémir de sa défection ; c’est elle qui pleurera ses fleurs, quand tu ne seras plus capable de la rompre amoureusement...

 

 Jean Schlumberger

 

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08:25 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

17/12/2019

"Léon-Paul Fargue ou l'homme en proie à la ville", par Jean-Claude Walter, Gallimard, 1973.

Ville !


Ville ! Qui dira la fulguration de ta naissance taillée dans le diamant de ton unique syllabe haute... Ville, planète de verre et de pierre, transparente comme la lumière et qui s'échappe à peine prononcée... Parole nerveuse ouverte dans la pensée, comme l'astre de pierres nues suspendu dans le ciel.

Ville, cristal du sentiment et de la fièvre qui jaillit dans le regard et déjà se résorbe, échappée violente du geste de l'éclair, dans ce corps qui s'élance avec l'inflexible douleur de la flamme et nous consume par sa douceur. Neige relevée, ailes du ciel qui battent sur la proie, cri d'oiseaux, langueur de la terre, apaisement du cœur.

La ville nous ouvre les rues de ses consonnes et se jette en avant. Le mode du verbe qui saisit sa rigueur ne peut l'enserrer, sa voyelle aiguë troue les plafonds de la cage d'étoupe. Ville, arène, course folle jusqu'aux parements des murs, offrande de toute l'étendue intarissable d'un espace amer.

Ville ! Qui dira la fulguration de ton désir taillé dans le diamant de ton unique syllabe brève...


Jean-Claude Walter

04:01 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

16/12/2019

"Le livre du partage", par Edmond Jabès, éditions Gallimard, 1987

La vérité s'offre à nous toute nue. Nous la parons de voiles.
A chaque fois que nous posons l'un d'eux sur ses épaules, nous croyons avoir fait un pas de plus dans le Vrai, comme si, aller à la Vérité, c'était progressivement, l'obscurcir.
L'éblouissement ne convient pas à l'homme.
La preuve : il l'aveugle.


A quel calcul la nature s'est-elle livrée pour, à ce point, disgracier le désert ?
La vérité, sœur du grain de sable, est, peut-être, seule à le savoir.


"Le désert n'est pas la mort. Il n'est pas, non plus, la vie. Il est l'épreuve de vivre ; l'épreuve de force engagée, par la vie, contre la mort militante.
"... comme il fut, autrefois, l'épreuve de la liberté et de l'amour", avait-il noté.


Revêtir d'une armure
la vie.
Déséquiper la mort.
Utopie.


Edmond Jabès

06:48 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)