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26/12/2019

Notes et contre-notes

Passerais-je pour un observateur partial, face aux événements actuels liés à la réforme des retraites, qu'il m'importerait peu. Je note, sans autre intention que d'essayer de trouver mes repères dans ce tissu déchiré, chaque jour un peu plus...
A l'époque, dans l'auditorium de la BPI, Cornelius Castoriadis que j'étais allé écouter en soirée s'amusait de l'attachement des populations à leur régime de retraites (Fillon en avait été l'initiateur), et se demandait déjà ce que nous réserverions aux sans-emplois, aux exclus du système.
Le poète et conteur Jean Rousselot lui, croyait dur comme fer à un régime de cotisations des auteurs qui leur permettrait d'assurer l'essentiel pour leurs vieux jours. A son écoute, j'ai publié son article - dont c'était l'objet, dans Diérèse -, il me fut reproché dans la foulée de vouloir donner un contenu social à la dimension littéraire qui, d'après le contradicteur, échapperait à toute tentative de planification ; car, ajoutait-il, vivre de sa plume n'étant plus d'actualité... je vous laisse terminer.
Ce mercredi 25, gare d'Ozoir, aucun train de la journée. La place, d'habitude si animée, est traversée par quelques pèlerins qui parlent du beau temps revenu, se grattent le cheveu. Comment dire ?, une curieuse impression de couvre-feu. On parle doucement. A deux pas des grilles de la station restées fermées, un commerçant vietnamien persiste à exister, il vend des baguettes décongelées, je lui en achète une, sourires échangés en regardant l'écran vide, d'un bleu plus vif que le ciel, puis : "Il paraît que l'on se bat pour nous, tant mieux non ?"... Il me dit habiter dans la résidence qui jouxte la forêt d'Armainvilliers, n'avoir pas eu trop de mal à venir, tôt ce matin. Je repars, un sorbet à la framboise pour Gaëlle, emmailloté de son long dans un étui de plastique qu'il a fallu couper en son extrémité. Elle est heureuse, elle se baisse et me cueille une marguerite en ajoutant :"C'est ton cadeau".
... Semaine 51, à la station Créteil Pompadour, une passerelle toute en hauteur qui surplombe la route, à gravir pour redescendre vers les voies. Avant d'emprunter les marches qui me conduiront au quai, je peux lire : "Dès le 5 décembre bloquons l'économie", une banderole placardée sur une paroi de béton brut, en capitales. Le train démarre (le suivant dans une heure et vingt minutes, je l'ai échappé belle). Bondé, je n'arrive pas à ouvrir le livre de Poche que j'avais dans mon vêtement, "Mademoiselle Fifi", de Maupassant. Dans ces circonstances, cela aurait pu paraître un luxe inexcusable, il est vrai. Aux portes de Paris, aperçu cette fois une inscription à la peinture blanche : "On veut pas que le gouvernement recule, on veut qu'il s'en aille" signé d'un "A" majuscule.

Après le labeur quotidien, la nuit venue, Pierre dans son poids-lourd me raccompagne. Il assure les liaisons inter-banlieues en collectant le courrier puis en alimentant la plate-forme de tri qui va le ségréger et le ventiler via d'autres transporteurs aux quatre coins de Paris, ce pour la distribution des lettres le lendemain matin. Les yeux las, Pierre me reconduit jusqu'au pont de Créteil. "Et comment tu fais après ?", me demande-t-il au moment de nous quitter. Je lui montre du doigt mon vélo hollandais, collé à une grille, antivol à l'appui. Lui : "Bien, bien"...
Il est tard, la famille est couchée, le genou gauche me tire, deux gélules de Lamaline suffiront à m'apaiser. Diane s'est levée et réclame un câlin, ce que je fais de bonne grâce. Fichtre, la condensation est forte à l'intérieur, mes verres de lunettes s'embuent, m'obligeant à les quitter. "Papa, c'était bien ton travail ?", puis elle me réclame d'une manière on ne peut plus pressante une glace au chocolat. Après quoi, je la quitte et me lave, une eau brûlante en pluie sur le corps, reposante ; et ce faisant, repense à la journée écoulée. Puis à l'autre Pierre, associé à un éditeur, qui me disait il y a peu au téléphone : "J'ai horreur qu'on me parle mal des grévistes, mais franchement Daniel, j'étais heureux d'avoir un RER en après-midi pour rentrer chez moi". J'enchaîne : "Et ton article sur Van Dongen, tu le finalises quand pour la revue, heureux homme ?", sans obtenir de réponse précise. Ainsi va...

Daniel Martinez

06:04 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

"Une vie d'homme", Dominique Fourcade, éd. GLM, mars 1969

à Gérard Masson, mon frère absolu.

 

Sans avoir dormi de sommeil
Car chaque étoile de la contre-nuit est un rossignol traçant,

 

Choral enfin, l'homme, voix pleine de terre,
Châtié d'inexprimable,
Ne pouvant être,

 

Et
Entre les vagues
Les abeilles trouvèrent le navire.

 

Dominique Fourcade

"Je me suis jeté dans l'océan et je me suis arraché du corps"
entretien du 15 mai 2018

04:11 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

25/12/2019

Rainer Maria Rilke : "Note sur la mélodie des choses", 1898, traduction de Bernard Pautrat

Un poète essentiel, brillant dès ses premiers écrits (ou ses Notes de jeunesse) qui figurent dans le cinquième volume de ses Oeuvres complètes (Insel-Verlag, 1965). En 1898, Rilke a rencontré Lou Salomé et il a commencé à partager sa vie. Au printemps 1898 il visite l'Italie, Florence, ses musées, ses églises; dans la contemplation des maîtres anciens, il s'éduque le regard. Et s'adresse à un interlocuteur qui pourrait bien être son lecteur, qu'il voudrait associer à sa quête, comme témoin de la sienne. Il s'agit de mettre à jour "une certitude tranquille née de la simple conviction de faire partie d'une mélodie, donc de posséder de plein droit une place déterminée et d'avoir une tâche déterminée au sein d'une vaste œuvre où tous se valent, le plus infime autant que le plus grand." :


I

Nous sommes au tout début, vois-tu.
Comme avant toute chose. Avec
Mille et un rêves derrière nous et
sans acte.


II

Je ne peux penser plus heureux savoir
que cet unique-ci :
qu'il faut devenir un initiateur.
Un qui écrit le premier mot derrière un
séculaire
tiret.


III

Cela me vient en observant ceci : que nous en sommes encore à peindre les hommes sur fond d'or, comme les tout premiers primitifs. Il se tiennent devant de l'indéterminé. Parfois de l'or, parfois du gris. Dans la lumière parfois, et souvent avec, derrière eux, une insondable obscurité.


IV

Cela se comprend. Pour distinguer les hommes, il a fallu les isoler. Mais après une longue expérience il est juste de remettre en rapport les contemplations isolées, et d'accompagner d'un regard parvenu à maturité leurs gestes plus amples.


V

Compare une fois une image du Trecento sur fond d'or avec une des nombreuses compositions plus tardives des maîtres anciens italiens, où les figures se rencontrent pour une Santa Conversazione devant l'éclatant paysage dans l'air léger de l'Ombrie. Le fond d'or isole chaque figure, le paysage luit derrière elles comme une âme qu'elles ont en commun, et d'où elles tirent leur sourire et leur amour.


VI

Puis remémore-toi la vie même. Souviens-toi que les hommes ont maints gestes bouffants et des mots incroyablement grands. S'ils étaient, serait-ce un instant, aussi calmes et riches que les beaux saints de Marco Basaiti, tu devrais trouver derrière eux aussi le paysage qui leur est commun.


Rainer Maria Rilke

20:59 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)