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05/10/2020

La naissance de l'écriture, pour Nicole Granger

L'écriture est une parole silencieuse et obscure. Elle vient du fond des soifs, quand l'errance de l'humanité a commencé à devenir parcours conscient et répété vers les points d'eau : écorchures dans l'écorce des troncs d'arbres, foulure des pas dans la ligne des herbes : signes, lignes, lignes de signes, lisibles pour le seul clan des initiés.
Dans l'écriture, il n'y a pas le regard, pas le souffle, pas le timbre de la voix. Pas non plus les hésitations, les répétitions involontaires, les imprécisions que le geste rectifie. Il y a les signes obscurs, clos sur eux-mêmes, abstraits. La parole s'y trouve comme pétrifiée, soudain immobilisée ; elle a perdu ses frémissements, ses halètements, mais en même temps elle a couru plus vite qu'elle-même, au-delà du souffle, dans la saisie de ce qui lui était inaccessible en tant que parole, et que les signes écrits posent devant le regard, provisoirement stabilisés avant l'envol des significations.

Lire est la tâche qui consiste à rendre l'écriture à la parole, d'une part en l'abordant comme une parole, d'autre part en l'absorbant dans sa propre parole pour la rendre - affaiblie ou amplifiée ; dénaturée ou exaltée ; pure ou équivoque, en tout cas transformée toujours - au flot immense du langage. Ce travail de délivrance exige l'acceptation des règles du clan qui va à ses points d'eau par ce chemin. Celui qui ne lit pas est menacé de mourir de soif.


Nicole Granger

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04/10/2020

"Plusieurs vols d'étourneaux", de Bertrand Degott, éditions Les Deux-Siciles, juin 2003, 7 €

Dix-septième recueil de la collection Poésie aux Deux-Siciles, d'un poète qui rime (il en existe, et de talentueux...), sous une couverture abricot pour faire écho au dicton : "Quand l'abricot est en fleur / Jours et nuits ont même longueur", rêveuses déambulations réorganisées par un fil de pensée concrète, qui sait sublimer et sans s'y perdre tout détail du monde rencontré,

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dans la fraîcheur de son apparition, dans l'éblouissement de sa trouvaille, en s'éloignant de tout style corseté. Bertrand Degott se fait face en toute liberté et nous donne ainsi ses vers, comme sa vie, à lire entre les lignes, entre les mots, dessous la braise qui les anime. Pour vous, ces deux pages manuscrites reproduites dans "plusieurs vols d'étourneaux" :

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Bertrand Degott

03/10/2020

Deux articles de Henri Michaux non repris dans La Pléiade

Malgré le volume, si je puis dire, des trois tomes de La Pléiade consacrés post-mortem à Henri Michaux, sous la direction de Raymond Bellour, Ysé Tran et Mireille Cardot & le travail des plus sérieux qui a présidé à cette impressionnante recollection des textes du poète dispersés aux quatre vents : en plaquettes, en revues, en programmes de théâtre, en catalogue d'expositions, en dactylogrammes, en livres - deux articles, n'ont pas été repris dans la prestigieuse collection. Ces deux articles ont paru dans la revue Les Nouvelles littéraires n°2882, 14-20 avril 1983, en page 45 : ce sont deux livres de jeunesse commentés par leur propre auteur :

"Pour Ecuador, 1929

ECUADOR : un départ pour la république de l'Equateur, un séjour de huit mois, un retour en pirogue sur le Napo, et en bateau par l'Amazone.

La plupart des voyageurs béent d'admiration quand ils croient qu'il convient de béer. Et les plus froids se fouettent pour écrire quelques mots sur les spectacles "importants".

L'auteur de ce livre n'a pas fait cela.

Il ne dit pas un mot du canal de Panama, et il lui arrive de parler d'une mouche. Il ne s'est jamais préoccupé d'être juste et impartial envers les choses, il s'est seulement préoccupé de l'être envers ses impressions.

Et s'il y a des poèmes dans ce livre, ils veulent être aussi sincères. Ils ne se croient pas supérieurs."

Henri Michaux

* * *

Pour Un barbare en Asie, 1933

L'auteur de ce livre, étant enfant, allait dans le jardin observer les fourmis. Il les mettait sur une table, ou lui-même s'allongeait par terre, se mettant à leur niveau.

Ce voyage dura des années pendant lesquelles il ne fut guère intéressé par autre chose.

Cette fois l'auteur a été en Chine et aux Indes, et aussi, quoique moins longtemps à Ceylan, au Japon, en Corée, à Java, à Bali, etc.

Il n'a pas observé les fourmis, qui cependant abondent, mais les races humaines.

Comme il est naturel, il s'est tenu à l'écart des Européens, et a tenté de disparaître dans la foule étrangère. Il a attrapé des poux dans tous les théâtres d'Asie. Il connaît, pour y avoir été quantité de fois, le théâtre chinois, japonais, hindoustani, bengali, coréen, malais, javanais, etc... il a vu les films japonais, chinois, bengalis, hindoustanis. Il a entendu la musique, les danses indigènes.

Il a assisté aux prières, il s'est approché des temples, des lieux saints, des prêtres de toutes les religions.

Il a lu ou bien relu les ouvrages des philosophes, des saints et des poètes, il a étudié ou parcouru la grammaire de chaque langue et son écriture.

Enfin et surtout il a regardé "l'homme dans la rue", comment on rie, comment on se fâche, comment on marche, comment on fait signe, comment on commande, et comment on obéit, les intonations, la voix, les attitudes, les réflexes (tout ce qui ne ment pas).

Il s'est ainsi enfoncé dans la peau des autres. Toutefois, dans la peau d'un Chinois, il reste lui-même et souffre et regimbe, il souffre dans la peau de l'hindou, il souffre dans la peau d'être homme et de ne pas trouver la Voie. Et tout en souffrant il montre de l'humour, comme on fait, comme tant d'autres ont fait..."

Henri Michaux

PS : Je me garderai de prêter le premier de ces livres, que je possède en édition originale, pour une raison à garder secrète (une "particularité" qui n'est pas mentionnée dans La Pléiade).

18:56 Publié dans Critiques | Lien permanent | Commentaires (0)