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11/05/2021

"Carnet d'un buveur de ciel", de Dominique Sampiero, éditions Lettres Vives, octobre 2007, 96 p., 13 €

Mon carnet de ciel n'a pas de bord et quand je tourne les pages pour frotter doucement ma peau sur le tranchant des feuilles, quand je dépèce la blancheur pour écrire, j'entends le bruit du vent dans les peupliers en face de la ferme protester contre mon pillage. Je trouve le souffle de mes mots bien pauvre.

Tu as un œil au milieu du front, un autre en demi-lune pour regarder les éclipses, un troisième au bout des doigts et qui sait lire sur les lèvres des fleurs, j'aime quand tous tes yeux se posent sur moi.

Je sais que l'on ne peut pas boire le ciel, sauf peut-être, de temps en temps, ses paroles, comme on dit boire les paroles de quelqu'un, le ciel me parle depuis l'enfance, par les volets, par les lucarnes, en plein cœur aussi, par les voyettes* où j'aime me perdre, marcher, courir vers lui comme un enfant, le ciel me parle de tout son silence, il me dit que mourir arrive un jour dans le même abandon de souffle et de larmes qu'une averse.

Le grand oiseau qui plane au-dessus de la terre mange mes yeux et l'emporte dans son silence comme une pie voleuse.

Quand tu pars, je t'attends, quand tu reviens, je t'attends, quand tu es là, je t'attends.

Beaucoup d'animaux sont pétris de ciel, les merles, les moineaux, les hirondelles, les moustiques, les libellules, certaines fleurs aussi plus que d'autres, certains arbres, certains lacs et même des écluses, des fontaines, et j'en oublie sûrement.

Des heures collé à la vitre des façades, plus fraîche sur ma joue que le baiser des cascades, pour attendre qui, quoi, la douce quiétude d'être au monde dans la pure présence des fenêtres.

Avec l'âge, ma vue se trouble, je porte des lunettes à contrecœur, je me dis que mes yeux posent une distance entre moi et le monde, un peu de flou justement, pour m'obliger à reculer, à cligner des paupières, à ne plus vivre collé dans le mensonge de la fusion. Je ferme les yeux et quand l'étouffement, l'ennui, le manque de temps pour rêver me crèvent le cœur, tout le ciel remonte à la surface avec une belle lumière pour guérir, m'envoler, germer et renaître. Pourquoi résister à la légèreté qui me dépossède.


Dominique Sampiero

* régionalisme, petits chemins qui permettent de couper à travers champs au lieu d'utiliser la route.

16:09 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

10/05/2021

Trois dessins inédits du poète Christian Gabriel/le Guez Ricord (1948-1988)

RICORD 3.jpg

GUEZ 1.jpg

GUEZ 2.jpg

20:41 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

"Un ciel élémentaire", de Bernard Hreglich, éditions Gallimard, 160 pages, 21 mars 1994, 105 F

Itinéraire de la source et du verbe


Tisserand les jours d'hiver et voyou sous la crédule
Illustration dont il faut cerner les vitres
Afin d'épuiser les sens et les rythmes de ce paysage
Surchargé d'arbres fruitiers, de syllabes nécessaires
Où jamais tu ne viendras si j'en crois tes broderies
Sur un châle interminable. La géographie distribue comme à plaisir
Les dividendes de la mer, interdisant aux profanes
La pratique des écluses.


Je négocie l'audience et les cheminements
De cette œuvre aux longs parcours achevant comme le fleuve
Ses voyages dans une ville aux portes monumentales.


il convient de perdre la tête sous tes nuits d'incertitude
Et plus loin, dans le futur, trahir l'antique
Flèche de saule pour une éclisse glissée dans le givre verbal.


Bernard Hreglich

 

Le poète Bernard Hreglich, né en 1943 à Tunis, est mort à Paris, lundi 12 août 1996, des suites d'une sclérose en plaques. Il était âgé de cinquante-trois ans.

"J'ai un réel besoin de fuite", écrivait-il dans son premier recueil, Droit d'absence (Belfond), qui, paradoxalement, assura aussitôt sa présence parmi les tout premiers poètes de ce temps. C'était en 1977. Bernard Hreglich avait 34 ans. Le prix Max Jacob distinguait là une œuvre grave et lente, parlée plutôt que chantée, indifférente à toute notion d'école ou d'opportunité, assimilable au journal d'une solitude vigilante, sans colère ni dédain. N'exploitant d'aucune façon son succès, Bernard Hreglich attendra dix ans pour publier de nouveau.

Ce fut un mince recueil, Mètre visage (Sud-Poésie, 1986), que le jury du prix Jean Malrieu couronna à l'unanimité. Encore sept années de retrait, ponctuées de déchirements amoureux, de condamnations du "siècle aux épisodes carnassiers" et "d'abandons à l'écriture dans ce roncier parcouru de tragédie", et parut un important volume, Un ciel élémentaire (Gallimard, 1994), tout de suite salué par la critique exigeante et couronné par le prix Mallarmé, où apparaissait, disait le poète, "le mal qui me ronge".

Ce mal, il vient d'en mourir après avoir, malgré de perpétuelles souffrances, mis au point un ultime recueil au titre à la fois poignant et beau : Autant dire jamais (qui sera publié chez Gallimard le 3 octobre 1996). A peine avait-il pu en corriger les épreuves. Il s'est absenté pour toujours avant de le voir paraître. En voici le bouleversant exergue :
"Ce soir, je me contenterai du silence de l'absence et de cet œillet sauvage qui fut son dernier caprice avant de perdre la raison."


Jean Rousselot

17:52 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)