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31/07/2021

"Amandiers", de Lorand Gaspar, enté de trois lavis de T'Ang, éd. Pierre-Alain Pingoud, 21/6/1996, 48 p., 80 F

          Dans l'œil de la tourmente
          sur le seuil brûlant du cratère
          l'églantier.


          Noyau de pudeur déboutonné
          tendresse doucement froissée -
          Ces bris, ces haltes claires dans le sang
          orage tactile dans le noir humide.


          Dans l'enclos défait du combat
          rougeur qui porte à bout de bras
          le cœur de sa fragilité -


          quelque part c'est toujours le même
          bruissement d'aubes dans les pierres.


Lorand Gaspar

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29/07/2021

"Les enfants sauvages", de Lucien Malson, éditions 10/18, juin 1983, 256 pages

Chacun se souvient du film : "L'Enigme de Kaspar Hauser", de Werner Herzog, inspiré d'un fait réel. Ci-après, la relation que nous en fait Lucien Malson dans son livre bien conduit dans l'ensemble (sauf pour ce qui touche à Kamala de Midnapore), et reconnu pour l'aspect historique et sociologique de ces phénomènes hors du commun, qui à leur époque ont défrayé la chronique. Signalons que ce texte a été écrit en avril-juin 1963 ; leur fait suite, en annexe, les mémoire et rapport sur Victor de l'Aveyron, par Jean Itard, médecin français du XIXe siècle.
Voici un extrait du chapitre III, qui débute par ce qu'il en fut de la vie de Gaspard Hauser :


Le 26 mai 1828, vers cinq heures du soir, un jeune homme incroyable, titubant, trébuchant, totalement perdu, apparaît sur l'Unschlittplatz de Nuremberg, aux yeux étonnés d'un bourgeois qui se repose assis devant sa porte... L'étonnant voyageur, on le saura bientôt, a dans ses poches un petit mouchoir marqué à ses initiales, des prières catholiques manuscrites, des opuscules, un rosaire et de la poudre d'or. Il tient à la main une lettre adressée à "l'honorable capitaine de cavalerie du 4e escadron du 6e régiment de Nuremberg". Le bourgeois ébahi conduit l'étrange personnage à la caserne de la ville. La mystérieuse lettre dit en substance : "Ce garçon veut servir son roi. Sa mère l'a placé chez moi. Je ne l'ai jamais laissé sortir. Je lui ai appris la lecture et l'écriture. Je l'ai conduit jusqu'à Nuremberg, à la nuit." Sur une fiche jointe on peut lire encore : "L'enfant est baptisé, il s'appelle Gaspard. Il est né le 30 avril 1812. Quand il aura dix-sept ans, conduisez-le à Nuremberg, où son père - qui est mort - fut cavalier. Je suis une pauvre fille." Les militaires parquent l'arrivant à l'écurie. Il s'endort dans la paille. On aura du mal à le réveiller pour le conduire vers vingt heures au local de police où, à la plume, il écrit son nom : Gaspard Hauser...
Le 18 juillet 1828, Gaspard quitte sa tour et les locaux de la police, pour la maison du Pr Daumer qui, depuis quelque temps, le regardait en pitié. En quelques mois la dissymétrie du visage de Gaspard s'est résorbée ainsi que son prognathisme. C'est un garçon trapu, large, aux yeux bleu clair, à la peau fine et blanche, aux mains élégantes. Il porte encore la marque de quelques cicatrices fraîches et celle, plus profonde, d'une blessure au bras droit. Il continue de se plaindre de violents maux de tête et, assoiffé, boit de l'eau en quantité...
Qui est-il ? D'où vient-il ? Sa mémoire n'enferme pas grand-chose. Il se tourne vers son passé, désespérément, et parvient tout de même à se souvenir : il a l'impression d'être "arrivé au monde" et d'avoir "découvert des hommes" à Nuremberg ; avant il existait dans "un trou", "une cage" ; il vivait d'eau et de pain ; il s'était, un jour, endormi après la prise d'un breuvage - de l'opium, dont il reconnaîtra l'odeur chez Daumer - ; dans sa tanière, il disposait de deux chevaux de bois ; chaque jour, un être, dont il n'a jamais vu le visage, venait lui donner sa pitance, ou, se tenant derrière lui, lui faisait tracer quelques figures, quelques lettres, quelques chiffres. Cet être, le premier dont il garde une notion, il l'appelle maintenant : l'Homme, tout simplement. On murmure, en ville, que Gaspard va livrer bientôt son secret. Ces ragots lui seront fatals.
L'Homme, d'abord, le 17 octobre 1829, était peut-être revenu. Gaspard, malade, se reposait à la maison, seul avec la belle-mère de Daumer et sa sœur Katharina. Vers midi Katharina aperçut des gouttes de sang dans l'escalier, puis dans les communs. Gaspard était introuvable. On le découvrit à demi-mort dans la cave. Il dit à plusieurs reprises un seul mot : Mann (l'Homme). Blessé au front il demeura plongé pour quarante-huit heures dans le coma et le délire et mit vingt-deux jours à guérir. On avait, semble-t-il, aperçu l'Homme dans la ville, on l'avait sans doute identifié : "Je ne puis, disait Feuerbach, révéler tout ce que je sais d'après les actes de la justice." Cette dernière prudence devait ajouter un risque de plus à ceux semblables, que faisaient courir à Gaspar les révélations sans cesse attendues de sa part.

Lucien Malson

19:40 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

26/07/2021

"La bête faramineuse", de Pierre Bergounioux, éditions Gallimard, 25 août 1986, 190 pages, 15,15 €

Pierre Bergounioux, qui nous offre pour la prochaine livraison de Diérèse des pages de son Journal (avril-mai 2021) a écrit ce livre vers lequel va ma préférence [avec "La Ligne", par sa symbolique, recueil commenté par mes soins pour la sortie du numéro 3 de la revue, pages 58-60]. Dans "La bête faramineuse", il s'agit pour le narrateur et son cousin de traquer une bête fabuleuse dans le bois qui jouxte la propriété de l'aïeul, en fin de vie. Aux portes de l'adolescence, tous deux vont s'inventer deux rites, qui marquent en fait la frontière du monde réel et de l'imaginaire.
Ici évoqué, le premier de ces rites. La poésie que cet opus laisse filtrer, la manière qu'a l'auteur d'esquisser plutôt que de décrire et le climat généré donnent à ce livre un tour particulier...
 mais jugez plutôt :


"Il faisait très chaud, mais ce n'était plus la chaleur dure, vulnérante qui me comprimait le crâne, à midi. J'ai dit que j'allais chasser un peu. J'ai pris le filet. Je suis descendu jusqu'au petit portail, sans courir. La pierraille obligeait encore à plisser les paupières. Je me demandais s'il existe un moyen assuré, un sceau caché, un signe qui nous prémunisse contre la confusion. Je m'étais mis à progresser d'un pas circonspect, le filet en avant, comme si j'avais cherché à surprendre une bête incertaine. Je suis arrivé en vue des deux maisons, là même où l'attente et la révélation avaient pris corps, simultanément. J'étais seul, sur le chemin, et l'après-midi culminait. L'ombre dorée qu'il faisait, sous le saule, était vide et je ne trouvais rien qui garantisse la permanence, la consistance plus ferme des images passagères parmi lesquelles on va, les bêtes inhumaines, les visages, la paix profonde devinés. J'ai dit à mi-voix, très sombre : rien. Et puis, en me rapprochant, j'ai vu la piste, la trace presque effacée de son passage, dans l'herbe haute, jusqu'aux framboisiers.
Je me suis assis à côté du creux, comme un nid, qui restait au pied des tiges râpeuses dont elle avait cueilli les fruits. Elle s'était tenue là où je l'avais donc vue après avoir franchi les champs et les rivières. Je n'avais rien à ajouter à ce que j'avais dit avec la voix du dedans. J'ai posé le filet près de moi. J'étais invisible dans l'herbe, sous l'arcature aérienne du saule. Le grand pré, en contrebas du chemin, crissait paisiblement. Ce n'était pas tant l'étendue que la durée qui se dressait contre moi et me privait du repos. J'avais couru sur l'épiderme rugueux de la planète, à la suite de la locomotive. Le fer et le feu m'avaient ouvert le chemin. Mais j'étais sans recours qu'en moi, face à moi-même et au temps, loin de celui qui serait digne de se tenir à la même heure au lieu même qu'elle avait - l'ombre lumineuse, l'image pressentie - élu.
Le merle s'était remis à tracer des boucles dans le ciel. J'essayais d'imaginer des distances - dix ans, vingt -, au bout desquelles elle se tiendrait là, dans le creux d'herbe, sans songer à s'éloigner tandis que je pourrais, moi, celui que je serais devenu par l'entremise des années, me taire sans craindre qu'aussitôt elle s'éloigne et s'efface. Il n'y aura plus à se hâter, à trembler, à chercher des signes, des noms. Je soufflais par le nez lorsque des confins où je m'étais porté, j'ai retrouvé les senteurs du soir naissant, de la sève, de la pierre chaude et le vertige du premier jour. C'est le premier jour."


Pierre Bergounioux

20:49 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)