19/06/2021
"Images d'Irlande", par Monique Saint-Julia, éditions L'Aire, 5 juin 2019, 88 pages, 18 €
L'Owenmore River
Pavanée, alanguie, reins cambrés ; à la fois enfant, vierge, femme, courtisane, amante, elle connaît la plénitude, se frotte aux berges jaunissantes, tressaille sous les frôlements des saumons et la hardiesse des loutres, coule sereine, s'instruisant au mystère des vents, poursuivant, d'aubes en nuits frileuses, la fièvre mouvante de son destin.
Au-delà, tout est frontière de collines : landes d'ajoncs crépus, colorés dans le jaune cher à Van Gogh.
A travers ces lieux, elle trouve ici son havre de paix.
Après les dernières averses, l'eau lustre, lisse les roches. La terre entière resplendit comme un immense soleil.
C'est une rivière, eau et ciel confondus, qui porte, envoûte, imprime en nous la douce reconnaissance de l'enfance.
Monique Saint-Julia
圆 圆 圆
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18/06/2021
"Sombre comme le temps", par Emmanuel Moses, éditions Gallimard, 5 mai 2014, 120 pages, 14,50 €
FABLE
Modeste hommage à La Fontaine
Le loup dit à l'agneau :
- Faisons de la politique ensemble, je serai ton guide et toi mon adjoint.
- Je préfère me laisser guider par l'odeur du feuillage et la chaleur du soleil,
Répondit l'agneau
Le loup dit à l'agneau :
- Faisons de l'art ensemble, je serai ton peintre et toi mon modèle.
- Je préfère être peint par l'eau de la rivière quand j'y vais boire,
Répondit l'agneau
Le loup dit à l'agneau :
- Faisons l'amour ensemble, je serai ton maître et toi tu seras mon esclave.
- Je préfère avoir mon berger pour maître, qui module de belles chansons sur sa flûte
Et son harmonica,
Répondit l'agneau
Le loup dit à l'agneau :
- Écrivons un livre à deux mains. Il aura un succès phénoménal. "Le loup et l'agneau enfin réunis". Je vois ça d'ici. A nous deux la gloire, la fortune, le sexe facile.
- Aucune de ces choses ne m'intéresse particulièrement. Et puis je n'ai jamais été doué pour la littérature. Je préfère rêver dans ma prairie, en compagnie d'autre rêveurs laineux et bêlants. Un seul brin d'herbe, vigoureux et bien vert, réussit à me faire rêver des heures durant avant que je me décide à le brouter,
Répondit l'agneau
Le loup dit à l'agneau :
- Relis Isaïe, tu parleras autrement.
- Tu hâtes la fin des temps, mon ami.
- J'ai tout simplement hâte que les temps finissent.
- Je crains fort que ta hâte n'ait un but moins mystique.
- La mystique et la diététique se marient fort bien. Je plaisante, évidemment. Je ne demande qu'à vivre avec toi.
- Tu veux dire que tu ne demandes qu'à vivre de moi. Le message biblique ne me semble pas être correctement passé en toi, l'ami.
- Tu blasphèmes. Prions ensemble, alors, pour une paix prochaine entre toi et moi.
- Je ne prie jamais. C'est comme la littérature. Je n'ai aucun talent pour ça. Je préfère saluer de ma voix dissonante chaque matin qui s'éveille et chaque soir qui s'allonge,
Répondit l'agneau.
Emmanuel Moses
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17/06/2021
"Young Appolo", par Claude Chambard, éditions La Cabane, mai 2008, 16 pages, 6 €
Il semble heureux de cette existence simple mais protégée. En tous les cas, il dit qu'il est bien content, qu'il se plaît, qu'il aime beaucoup s'asseoir pour lire sur les bancs du parc Rivière.
Il ne cherche pas à se souvenir de ce qu'il faisait hier. Où il habitait, il dit qu'il y a comme un trou dans sa mémoire, dans sa vie.
Il ne se souvient pas dans quelle ville il est né, ni où il a grandi.
Il lit lentement les livres de sa bibliothèque dont il se demande comment et par qui elle a été constituée. Il dit qu'il en est le locataire, plutôt que le propriétaire. Il pense qu'il sera mort avant d'avoir tout lu.
Il ouvre sa porte avec infiniment de délicatesse. Pourtant, il a toujours l'air catastrophé. Il semble penser : "Je n'aurais pas dû accepter". Il en a mal au cœur.
Il a le visage fatigué & ne s'efforce pas d'avoir l'air enthousiaste.
Il a l'air de chercher un mot, puis le suivant. Comme s'il devait combler un immense vide de langue. Une sorte d'angoisse.
C'est un sacré travail, dur & ingrat.
Il faut trouver l'impulsion, instinctivement, ça ne s'apprend pas.
Chaque jour, il faut avoir la volonté de trouver un mot, puis le suivant.
Pas le courage, une nécessité vitale.
Une douleur essentielle.
Ça ne s'explique pas.
Le travail ne s'explique pas, jamais.
Il faut juste montrer.
C'est de l'ignorance. Il ne faut pas avoir de complexe. L'ignorance est une bénédiction. On demeure vivant, spontané & sincère.
* * *
- Avant, ici, il y avait une chartreuse entourée d'un grand jardin à la française.
Une famille de bijoutiers y habitait. Ils ont disparu pendant la guerre.
Un jour, en 43, deux tractions noires sont rentrées par le grand portail.
La propriété a été vendue à une famille des Chartrons. Ils n'étaient jamais là, toujours par monts et par vaux, les enfants dans des institutions en Suisse. Le père est mort dans un accident d'avion en Amérique du Sud, au Venezuela je crois. La mère a filé en 50 avec un gigolo, on l'a retrouvée l'année suivante décapitée à Monte-Carlo, une sale histoire. Les enfants ont été laissés à l'abandon, ce n'était pas une famille unie, non, ça on ne peut pas dire, ils ont vendu au début des années 70. C'était en très mauvais état, un promoteur a tout rasé et voilà ils ont construit cette résidence.
- Il est arrivé au début des années 2000. Discret, solitaire, mais charmant, charmant vraiment.
- Charmant, mais discuté.
- Distrait.
- Un côté Tournesol.
- Oui, distrait, mais élégant, courtois. Un véritable homme du monde.
- & modeste.
- Il aurait pu, tout aussi bien, habiter la chartreuse & se promener dans le jardin à la française.
Claude Chambard
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