19/08/2021
"Parages du séjour" : Pierre Torreilles, éditions Grasset, 4/10/1989, 82 pages, 9,90 €
Échancrure
la mer
inapparente ici
la fissure bleutée
montagneuse au-delà des ruines.
En son émoi
, séjour,
carène d'une absence,
aveugle parenté des sonorités du silence
émergente visitation.
Bruissante usure de la pierre
quel fleuve oublie la mer ?
la lumière seule le porte,
éblouissante mise à nu.
... conque
accotée soudain,
verrier de l'inaudible
, plénitude qu'inonde
au dire parvenue
quelque intangible fixité
parlé nu,
transmué,
en l'abîme du sens cécité coutumière...
de silence précis
la ténébreuse injonction
Pierre Torreilles
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18/08/2021
"L'Ordre du jour" : Roger Munier, éditions Fata Morgana, 13/2/1982, 56 pages, 500 exemplaires
A travers la croisée, la nuit était bleu tendre, par une demi-lune très claire, dans un ciel serein. Réveillé bien avant l'aube, je gardai les yeux ouverts jusqu'au matin. Et cette nuit, avec qui je fus comme avec un être réel, m'accompagna tout le jour de sa présence bleue, où l'astre nu dérivait calmement.
La nuit ne se laisse pas connaître, étant la nuit, mais se laisse respirer.
Toutes les innombrables couleurs pour déployer, sans l'égaler jamais, la seule opulence nocturne.
Chant du coucou ; deux notes seulement, mais limpides, et tout est dans leur écart où tient l'espace frais, la profondeur des bois.
La lumière autant cache les ténèbres. Peut-être les abrite en soi.
La vie passe à côté, toujours à côté, comme un souffle brûlant.
Rien de précis n'attire l'attention. Rien ne parle. Tout est, mais rien ne parle. Même l'hirondelle dans son cri ne parle. L'être est silence.
Ecrire, c'est traduire comme on peut dans sa langue un original inconnu.
Ecrire à la manière dont tout se fait : comme une perte.
La poésie, comme un élan qui soulève les mots presque purement comme mots, hors même leur sens : une houle. Cette seule houle déjà rejoint on ne sait quelle touffeur dorée dans les choses, quel îlot bienheureux...
Le poème doit précéder son sens.
Le sens est en exode, à travers tous les sens.
Tout est réel et tout est songe. En même temps.
Ne laisse pas parler ce qui voudrait parler aujourd'hui. Il est des voix qu'il vaut mieux taire, quand elles n'ont pas de chant.
Qu'est-ce que cette allégresse qui nous vient, quand nous sommes parvenus à nommer ? Quand nous avons trouvé ne fût-ce que le mot juste ? Qui nous récompense alors et de quoi ?
La fleur comprend le monde en fleur et l'oiseau en oiseau. Pourquoi l'homme ne peut-il le comprendre en homme ? Car il veut plus : il veut le comprendre...
Je respire le parfum de la rose et c'est le parfum de quelque chose qui est comme la rose - non la rose.
Roger Munier
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17/08/2021
"Fame e altri testi"/ "Faim et autres textes" : Filippo de Pisis, traduit par André Pieyre de Mandiargues
Il lamento della dormiente
I lamenti notturni nella "città patetica" assumono una tristezza lacerante. Passando per la strada dove le case (forse in questa sembra proprio d'essere a Bruges) rigide, tetre si stringono l'un l'altra, da una bassa finestra con una tenda bianca che si agita appena misteriosamente, tu senti l'anelito di una dormente che ti trafigge l'animo come l'urlo della tua coscienza offesa. Poi tregua, e la notte sembra ammantarsi di gravità e di mistero. E di nuovo alterne voci di galli o capponi centenari bianchi e catarrosi come senatori antichi nei pollai, vanto delle Signore Caterine e Mariucce.
* * *
Le gémissement de la dormeuse
Les gémissements nocturnes, dans la "cité pathétique", sont chargés d'une tristesse déchirante. En passant dans une rue (celle-là peut-être où l'impression d'être à Bruges est plus forte) que bordent en rangs pressés des maisons sévères et sinistres, d'une fenêtre basse dont remue un peu étrangement le rideau blanc, tu entends haleter un souffle de dormeuse par lequel ton âme est navrée comme par la voix de ta conscience en courroux. Trêve ensuite, et la nuit semble se draper de gravité et de mystère. Et puis voilà des cris alternés de coqs et de chapons centenaires, catarrheux et blancs comme d'antiques sénateurs de poulaillers, orgueil de dames Caterina et Mariuccia.
Filippo de Pisis
traduit par André Pieyre de Mandiargues
Luigi Filippo Tibertelli de Pisis, né à Ferrare en 1896, est mort à Milan en 1956. A la fois poète et peintre à la mélancolie crépusculaire, il rencontre De Chirico, Savinio et Carrà en 1916. En 1923, à Assise, il approfondit l’œuvre de Giotto. Dandy et bohème, c'est en 1925 que De Pisis s'installe à Paris pour y demeurer jusqu'en 1939. Son œuvre picturale, reconnue en Italie, n'a pas été exposée en France depuis les années cinquante.
D'une œuvre écrite foisonnante, peu ou prou introuvable, on extraira son roman à caractère autobiographique, publié post mortem : Le memorie del marchesino pittore, inscrit précisément dans les limites chronologiques du séjour parisien. Cet ouvrage est inachevé, à l'image de bien d'autres textes esquissés par l'écrivain, nés au fil de l'eau (dont "Faim", ici exhumé), par un auteur qui pensait que sa poésie le rendrait célèbre alors qu'il le fut en son pays comme peintre.
Des milliers de pages (poésies ou proses, journaux intimes, innombrables lettres) demeurent inédites et seuls quelques spécialistes (comme ses deux biographes, Nico Naldini et Sandro Zanotto) y ont accès.
Sa bibliographie en français :
. La petite bassaride, éditions de L'Herne, 17/5/1972, traduit par André Pieyre de Mandiargues
. Onze plus un poèmes, éditions Fata Morgana, janvier 1983, traduit par André Pieyre de Mandiargues
. Luigi B., éditions du Rocher, février 1995, traduit par Sibylle Tibertelli (un roman de jeunesse)
. Choix de poèmes, éditions Conférence, 12/7/2010, traduit par Franck Merger
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