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28/08/2021

Bleu de nuit

Tout l'ailleurs immobile et témoin
de la ruine qui travaille      activement
les murs      le garde-corps au front de la mémoire
tout ici gardé par les présences découpées
sur le papier noir de la nuit
sur le derme céleste avec ses astres
coquillages sans âge 
aspirés par l'inconnu
par la lymphe lactéeuse
      les remous lointains
      écoute et regarde
les mots ne seraient-ils mirage
au cœur du non-lieu
dans le profond silence
où se déploient les filaments
de la raisonnable irrationalité
où s'étoile le lierre tiaré de ses fruits
à même la langue 
          en chacun de ses signes
C'est l'heure où le visage de la rue
expulse doucement
le corps des pierres de la façade
comme l'air en un souffle
dérobe à l'éternité 
ce que nous sommes
pour ce que nous serons

Daniel Martinez

19:08 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

23/08/2021

"Charrue" de Robert Pinget, éditions de Minuit, 7 mars 1985, 80 pages, 30 F

Il dit à son ami je remets ça, toute honte bue. C'est la suite de mes petites notes. Pas fini, encore un chantier. Veux-tu lire le début ?
Mortin répond je lirai le tout une fois terminé. Nous ferons ensemble le tri. Mais tu peux m'en parler à l'occasion. 
C'est ainsi que monsieur Songe continue à noircir son carnet.

*

Certains de ses réveils sont si pénibles, si déroutants qu'il doute d'abord si c'est lui qui se réveille. Puis il se reconnaît à l'effort fait pour se reconnaître.
Mais cette formule trop subtile ne lui convient pas, elle lui prête plus de volonté qu'il n'en a. Il l'entérine tout de même par coquetterie et par un restant de penchant littéraire. C'est dire le peu de cas qu'il en fait.

*

Il s'essayait autrefois à composer des récits selon toutes sortes de lois rigoureuses qui l'inspiraient. Il devait y avoir entre autres celle des nombres et de la symétrie, celle des alternances, des résonances et des reprises... Vieux souvenir tout ça. Il en a perdu le goût ou la force, ce qui revenait au même à l'époque. Ne lui reste plus aujourd'hui que la démangeaison des notes et le peu de discipline qu'il faut pour les rendre précises.

*

Lui qui dans sa jeunesse aurait voulu être romancier a dans sa vieillesse de courts rappels de cet état d'âme qu'il condamne, de petites élancées qui vont encore jusqu'à lui faire prendre la plume. Il note alors des titres de livres rêvés tels Histoire d'un amour malheureux, Une infernale passion, Le bonheur impossible, et d'autres du même acabit. Puis d'un ton qu'il veut dégagé il demande ce qu'il en pense à son ami Mortin. Celui-ci prend un air qu'il veut pénétré et murmure très bon, très bon, tu vois que les désirs de jeunesse sont impérissables et que tu aurais dû... Bref ce genre de réconfort qui leur fait à tous deux passer une douce après-midi à évoquer les châteaux d'une défunte Espagne.

*

Ses admirations passées lui semblent si étrangères qu'elles lui donnent presque le vertige. Dans quel gouffre retrouver celui qui les ressentait ? Et vaut-il la peine d'être retrouvé ? Le laisser dans l'oubli, solution tentante.

*

Il dit curieux qu'il me faille sans cesse me répéter les mêmes rengaines pour croire à leur efficace. Continuer continuer ou chercher chercher...
Or à les répéter qu'est-il devenu ? Un vieux qui se répète les mêmes rengaines...
La foi soulève les montagnes, bon. Il cherche en vain les siennes.

*

Ca y est, ça y est il la tient cette petite fable où exercer son imagination.

*

Il sort de son lit, il met sa robe de chambre, s'installe à sa table, prend une plume, une feuille de papier et écrit... qu'il sort de son lit, met sa robe de chambre, s'installe...
C'était donc ça le salut ? Il doit se tromper, il doit confondre. Voyons, qu'est-ce c'était cette chose, ce déclic miracle ?
Force lui est de conclure que la fable, morte dans l'œuf, n'était que l'écho imaginaire et déguisé d'un constat d'impuissance.

*

Que ses petites notes en marge aient une valeur ou n'en aient aucune, sans elles il n'aurait même plus de quoi mesurer l'insignifiance de sa survie.

*

S'étant autrefois passionné de la chose écrite il admet sur ses vieux jours qu'il a dû affronter le beau langage pour tâcher de le détrôner. Mais cette lutte l'a marqué à son corps défendant. Combattre un style usé c'est en imposer un neuf. Et plouf le saut est fait d'un pompiérisme dans un autre. Tout se démode.
Une leçon à en tirer ? Aucune. Vous avez été mordu, vous finirez enragé.

*

Intrigué par son goût de l'analyse des sentiments il se demande s'il lui vient d'une propension à la morale ou d'un choix des développements faciles. Il doit se rendre à l'évidence, c'est la phraséologie qui le tient. L'analyse n'est qu'un alibi et peut-être même une fraude. C'est dire qu'il ne croit pas un mot de ce qu'il avance ou du moins le juge sévèrement.


Robert Pinget

04:41 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

22/08/2021

"Kong Harald - poème" : Luc Durtrain, éditions Georges Crès, 1914, 66 pages, 328 exemplaires

Quelque peu éclipsé par les ténors de l'époque, Luc Durtrain (de son vrai nom André Robert Gustave Nepveu) qui fut oto-rhino-laryngologiste de profession, publiera pourtant aux éditions de la NRF Douce cent mille (1922) et La Source rouge - Conquête du monde (1924) puis à la librairie Gallimard Hollywood dépassé (1928), Ma Kimbell et Quarantième étage. Moins empruntée que chez bien d'autres de ses contemporains, sa poésie vaut le détour, jugez-en plutôt, avec ce poème extrait d'un livre paru à une époque charnière. Ici, nulle concession à la vision romantique de la grande bleue, qualifiée de "flot minéral", aux portes d'un univers hostile :


Mer du Nord


        Angles de mer à droite, à gauche
        Qui se succèdent opposés :
        Parfois, quand le tangage tire
        La lourde hélice sort des vagues
        Et son pouvoir me fait trembler.


        Je me saisis du bastingage
        Gros comme une cuisse et observe
        Au loin l'origine d'un flot :
        Il se gonfle, se précipite,


        Coups de thorax, hauteur d'épaules,
        Et puis déjà la barbe blanche...
        Commandée par cent faits à barbe.
        La mer, en vain naissante et claire,
        Est odieuse - sous le soleil.


        Hé ! fuyard, vide ici ta bile !
        Vomis, toi qui retrouves dans
        Les forces du flot minéral
        (Ou du blanc ciel pulvérulent)]
        L'ordre social et les visages.


Luc Durtrain

10:11 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)