12/04/2021
Maurice Blanchard, dixième Cahier de "Habitude de la poésie", chez GLM, 1937, 16 pages sur papier glacé recto jaune/verso bleu, 50 exemplaires
Tous les vivants
Tous les vivants ont l'âge du monde. Le vieillard livre à l'enfant les clefs de la ville, que cela lui plaise ou non. Les revenants n'y comprennent plus rien, ils sont fixés, papillons bleus de la Guyane, papillons bleus de la nuit.
Tous les vivants rompent les faisceaux quand l'aube fuit. Tous les rêves ficelés, tous les rêves entassés, linges inutiles, à coups de bottes joignez votre ombre et votre honte ! Les genoux pèsent sur les poitrines. L'ordre doit régner. Les clairons sonnent la diane quand la lune disparaît.
Tous les vivants chantent l'avenir. Pour apaiser les mondes morts. Pour des mots qui enivrent, venus on ne sait d'où, de quels terribles déclenchements et qui font heurter les peuples en rivières de murmures, en rivières de blessures, paquets de chaînes, lambeaux d'amour.
Tous les vivants fuient la maison natale. Les chevrons pourrissent, les parquets se disjoignent en reliefs géographiques pour jouer au soldat, les fenêtres battent comme des voiles quand on vire mal, quand on manque la passe bienheureuse. La racine pousse son couvercle, le vieux prunier renaît dans le cuivre des lampes, la chute des grands pans dans l'eau du lac.
Maurice Blanchard
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11/04/2021
"Marasme clos", de Jacques Girard, éditions Mannes, avril 2010, 40 pages
Contre-chant
TA VACANCE silencieuse me ravit,
J'entre avec toi dans le tuf des années
Muettes qui me font l'honneur d'une élégie :
Ta soif m'attend, avec elle la nostalgie
De l'antre où, déclinant, l'eau croupit sans retour
Comme à l'extérieur mon amoureuse tour
A jamais l'obscurcit, devenue, indicible,
Un passéiste larmoiement qui se repose,
Et sans regret, sans renouvellement - morose.
* * *
L'Hiver lucide
TU t'insinues dans un balayage de blancs,
Vieil avare que je protège
En toute impunité, nouvelle neige
Associée à son allure : pack tremblant
Tout au long de ce fleuve glacé, la débâcle
Te représente disloqué, en mal d'oracle.
Jacques Girard
16:28 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
10/04/2021
"Une colombe une autre", de Raymond Farina, éditions des Vanneaux, déc. 2006, 60 p., 10 €
De mémoire d'oiseau
10
Si délicatement tressé
si délicatement serti
dans le feuillage du cyprès
dans sa pénombre dense et fraîche
ce petit dôme renversé
entrelacs de senteurs et d'herbes
de lin & de flocons de laine
sauvés des griffes du chardon :
nid du chardonneret capable
d'échapper au regard
du plus malin des dénicheurs
aussi secret que sont discrets
les deux orfèvres qu'il abrite
évidente antithèse
de ce brouillon de foin
que le moineau négligemment
laisse sur une haute fourche
qu'avec le temps je considère
comme une aimable dissonance
le gentil fouillis d'un vieux sage
le laisser-aller d'un vieux maître
qui se lasse de sa maîtrise
Raymond Farina
₻
encre de Chine sur Arches de Jean-Claude Pirotte, 2007
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