241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/02/2021

"Il ne faut pas rêver en Inde ! Journal novembre-décembre 1996", de Claire Landais, éditions Paupières de terre, 01/4/2008, 9 €

Le soir tombe. Le car est monté sur un bac pour traverser le delta du Bramapoutre. Le dos appuyé sur le bastingage, je compte les dizaines de camions qui s’entassent avec nous. Des images de naufrage vues à la télévision me traversent l’esprit.
Des enfants de trois-quatre ans traînent des seaux de boissons fraîches et les vendent en riant. J’ai sympathisé avec les deux jeunes garçons. Ils m’expliquent gênés qu’ils n’ont pas le droit de parler à une femme européenne. Nous voguons, je regarde le fleuve argenté dans la nuit, la lune. Soudain sur l’eau, la flamme d’une bougie, une lanterne, une petite voile, une barque minuscule. Le pêcheur ne bouge pas. Brume, silence. Deux heures magnifiques viennent de passer.
De nouveau le car et puis Dakka. Je refuse le grand hôtel proposé par le chauffeur, je me retrouve dans une chambre sans fenêtre. J’écrase quelques insectes sur le drap taché. Je m’endors poussin fatigué - dans mon duvet tout propre.

Le train roule depuis midi. Allongée sur ma couchette, je somnole. Je bois du sirop au basilic pour calmer ma toux. Des voyageurs m’invitent à descendre, à partager leur pique-nique. J’imagine les piments que je vais devoir avaler. Je m’excuse, j’explique ma bronchite. Je me rendors. Je me réveille au petit matin.
Nous avons huit heures de retard. Je m’assois près d’une fenêtre, je bois du tchaï. Je ne pense à rien ou peut-être à quelques amis français. Dehors, des marchés, des chemins bordés d’arbres maigres, des temples, des mares. Le bruit du train. Les voyageurs jettent leurs détritus par terre. Plus tard, un homme vient passer un coup de balayette contre quelques roupies. Parfois le train s’arrête longuement.
Tous les passagers descendent le long de la voie pour se dégourdir les jambes. Je reste à ma place de peur de ne pas savoir remonter assez rapidement. J’aimerais savoir boire à l’indienne, sans toucher la bouteille ou le verre avec mes lèvres.
Je profite des arrêts pour m’entraîner. Je m’étrangle ou bien l’eau déborde de ma bouche. Les enfants rient, me montrent. En fin d’après-midi, Haridwar station, je descends. Je hèle un rickshaw. Une amie m’a prévenue, le prix de la course ne doit pas dépasser 10 roupies. Pour Khankal, 10 roupies, c’est d’accord ?
Non Madame… Pour la moitié, c’est d’accord.
Le rire et le chargement de mes 25 kilos de bagages sont gratuits.


 Claire Landais

04:22 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

02/02/2021

"Pondichéry Le témoin et La roue - Carnet de route" de Bruno Sourdin, éd. Le Pont de l'Epée, 1987, 72 pages

Quelques mois ensoleillés de ma vie
sont déjà à Pondichéry
et aujourd'hui
je veux seulement me laisser entraîner
là où la ville me conduit
traverser le grand canal
enfiler la rue Ranga Pillai
tourner à droite dans Mahatma Gandhi
vers le grand marché
et me fondre
dans cette agitation paisible.


Voyez ce marchand de cigarettes
au sourire édenté
qui me salue comme chaque jour
lorsque je passe devant son étal
et le forgeron aux lèvres rougies
par les feuilles de bétel
et l'astrologue qui ne desserre
jamais les dents mais dont j'apprécie
la joie secrète.


Et surtout regardez bien
cette femme aux colliers de fleurs
je l'ai souvent observée
à chaque fois c'est elle
qui m'a fait baisser les yeux
ah si seulement je pouvais
connaître l'intimité de ses pensées.


Bruno Sourdin

00:17 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

30/01/2021

"Sombre comme le temps", Emmanuel Moses, éditions Gallimard, 5 mai 2014, 120 pages, 14,50 €

Des lambeaux de ciel parsemaient les champs
C'était à l'heure du crépuscule
On aurait dit des plaies rouges et bleues
- Vestiges d'une pluie récente -
Le marcheur solitaire s'était arrêté et regardait ce spectacle beau mais effrayant
Peut-être pensait-il à un soir de bataille
Était-il paysan ? Chasseur ? Poète ?
Il observait ces traces d'un monde inatteignable
Et semblait absorbé par une pensée qui l'assombrissait
S'il était paysan, il devait songer à sa moisson gâtée
S'il était chasseur, à son gibier manqué
Et s'il était poète, à des mots cherchés vainement
Il avait un certain âge et une autre hypothèse était
Qu'à cette heure sanglante et calme
Dans le déclin de la lumière qui donnait au seuil de sa disparition
Une multicolore féerie d'adieu
Correspondait pour lui à un autre déclin, une autre disparition
Souvenir ou crainte
Sujet d'épouvante ou de méditation
Si - autre possibilité encore - il ne s'interrogeait pas sur le mélange incongru
Du ciel et de la terre
De la terre intacte et forte en son opacité plastique
Face au ciel fragile et fragmentaire
Exilé à ses pieds pour quelques dernières minutes d'existence
Reflétant l'immensité
Dont il se vidait peu à peu
Tragiquement matériel


Emmanuel Moses

07:25 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)